Vendredi dernier, au moment de voir le film de Denis Villeneuve, je ne connaissais encore rien de Dune. Rien. Et une vingtaine de minutes dans l’histoire m’ont vite fait réaliser que Dune n’est pas une saga de science-fiction comme les autres. Fascisme, fanatisme religieux, colonialisme, capitalisme, écologie… l’auteur, Frank Herbert, a créé un univers gigantesque et complexe qui reflète étrangement le nôtre.
Pour cette raison, et parce que Villeneuve prend le temps d’installer cet univers, Dune est fascinant mais aussi par moments épuisant à regarder : ses 155 minutes sont ressenties comme une lente plongée dans ce que notre histoire a connu de plus sombre. Pour cette même raison, je n’enlèverais aucune minute de ce film.
Hollywood rêvait depuis longtemps de mettre à l’écran l’œuvre de Frank Herbert. Deux réalisateurs s’y sont essayés, Alejandro Jodorowsky et David Lynch, mais leurs projets jugés trop extravagants ou ambitieux furent tous deux coupés courts : celui de Jodorowsky ne dépassa pas l’étape du stroyboard « À plusieurs moments dans le film résonne cette invitation à découvrir son identité, répondre à un appel plus large et plus ancien que soi, et sans jamais oublier la famille d’où l’on provient. » Longtemps, Dune a été réputé inadaptable au cinéma. Or, Denis Villeneuve est lui aussi un réalisateur ambitieux, qui a déjà prouvé sa capacité à donner chair à des œuvres de science-fiction. Et surtout, il dispose en 2021 de moyens technologiques à la mesure de ses idées. L’histoire de Dune se déroule dans un futur extrêmement distant (quelque 25 000 ans après notre ère), dans lequel l’humanité a conquis désormais d’autres systèmes de la galaxie, a évolué biologiquement et s’est également scindée en de nouvelles formes de religions. « Dune » est le surnom donné à une planète, Arrakis, source de la plus précieuse ressource de toute la galaxie, « l’Épice », une référence implicite à la fois au pétrole et aux drogues hallucinogènes. Le film commence lorsque la maison (famille noble) des Atréides hérite du consulat de cette planète, succédant au règne tyrannique de sa maison ennemie, les Harkonnen. Or, au centre d’un univers mené par des forces impériales défiant toute mesure, se joue le drame d’une famille et à son cœur véritable, la relation entre une mère et son fils. Comme dans toutes les œuvres épiques, le héros, en plus d’être appelé à sauver un monde au bord de la destruction, est appelé à une quête plus intérieure, identitaire. Depuis quelque temps, alors qu’il s’apprête lui-même à déménager sur Arrakis, Paul Atréide est hanté par des rêves en partie prémonitoires, qui résonnent en lui comme des appels. Le désert l’appelle et semble déjà même le connaitre. Cette quête identitaire est des plus intéressantes. En effet, lorsque Paul découvre la vérité sur son origine, il a soudain l’impression d’être un monstre, le sentiment horrifié de faire non seulement partie d’un plan, mais d’avoir été appelé au monde davantage pour servir ce plan que pour lui-même. La suite du premier film nous dira si notre héros s’est réconcilié avec qui il est. Mais à plusieurs moments dans le film résonne cette invitation à découvrir son identité, répondre à un appel plus large et plus ancien que soi, et sans jamais oublier la famille d’où l’on provient. Le monde futuriste de Dune, loin d’être devenu athée, est profondément habité par le religieux. Aussi, Paul est une figure messianique qui doit s’unir avec le monde, entrer dans ses profondeurs, pour le sauver. Or, certaines choses m’ont frappé au sujet de ce messie. Si certains traits rapprochent Paul du Christ, sur d’autres aspects il semble l’antithèse du messie chrétien. Alors que le Christ nait dans une famille pauvre et quasi inconnue, Paul est issu d’une famille royale puissante, et tandis que le Christ doit subir la mort et ainsi s’identifier à tous, même aux plus démunis, aux bannis, aux condamnés, le messie de Dune doit pour se révéler, à un moment, infliger la mort. Villeneuve fait un travail extraordinaire pour nous introduire à cette saga, donnant à l’histoire le temps de respirer. Réussir à démêler l’histoire d’Herbert et en faire un récit cohérent relève, semble-t-il, d’un miracle scénaristique ! Pour ce faire, Villeneuve choisit d’abandonner presque tout le contexte mythologique et politique pour se centrer sur l’histoire de Paul, mais il garde juste assez de ce sous-texte pour donner une impression d’immensité. Il fait aussi le choix audacieux d’adapter uniquement la première partie du roman, sans garantie que Warner Bross financera les deux autres films qu’il a envisagés (Dune : Partie II et Le Messie de Dune). À l’instar de Christopher Nolan, le réalisateur québécois est connu pour sa capacité à créer des mondes réalistes, tactiles, reposant sur des décors réels et des effets spéciaux mécaniques plutôt que numériques. La bande sonore signée Hans Zimmer est immersive et probablement sa plus innovatrice depuis La Mince Ligne rouge, et en fait tout le montage sonore, imposant et entêtant, aide à donner cette qualité physique au film. Certaines images sont véritablement grandioses, et malgré la longueur du film, j’aurais souhaité par moments que le cinéaste ralentisse encore et étire les plans, à la manière de 2001 : l’Odyssée de l’espace auquel le film fait d’ailleurs un ou deux clins d’œil visuels (comme également à Laurence d’Arabie et Blade Runner). Refusant d’utiliser des fonds verts, Villeneuve est allé tourner dans les déserts Rub al-Khali (Émirats arabes) et Wadi Rum (Jordanie), et sur les côtes de Norvège. Aussi, lorsqu’on les voit dans leur entièreté, les planètes de Dune ressemblent étrangement à celles de notre propre système solaire. Le cinéaste crée ainsi des images qui tout en étant d’un autre monde – je pense particulièrement à ces deux lunes d’Arrakis qui surplombent parfois les protagonistes –, créent une impression de familiarité. Dans cet univers immense et complexe, où l’Épice permet de tracer des chemins entre des systèmes solaires éloignés, Dune ramène notre regard à un monde si proche de nous et pourtant inconnu : le désert. Pas seulement le désert mais celui qui l’habite, l’étranger qui est pourtant mon prochain. Comme si Frank Herbert en tournant son regard vers les étoiles voulait utiliser l’espace comme un miroir, pour nous faire regarder l’humanité et nous demander qui nous sommes. Tu as aimé ce que tu viens de lire ? Inscris-toi vite à notre infolettre VIP, écoute notre balado et lis notre magazine. Tu peux aussi nous offrir un petit café pour nous encourager !Une histoire de famille
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Allez au désert
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