Benjamin Zizi est consultant et formateur en habitations durables, membre du Regroupement Des Universitaires
Manuel R. Cisneros est architecte spécialisé en écoconception, membre du Regroupement Des Universitaires
DES UNIVERSITAIRES (13 de 15) – Le secteur du bâtiment résidentiel, commercial et institutionnel produit 10,3% des rejets de GES au Québec, ce qui en fait le troisième plus important émetteur sur le territoire. Et ce, sans même compter les émissions indirectes liées aux matériaux de construction utilisés. Les émissions directes de ce secteur proviennent principalement des combustibles fossiles brûlés pour chauffer les bâtiments [1] (55% gaz naturel, 45% mazout [2]).
Pourtant, il serait possible de nous passer de ces combustibles. Le potentiel de réduction de la consommation énergétique pour les constructions existantes, et de conception passive et bioclimatique pour les constructions neuves est extrêmement important. Ces principes amènent de nombreux bénéfices, parmi lesquels l’amélioration du confort et de la qualité de vie, et la résilience des constructions, notamment face aux changements climatiques. Additionnée à ces mesures de sobriété énergétique, la Feuille de route vers un Québec ZéN (zéro émission nette) du Front commun pour la transition énergétique propose un objectif ambitieux: retirer, à court terme, tout système de chauffage aux énergies fossiles.
Bannir les systèmes de chauffage au gaz ou au mazout
Récemment, le gouvernement du Québec a annoncé que les systèmes de chauffage au mazout seront interdits pour toute nouvelle résidence. Cependant, cela fait déjà longtemps que le mazout n’a plus le vent en poupe: ses contraintes d’utilisation ainsi que les incitatifs pour démanteler les systèmes qui en dépendent sont dissuasifs. Outre une accélération du rythme des conversions électriques des bâtiments, l’annonce reflète une réalité déjà existante, mais insuffisante.
La Feuille de route souhaite aller plus loin: interdire immédiatement toute nouvelle installation de système de chauffage au gaz et bannir, à court terme, tous les systèmes de chauffage aux énergies fossiles, incluant le gaz naturel. Cette proposition fait écho à celle de nombreuses voix, tel que le rappelle la récente tribune du Regroupement des organismes environnementaux en énergie. En effet, on assiste chaque année au raccordement de milliers de nouvelles constructions par Énergir ou Gazifère, qui auraient pu être exclusivement électrifiées. Il est troublant de constater que le gouvernement du Québec autorise encore la promotion et les subventions pour le gaz naturel. Or, même si ces fournisseurs d’énergie se félicitent de leurs efforts pour le développement du gaz naturel renouvelable, celui-ci n’atteint aujourd’hui, et n’atteindra dans un avenir prévisible, qu’un faible pourcentage du gaz injecté dans le réseau, dont l’autre proportion est majoritairement composée des néfastes gaz de schiste. Au Québec, un territoire doté d’expertise en constructions en climat froid, et producteur d’énergie hydroélectrique, c’est une hérésie de vouloir continuer à consommer des combustibles fossiles pour le chauffage.
Accélérer la mise en place d’une sobriété énergétique soutenable
Bien entendu, éviter ces combustions fossiles ne peut se faire seul: il faut également consommer moins et intelligemment, afin d’être capables de combler les besoins en énergie et en puissance avec des ressources non fossiles.
Pour les constructions neuves, on recommande d’adopter un nouveau Code de la construction fixant un objectif carboneutre à atteindre et permettant à l’industrie de s’adapter progressivement à des cibles intermédiaires de plus en plus exigeantes.
Le secteur de la rénovation écoénergétique a, en général, un impact climatique moindre que la déconstruction et la reconstruction ; il est un pivot de la réduction de GES. C’est aussi dans ce secteur que les défis techniques sont les plus importants. On propose ainsi de lui allouer des budgets substantiels et de soutenir le développement de modes de financement novateurs. Par exemple, certains programmes permettent aux propriétaires de rembourser un emprunt pour rénovation écoénergétique à même la taxe foncière, et de transférer leur dette en cas de vente de la propriété.
Par souci de transparence, on propose d’instaurer un système simple de cotation des bâtiments en fonction de la consommation d’énergie et des émissions de GES, avec obligation de divulguer la cote lors de toute vente ou location.
La densité des bâtiments a un impact important sur les transports et les réseaux de soutien (électrique, aqueduc, égouts, télécommunications). Il est nécessaire de favoriser la densification à échelle humaine dans les quartiers existants ou les cœurs villageois (changements de zonage, planification d’espaces orientés vers le transport actif et collectif). Également à privilégier: l’étude systématique des synergies possibles avec les environs proches des projets lors de la délivrance des permis (ex.: réseaux de chaleur, microréseaux renouvelables).
Penser en termes de “cycle de vie”
Au-delà des émissions de GES directes des bâtiments, il faut penser à toutes leurs émissions indirectes, souvent non comptabilisées. Le cycle de vie d’un bâtiment inclut sa fabrication (matériaux + impacts de la construction), son exploitation (consommation énergétique et entretien) et sa fin de vie (déconstruction, réemploi, recyclage). Pour les bâtiments ne consommant déjà plus d’énergies fossiles, l’impact de la phase d’exploitation diminue en importance par rapport aux autres. C’est pourquoi il faut privilégier l’utilisation de matériaux à longue durée de vie, facilement démontables et réutilisables en fin de vie, entièrement recyclables ou valorisables, et de préférence issus de sources locales.
On recommande notamment la conception d’un outil de transparence et d’aide à la décision capable de générer un indicateur carbone sur le cycle de vie suffisamment fiable pour fixer des seuils maximums pour tout bâtiment neuf ou rénovation majeure, adapté à la spécificité énergétique québécoise.
Également, on propose d’introduire une écotaxe et un principe de responsabilité élargie des producteurs sur les produits ayant le plus d’impact et difficilement récupérables ou valorisables en fin de vie (ex.: bardeaux d’asphalte, produits laminés). Il faut aussi inciter à planifier la gestion de toutes les matières résiduelles de la vie des bâtiments dès leur phase de conception (ex.: design évolutif). Des mesures doivent être prises pour contrer l’impact grandissant des agents réfrigérants à fort potentiel de réchauffement planétaire. Enfin, après la mise en place de toutes les mesures de sobriété carbone, vient alors le moment de compenser les émissions carbone résiduelles sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment.
La Feuille de route Québec ZéN propose aux gouvernements, aux organisations et à la population de nombreuses actions spécifiques qui découlent directement des principes résumés plus haut. Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire le texte complet de la Feuille de route.
Note
[1] Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2017 et leur évolution depuis 1990. 2019. MELCC.
[2] État de l’énergie au Québec 2021, Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.
Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité Québec ZéN 2.0. Ce projet a été élaboré par des membres du Front commun pour la transition énergétique et leurs allié.e.s. Créé en 2015, le Front commun regroupe 90 organisations environnementales, citoyennes, syndicales, communautaires et étudiantes représentant 1,8 million de personnes au Québec.
Publicité : Livres d’André Binette et de Jean-Claude Germain https://lautjournal.info/
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal