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par Prof. Chems Eddine Chitour.
« J’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été le témoin impuissant d’une violence d’État haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective. Je voudrais aujourd’hui que le souvenir des crimes monstrueux du 17 Octobre 1961, sorte de concentré de toutes les horreurs de la guerre d’Algérie, soit inscrit sur une stèle en un haut lieu de toutes les villes de France, à titre de mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste » ~ Pierre Bourdieu, professeur au Collège de France
On aura tout dit du 17 Octobre 1961, cet énième crime contre l’humanité par la patrie des droits de l’Homme, qui, faut-il le rappeler, ont été mis en pratique en Algérie quarante ans après leur proclamation en 1789, ces droits de l’Homme, lors d’une invasion abjecte un matin de juillet 1830. Les atrocités commises pendant cette manifestation pacifique, le 17 Octobre, d’Algériens ont été passées sous silence par le gouvernement et les médias français pendant bien trop longtemps. Que s’est-il passé ? Le triste préfet Maurice Papon – connu aussi pour ces faits honteux quand il était préfet à Constantine – a commandité le massacre. Bilan : des centaines de morts, 11 500 arrêtés et torturés, frappés ou même tout simplement jetés à la Seine. 10 000 personnes seront interpellées durant les jours suivants. 1500 sont charterisées vers l’Algérie où une réception leur fut organisée.
17 Octobre 1961. « Il y a du sang dans Paris ». C’est par ces mots que Sorj Chalandon, rapportant le travail magistral du regretté Jean-Luc Einaudi qui osa braver les interdits, qualifie ce jour. Nous l’écoutons nous raconter comment Papon a préparé les assassinats : « Mardi 17 octobre 1961. Il est 9 heures. Maurice Papon, ancien délégué aux Affaires juives à Bordeaux de 1942 à 1944, compte ses hommes. (…) De Matignon, l’ordre tombe. Carte blanche. Aucune tentative de rassemblement, aucun début de manifestation ne peuvent être tolérés. (…) Alors que l’OAS commence à frapper, des Arabes sont attaqués en pleine rue par des policiers.(…) Le « Français musulman d’Algérie » devient le « raton », le « bicot », le « fellouze » des racistes. La machine haineuse s’emballe. Les supplétifs torturent dans les caves de la Goutte-d’Or (…) le zèle était dans l’air et par un racisme assumé, même les citoyens dans leur majorité participaient à des degrés divers à la curée. 17 octobre. Il est 18h30. À Asnières, vers 20 heures, Maurice Papon décide de réquisitionner les bus parisiens. Trop d’arrestations. La dernière fois que la RATP a été mise à contribution, c’était les 16 et 17 juillet 1942 » (…)
« Paul Rousseau, un gardien de la paix syndicaliste, voit des policiers jeter des Algériens par-dessus le pont de Clichy après les avoir massacrés au nerf de bœuf. (…) Il y a du sang dans Paris. Ce n’est pas une image. Sur les trottoirs, les pavés, la rambarde des ponts, sur les vitres brisées de magasins enfoncés par les corps, sur le sol des autobus. Et peu de Français réagissent. (…) À la Défense, de leurs fenêtres, des Français jettent des bouteilles sur les manifestants. (…) La nuit se termine. « Et un raton, un ! » lance un homme de salle de l’hôpital de Nanterre, voyant arriver un Algérien au crâne défoncé. Et puis Fatima Bédar, 15 ans à peine, elle s’est disputée avec sa mère le matin même pour avoir le droit d’assister aux manifestations. On la retrouvera le 31 octobre noyée dans le canal St-Denis »[3].
Combien de victimes innocentes le 17 Octobre 1961? 200 morts, selon Jean-Luc Einaudi. 1998 : plus de 48 morts, selon la commission Geronimi. 2006 « bien plus » de 120 morts en deux mois, selon deux historiens anglais.
On peut se demander pourquoi avoir décidé de cette marche connaissant les risques pour des personnes sans défense. « Pour Omar Boudaoud, responsable de la Fédération de France, l’action du 17 Octobre n’avait pas pour but de faire courir un risque politique quelconque aux entretiens en perspective. (..) De plus, le GPRA était informé de notre action. À Tunis, le Ministère de l’Intérieur dont dépendait alors la Fédération m’avait dit en substance : « Ceci est votre affaire. Si vous réussissez, c’est la Révolution qui réussit ; si vous échouez, vous paierez votre décision ». Réponse : « J’ai compris, nous allons agir ». En fin de compte, le GPRA nous a félicités. On peut même soutenir qu’il s’est révélé plus important que celui des actions armées d’août 1958 en France ».
Un crime d’État non reconnu
La mémoire est têtue et le souvenir est un devoir. Depuis cette horrible nuit du 17 Octobre 1961 où le « monde civilisé » a montré encore une fois sa face barbare. L’écrivain Gabriel Garcia Marquez, victime de son apparence maghrébine, n’y a pas échappé : il a été tabassé et conduit au commissariat. Ordre avait été donné aux policiers de massacrer. Aucun argument ne pouvait servir les autorités françaises pour justifier une terrible répression qualifiée de « crime d’État » et de « répression la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine », disent les historiens. Pourtant, cet événement demeure occulté et non reconnu par les officiels français malgré les appels des historiens. Comme une France qui refuse de regarder en face les crimes commis en son nom, le président François Hollande avait reconnu au début de son mandat la « sanglante répression » du 17 Octobre, mais sans aller plus loin. Candidat à la présidentielle, Hollande avait pourtant signé la pétition du Collectif du 17 Octobre 1961 exigeant la condamnation par la France d’un crime d’État. Il a même opéré un net recul par rapport à cette question.
Les témoignages anonymes de citoyens au cœur de la manif : une douloureuse réalité
Simeon Brown, écrivain américain, dit son désarroi et sa tristesse face à la tragédie. Le journaliste/romancier William Gardner Smith a résidé en France durant la guerre d’Algérie et la vie parisienne de cette période particulière lui a inspiré son troisième roman, « The Stone Face », qui fut publié à New York en 1963. Il subit le racisme là où il va : un groupe de jeunes Blancs lui crèvent l’œil après l’avoir roué de coups avec le même mode opératoire, celui de la provocation suivie d’une surenchère. « “Le visage de la haine” » du policier est identique à celui du raciste blanc provocateur dans les rues américaines. Simeon Brown est pris pour un manifestant algérien, il est embarqué dans le panier à salade, battu et insulté. Il narre les contrôles au faciès et les humiliations des Algériens, ce qui le renvoie à ce qu’il a vécu à Philadelphie, d’où son empathie grandissante pour ses amis algériens. (…) « On devait repêcher dans la Seine les cadavres de plus de deux cents Algériens dont celui d’Ahmed », son ami. L’image du visage froid, celui de la haine qui se manifeste, le hante. Simeon Brown sait de quel côté il se positionne. Il sait qui défendre pour survivre et garder sa dignité humaine ».
Le témoignage de Serge Rameau
Le 17 Octobre 1961, adolescent, il s’est retrouvé au milieu de la manifestation alors qu’il sortait du métro place de l’Étoile. Officier de la Légion d’honneur et de l’ordre du Mérite, il est aujourd’hui délégué général de l’association d’anciens combattants Souvenir français et vit en Roumanie. (…) Son témoignage est important : « Il était 5h du soir, mais en octobre, il fait déjà nuit, pas complètement, mais c’est la pénombre. Il n’y avait que des hommes. Les policiers les attrapaient à la sortie de la bouche de métro et les tapaient. Ils les faisaient monter dans les cars de police en les piquant avec des aiguilles. Ça m’a traumatisé. Ils hurlaient, ils gémissaient. Je me souviens des cris de douleur, de la violence. (…) Pendant ces jours dramatiques que Paris a connus, il y a eu des ratonnades. C’était vraiment un délit de faciès. Ils n’étaient pas armés. (…) À l’époque, il y avait une sorte d’apartheid. Pour moi, l’Homme est foncièrement sauvage. La seule chose qui le retient, c’est la loi, la civilisation. (…) On a enlevé la Légion d’honneur de Papon pour la déportation des enfants juifs à Bordeaux, mais pas pour Octobre 1961 » (…)
« Serge Rameau nous informe aussi que la manifestation, quelques mois plus tard, en février 1962, fit sortir le peuple de France en masse. Il y a eu huit morts à Charonne le 8 février 1962. Une semaine après, une manifestation de protestation a réuni peut-être un million de personnes dans la rue. Là, pour les victimes algériennes des personnes qui ont été assassinées, il n’y a pas eu de protestation. Rien. (…) Reconnaître qu’il y a soixante ans, il y a eu des fautes inadmissibles commises serait à l’honneur de l’administration française »[8].
« J’avais un bébé dans les bras, j’avais peur qu’on le tue »
Djamila Amrane a 87 ans. Son père est arrivé en France en 1914 après avoir été réquisitionné pour travailler dans une usine. (…) Le 17 octobre, son dernier-né dans les bras, elle se rend à la manifestation. Elle doit probablement sa vie à une inconnue. Djamila Amrane gardera le silence sur la tragédie (…) Nous rapportons son témoignage : « Après 18h, on n’avait plus le droit d’être dehors. La Fédération de France du FLN avait donc demandé à ce qu’on fasse une manifestation pacifique, une sorte de marche blanche. J’insiste parce qu’il nous était interdit de prendre ne serait-ce qu’une épingle à nourrice. (…) Ce qui m’a marquée, c’est la façon dont les policiers nous tapaient dessus. Peu importe si on était une femme, si on avait un bébé ou si on était un homme. Tout le monde était pris à part. Les coups venaient de partout. On entendait tout, sans savoir qui allait tomber par terre »[8].
« La seule question qu’ils posaient, c’était : « Est-ce que tu sais nager ? » Si vous aviez le malheur de répondre non, ils vous emmenaient pour vous jeter à la Seine. J’avais un bébé dans les bras, j’avais peur qu’on le tue, qu’il prenne un mauvais coup. Il n’avait que quelques mois. (…) Ce qui m’a sauvée, c’est cette femme. Elle a ouvert une porte cochère en bois, m’a attrapée par le bras et m’a fait entrer dans le hall de chez elle. (…) Sans cela, peut-être qu’aujourd’hui je ne serais pas là pour vous dire tout cela. (…) Il ne faut pas que les gens oublient ce que les Allemands ont fait aux juifs. Ils les ont exterminés. Nous, c’est pareil avec le 17 Octobre 1961. J’aimerais avant tout qu’on n’oublie pas. C’est important. Il faut reconnaître que c’est une date dans l’Histoire. C’est un jour triste pour nous, il ne faut pas l’oublier »[8].
« Ça tirait de tous les côtés, les femmes et les enfants autour de moi avaient très peur »
« Monique Hervo a 92 ans. Elle a connu l’exode, les bombes, le mitraillage sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Puis, à la libération, son engagement scout lui fait escorter des déportés à leur retour du camp de Buchenwald. Elle est « marquée à vie ». Elle décide alors de s’engager au sein du Service civil international. En 1959, elle s’installe dans le bidonville de Nanterre, où vivent 10 000 Algériens. Le 17 Octobre, elle était dans le cortège quand les CRS ont tiré sur les manifestants qui arrivaient au pont de Neuilly. Elle les a ensuite secourus, soignés. Devenue Algérienne en 2018, elle veut laisser une trace de cette histoire vécue »[8].
« Elle raconte : le 17 au soir, je rentrais avec une petite équipe qui s’était engagée pour l’indépendance de l’Algérie. Je suis arrivée vers 6h du soir pour passer la nuit comme d’habitude. Tout le monde est sorti, sauf les femmes qui allaient accoucher. (…) On a descendu l’avenue qui allait au pont de Neuilly dans un silence impressionnant. À 200 mètres, mais c’est difficile à situer parce que c’était en pente à l’époque, on a vu les CRS sur le pont de Neuilly. Et d’un seul coup, les CRS ont tiré. À balles réelles ! Ça tirait de tous les côtés, les femmes et les enfants autour de moi avaient très peur. (…) Le bidonville est devenu un hôpital de campagne. Brigitte, une assistante sociale française, et une amie sont venues soigner les blessés. On a fait comme on pouvait. Les médias en ont un peu parlé et le bilan ne correspondait pas à la réalité. C’est quelque chose dont il ne fallait pas parler. En 1999, Maurice Papon a intenté un procès à Jean-Luc Einaudi pour son livre sur les événements et l’emploi du mot « massacre ». J’ai témoigné. À la fin, le président a déclaré qu’il y avait bien eu un massacre. (…) Je me sens proche des Algériens parce que j’ai connu les grands-parents et les parents. Pour moi, c’est l’humain qui compte »[8].
Le mensonge d’État : la police au- dessus de toute critique
Interviewé par le site 20 minutes sur le déroulement de la curée l’historien Fabrice Riceputi déclare : « (…) Dès l’après-midi, commence une des plus grandes rafles de l’histoire de France, puisque la préfecture annonce qu’elle a embarqué en quelques heures 11 500 manifestants (…) les policiers jettent des Algériens morts, assommés ou encore vivants dans la Seine ou dans les canaux parisiens. (…) Des gens sont morts plus tard de leurs blessures à l’hôpital. Certains qui ont été expulsés vers l’Algérie où ils étaient ensuite enfermés dans des camps gardés par l’armée où il y a eu également des disparitions. (…) Ce que disent les historiens, c’est qu’on ne saura jamais exactement le nombre de morts, mais ils avancent une fourchette pour la seule journée du 17 octobre, de la centaine de morts à plus de deux cents ».
« (…) Maurice Papon met en œuvre ce massacre, il [ndR] dit à ses agents qu’ils seraient couverts quoi qu’il arrive. Il a appris les techniques de la « pacification coloniale » en Algérie, à Constantine où il a eu tous les pouvoirs dans l’Est algérien pendant plusieurs années. Il a fait appel aux « forces de police auxiliaires », des harkis algériens, pour faire le plus sale boulot. Elles avaient l’habitude de faire des descentes meurtrières dans les bidonvilles, avec recours à la torture. C’est encouragé par le premier ministre Michel Debré, hostile à l’indépendance de l’Algérie. C’est lui qui est au sommet de la chaîne de commandement. Ça fait partie de la stratégie de Debré de tenter de saboter le processus de négociation en cours. Quant à de Gaulle, il laisse faire. On dit que, quand il a appris ce qu’il s’était passé, il aurait dit : “inadmissible, mais secondaire” »[9].
Jean-Luc Einaudi, chercheur de vérité
Dans toute cette tragédie, un homme a eu le courage d’affronter l’omerta. Jean-Luc Enaudi, Frédéric Bobin et Antoine Flandrin en parlent : « L’historien franc-tireur, éducateur de jeunesse aura consacré près d’un quart de siècle à exhumer de l’oubli une tuerie unique dans l’histoire contemporaine de la France. On ne dira jamais assez ce que l’actuelle connaissance – encore incomplète – du 17 Octobre 1961 doit au travail de bénédictin de Jean-Luc Einaudi, à son combat infatigable contre la raison d’État. L’œuvre pionnière d’Einaudi, « La Bataille de Paris » (Seuil, 1991), est le grand tournant historiographique autour du 17 Octobre. Sa parution brise la chape de silence sur l’ampleur des rafles émaillées de violences que le pouvoir gaulliste déchaîna à l’époque contre une manifestation pacifique du Front de Libération nationale (FLN) au cœur de Paris. Einaudi avance le chiffre d’au moins « 200 morts » quand le bilan officiel n’évoquait que trois morts. En 1997, Einaudi défraie à nouveau la chronique, à Bordeaux, lors du procès d’assises de Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde (1942-1944) mis en cause dans la déportation de 1500 juifs. Le même Papon avait supervisé la répression de 1961 en sa qualité de préfet de police alors en poste à Paris ».
Jean-Luc Einaudi qui fut l’un des premiers avec Pierre Vidal-Nacquet à donner une visibilité à cette tragédie sur laquelle régna une omerta d’une trentaine d’années. Se basant sur une documentation et sur les faits malgré l’impossibilité d’accès à certaines archives toujours pas déclassifiées, Jean-Luc Einaudi décrit la curée. « Des milliers de personnes sont raflées, tabassées, violentées. Des centaines sont tuées dont plusieurs dizaines par noyade. Pour ma part, j’estime les noyés à une soixantaine de personnes et je pense qu’il y a eu en quelques jours environ 400 personnes tuées. Les morts et les violences policières s’étalent du mardi 17 octobre jusqu’au dimanche qui suit (…) Tous les policiers et gendarmes qui ont tapé et tué l’ont fait avec la conviction de l’impunité »[10]. À l’issue d’une étude fouillée qui a demandé plusieurs années, Jean-Luc Enaudi en est venu à l’affirmation qu’il s’agit d’un mensonge d’État. Dès le départ, il y a eu un véritable travail de mise en œuvre de mensonge d’État. Comme le nombre de cadavres était important, il a bien fallu trouver une explication. (…) Évidemment, l’amnistie décrétée en mars 1962 a facilité le travail de mensonge puisqu’elle couvre tous les faits de cette époque concernant le maintien de l’ordre. Tout ce qui cherchait à faire éclater la vérité était interdit et saisi comme le livre « Ratonnades » à Paris de Pierre Vidal-Nacquet.
Maurice Rajsfus met en lumière et dénonce les crimes policiers. Il décrit un épisode encore méconnu, la répression de manifestants nord-africains le 14 juillet 1953 à Paris. « (…) La police ouvre le feu : bilan, 7 morts (6 ouvriers algériens et un ouvrier français, militant de la CGT) et une centaine de blessés. Les massacres du 17 Octobre n’ont pas provoqué en France de grandes réactions de protestation. Pierre Vidal-Naquet avait appelé le 17 Octobre 1961 « ce jour qui n’ébranla pas Paris ». Jean-Luc Einaudi va plus loin, en affirmant que la chasse à l’homme ne concerne pas seulement la journée du 17 Octobre. Il raconte aussi bien comment depuis des mois et des mois à Paris, non seulement, et dans d’autres villes, des Algériens étaient tués ; l’apogée sera le 17 Octobre, sans oublier le 8 février 1962 avec la répression et les morts de Charonne. il n’y a évidemment pas un mot sur le 17 Octobre 1961, mais par contre on parle de tragédie nationale à propos des morts de Charonne, tout en parlant d’actes d’individus incontrôlés, de dérapages, et en ne mettant jamais en accusation la police comme corps répressif ».
Emmanuel Macron doit reconnaître le massacre du 17 Octobre 1961
Cette injonction est celle d’un éditorial du journal Le Monde ! Curieusement, on n’a plus souvenance tant la ligne éditoriale de ce journal, que de Gaulle et Hubert Beuve Mery voulaient de référence, avait dérivé pour devenir méconnaissable. Nous lisons à propos de la nécessaire reconnaissance du massacre des innocents : « Un acte manque encore pour dépasser les traumatismes liés à la plus grande répression contre une manifestation en Europe depuis 1945 : la reconnaissance officielle par l’État de sa responsabilité, de celle des hauts dirigeants et de la police de l’époque dans la tuerie de manifestants algériens. À première vue, la répression du 17 Octobre 1961 au cours de laquelle la police parisienne se livra à un massacre contre ceux que l’on appelait alors les « Français musulmans d’Algérie » est une affaire classée. Il a fallu vingt ans pour que la France commence à sortir de l’amnésie sur la plus grande répression contre une manifestation. Puis deux autres décennies ont été nécessaires pour que la réalité de l’événement – une rafle en plein Paris visant 12 000 personnes ; des tabassages de masse ; des morts, au moins cent-vingt, dont certains tués par balle et jetés à la Seine – soit établie et qu’une plaque commémorative soit scellée sur le pont Saint-Michel, à l’initiative du maire de Paris. Pourtant, un acte manque encore pour dépasser les traumatismes vécus par les survivants du massacre et transmis à leurs descendants ».
Chronique d’un racisme ordinaire
L’omerta sur ces massacres, fut totale pendant plus de deux décennies. Pourquoi l’oubli ? Il y avait là une convergence d’intérêts pour entretenir l’ignorance et l’oubli. En France, ce fut une véritable conspiration du silence des pouvoirs successifs, qui, à des degrés divers, sont complices. Les tueries de Charonne huit communistes français ne passèrent pas inaperçues. La Gauche manifesta ; il y eut 1 million de personnes dans les rues ! C’est dire si le Deux poids Deux mesures était (est ?) structurel et pourtant les suppliciés du 17 octobre étaient encore français mais… musulmans, arabes ! Même les harkis (commando spécial) furent de la partie pour « ratonner leurs frères ».
C’est de fait l’histoire d’un racisme ordinaire. Les morts seraient des sous-hommes et l’impunité est proclamée sans qu’il y ait justice. Ce qui s’est passé le 17 Octobre 1961 et les jours suivants est analogue en cruauté les nuits de cristal du IIIe Reich et même les déportations du camp de Drancy où de la même manière plus de 12 000 personnes furent parquées, hommes, femmes, enfants. Comme pour les juifs avec le Vel D’hiv, les transports furent réquisitionnés, ce sera la RATP. Drancy sera remplacé par le Palais des sports, Sans verser dans la concurrence victimaire les autorités de police en 1942 n’ont pas été responsables directement du supplice d’aucun juif contrairement à ce qui s’est passé ce 17 Octobre où ce fut la haine à l’état pur.
Personne ne doit en réchapper ! Il n’est pas étonnant de ce fait qu’à titre d’exemple la jeune collégienne Fatima Beddar sera jetée dans la Seine. Pour l’histoire : « (…) Son père, Hocine Bedar, mobilisé au début de la seconde guerre mondiale, a été fait prisonnier en 1940. Le jeune soldat s’évade, rejoint le forces françaises et participe à la libération, dans la campagne d’Italie, puis en France, au sein des tirailleurs algériens, avant d’être démobilisé en 1945. À la libération, Hocine Bédar, fait venir sa famille, avant que la guerre d’Algérie ne le rattrape. Fatima avait cinq ans à son arrivée en France. Elle grandit au sein d’une famille de militants nationalistes, son père milite à la fédération de France du FLN. (…) Quand le FLN lance son appel à une manifestation pacifique, elle brave l’interdit parental pour y prendre part. Faisant mine de se rendre au collège, emportant avec elle son cartable, la jeune fille se rend à la manifestation. Elle n’en reviendra jamais. Le 31 octobre 1961, on retrouvera le corps de la jeune collégienne noyé dans la canal de Saint-Denis (…) « Mon père a combattu pour la France durant la seconde guerre mondiale, on lui a enlevé sa fille » a déclaré, samedi, Djoudi, le frère de Fatima ».
Conclusion
Plus que jamais les justes mots de Pierre Bourdieu cités plus haut sont d’une brûlante actualité. À l’occasion du soixantième anniversaire du pogrom du 17 Octobre 1961, selon le mot de l’historien Pierre Vidal-Naquet, nous nous attendions à des paroles fortes du président de la République Emmanuel Macron qui permettraient d’apaiser les tensions algéro-françaises après les propos incompréhensibles du 30 septembre, car la commémoration du 17 Octobre 1961, ce n’est pas seulement la commémoration de la sanglante répression mais le début d’un dialogue responsable sur une vision commune et apaisée pour l’avenir. Il n’en fut rien. Le président Macron se contente de parler de faits inexcusables. C’est quelque part un recul par rapport à ce qu’avait affirmé François Hollande en 2012. « La République reconnaît avec lucidité ces faits à propos de la sanglante répression de la manifestation des Algériens à Paris le 17 Octobre 1961. Cinquante-et-un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes ». C’était le 17 octobre 2012. Ce communiqué laconique fut présenté comme un geste majeur et l’Élysée croit pouvoir solder sa dette pour les massacres de masse prémédités, des nuits de cristal, un certain 17 Octobre 1961.
Nous aurions pensé qu’avec les premiers pas du candidat Macron sur les crimes contre l’humanité, les déclarations du président Macron seraient du même ordre et ouvriraient réellement la voie à une meilleure compréhension. Il n’en fut rien. Les messages distillés à doses homéopathiques problématisent cette reconnaissance qui grandirait la France. Nous l’avons vu avec les États-Unis qui ont regardé leur Vietnam dans les yeux. Il est vrai que la zemmourisation actuelle des esprits est aussi ignoble que la lepenisation toujours actuelle est en train de réinitialiser le logiciel du bon vieux temps des colonies en ouvrant la boîte de Pandore de tous les revanchards et les nostalgériques qui transmettent par méthode épigénétique l’ADN de la haine à la nouvelle génération. L’extrême droite se sent pousser des ailes et se prépare à gouverner.
Cette occasion ratée remet aux calendes grecques toute vision commune du futur car à cette cadence de la reconnaissance légitime et lucide, il faut au moins un siècle pour venir à bout de la reconnaissance d’une faute imprescriptible. Souvenons-nous qu’il a fallu 45 ans pour que le pouvoir en France admette que les événements d’Algérie soient reconnus enfin comme une guerre. La reconnaissance serait une preuve que la colonisation ne fut pas une œuvre positive et que les statistiques et études historiques permettent d’avancer le chiffre de 6 millions de morts comme conséquence de cette tragédie qui a démarré un matin de juillet 1830 où un peuple a failli disparaître par cette politique du talon de fer mais aussi du fait d’un prosélytisme débridé pour évangéliser.
Vouloir regarder vers le futur ne nous exonère pas d’un droit d’inventaire conjoint car il est immoral de faire passer par perte et profit ce génocide à bas bruit sur 132 ans. Rien n’interdira ensuite aux deux peuples algérien et français d’envisager une coopération dans l’égale dignité et peser, ce faisant, dans cette Méditerranée qui a plus que jamais besoin de stabilité.
Je ne veux pas terminer ce plaidoyer sans convoquer le génie de l’immense écrivain Kateb Yacine qui, s’adressant au peuple français, seul juge, en définitive, écrivit ce poème tout en douceur et fermeté et lui rappelant de se souvenir de sa Révolution pour trouver des similitudes avec le combat des Algériens pour la liberté :
« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux
Tu as vu notre sang couler.
Tu as vu ta police assommer les manifestants.
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face du peuple de la commune.
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance
Peuple français, tu as tout vu
Oui tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »
Kateb Yacine (« La gueule du Loup » 17 octobre 1961)
Prof. Chems Eddine Chitour
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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