La grande stratégie de la France en Afro-Eurasie émerge peu à peu

La grande stratégie de la France en Afro-Eurasie émerge peu à peu

Par Andrew Korybko − Le 12 octobre 2021 − Source OneWorld Press

La France devrait rejoindre la tendance vers la multipolarité, et intégrer le concept de coopération mutuellement bénéfique, si elle veut conserver son actuelle influence sur diverses régions d’Afro-Eurasie et l’étendre vers de nouvelles zones.

La France se visualise comme restant une Grande Puissance influente pour le XXIème siècle. Dans ce but, elle est en train de formuler une grande stratégie pour avancer vers cet objectif sur toute la région afro-eurasiatique au cours de cette période. La stratégie indo-pacifique de Paris s’est vue sabotée sans prévenir par ses propres alliés de Canberra et de Washington, suite à l’annonce surprise de l’AUKUS avec Londres. La France n’a pas seulement perdu un contrat de 90 milliards de dollars australiens conclus avec l’Australie, mais chose toute aussi importante, elle ne peut désormais plus compter sur le pays-continent comme principal partenaire régional. En réponse, la France essaye de remplacer le rôle de l’Australie par l’Inde dans cet espace géostratégique.

En partant plus vers l’Ouest, la région suivante où la France se voit comme exerçant une influence centrale est la Méditerranée orientale. La Grèce joue le rôle que l’Australie était supposée tenir pour la région Indo-Pacifique, mais qui sera désormais tenu par l’Inde. Dans cet espace géostratégique, la France se concentre sur un équilibrage de la Turquie, contre la Chine pour la région indo-pacifique. Elle espère prendre la tête d’une coalition d’États pensant de la même manière qu’elle, afin de tirer des privilèges économiques et d’investissement, en échange de sa coopération militaire et stratégique, en contenant la menace perçue par cette coalition.

C’est l’Afrique qui constitue le dernier front de la grande stratégie de la France pour le XXIème siècle, et c’est bien là que la Grande Puissance d’Europe occidentale dispose des plus grands avantages, pour des raisons historiques. Bien que la Russie ait pratiqué des avancées spectaculaires dans la région précédemment colonisée que la France considère comme la « Françafrique », et considère comme sa « sphère d’influence » exclusive, Paris espère s’appuyer sur ses alliés au Tchad, dont elle dispose depuis des décennies, pour répondre à cette tendance. On peut penser que la France ferait mieux de s’inquiéter davantage de l’influence turque en « Françafrique » que de l’influence russe, mais en tous cas, elle espère reconquérir au cours des quelques prochaines années la place stratégique qu’elle y a perdu.

On trouve plusieurs points communs entre les grandes stratégies pensées par la France dans les trois régions de l’Indo-Pacifique, de la Méditerranée orientale, et de la « Françafrique ». Tout d’abord, la France dispose d’une influence historique dans chacun de ces espaces. Deuxièmement, on y trouve à chaque fois une puissance en croissance, qu’elle compte enrayer. Et troisièmement, la France espère pouvoir s’appuyer sur les pays régionaux partageant son mode de pensée pour parvenir aux objectifs sus-mentionnés. On trouve cependant plusieurs défis face à cette stratégie. Tout d’abord, l’influence stratégique de la France dans ces régions s’est érodée [C’est peu de le dire, NdT]. Deuxièmement, tous les pays de chacune de ces régions ne désirent pas contenir la puissance en croissance que la France considère comme une menace. Et troisièmement, ses partenaires pourraient ne pas désirer sacrifier leurs propres intérêts pour satisfaire la France.

Cela signifie en pratique que la France ne peut pas s’appuyer totalement sur l’Inde, la Grèce et le Tchad pour contenir, respectivement, la Chine, la Turquie et la Russie/la Turquie dans les régions respectives de l’Indo-Pacifique, de la Méditerranée orientale et de la « Françafrique ». Paris est en mesure de provoquer des torts à chacun de ces pays, et les influencer, grace à diverses méthodes d’incitation économique, à jouer un rôle plus important à cet égard, mais elle doit également prendre en compte la diminution relative de ses capacités d’équilibrage et d’influence face à celles de la Chine, de la Russie et de la Turquie. La France est une puissance militaire disposant d’une économie impressionnante, d’un soft power attirant et d’une influence historique dans toute l’Afro-Eurasie, mais ses capacités d’équilibrage diplomatique ne sont pas à la hauteur.

C’est là le principal problème de Paris, qui ne dispose pas de l’expérience de la pratique d’une telle politique d’équilibrage. Tout ce que Paris sait faire est d’exercer une influence hégémonique, relayée par des partenaires juniors et des mandataires plus faibles qu’elle. Elle a d’ores et déjà accepté l’érosion de son influence dans chacune des régions sus-mentionnées, et ce n’est que récemment qu’elle s’emploie à la reprendre, du fait des dynamiques de la Nouvelle Guerre Froide. Les stratèges français se sont laissés aveugler par leur orgueil démesuré et n’ont pas perçu leurs propres défauts, qui les ont amenés aux revers que l’on a vus. S’ils ne tirent pas d’enseignement de ces échecs, la grande stratégie qu’ils projettent ne produira jamais tous les fruits attendus.

Le premier enseignement est que la domination française sur ses partenaires régionaux plus petits a eu pour conséquence que ces derniers se sont rapprochés des rivaux de Paris pour soulager la pression qu’ils subissaient envers leur autonomie stratégique. Ce n’est pas suite à quelque « sournoiserie » de la Chine, de la Turquie ou de la Russie dans ces régions que ces pays ont pratiqué leurs percées au cours des dernières années ; ce sont au contraire les pays partenaires de la France (qu’ils fussent ou soient encore partenaires) qui sont volontairement entrés en coopération avec ces pays. La France ferait bien de respecter les intérêts souverains de ses partenaires régionaux plus faibles qu’elle, afin de ne pas les contraindre involontairement à la contrebalancer aussi activement [Pour que Paris comprenne cela, encore faudrait-il qu’elle accorde la moindre valeur et le moindre respect à sa propre souveraineté, ce qui n’est plus le cas depuis des années – l’idéologie européiste a fait son œuvre, NdT].

Le second enseignement est étroitement relié au premier et s’applique principalement à la « Françafrique ». Il faut voir que la France continue de croire à son auto-supposée « supériorité culturelle » comme fondement de son soft power, afin de maintenir ses influences. Nombre d’Africains parlent le français du fait de l’héritage du colonialisme, et non du fait d’une quelconque attirance envers cette langue. Et c’est pour des raisons économiques qu’ils émigrent vers la France, pas du fait qu’ils préfèrent sa culture à la leur. La croyance de la France envers sa « supériorité culturelle » constitue officieusement une raison centrale de l’identité de ce pays, mais elle apparaît comme arrogante, condescendante et même raciste. Les pertes sont déjà immenses dans les cœurs et les esprits à cet égard.

Ensuite, la France doit faire montre du même respect pour tous ses partenaires, ce qui ne peut se produire que si elle a bien compris les deux premiers enseignements. Cela s’applique également à des pays plus grands comparativement, comme l’Inde. Si certains de leurs dirigeants peuvent présenter des motivations personnelles intéressées à s’associer avec Paris contre des pays tiers, la France ne devrait jamais perdre de vue le fait qu’il reste sans doute des membres patriotes dans leurs administrations permanentes militaires, de renseignement et diplomatiques (les « États profonds« ). Ces forces pourraient entrer en résistance contre leurs dirigeants si ceux-ci mettent en danger leur sécurité nationale en provoquant d’autres pays sur ordre de la France.

Sur la base de cet enseignement, la France ne devrait jamais considérer comme un acquis son partenariat avec un autre pays, quel qu’il soit. Les membres patriotes de leur « État profond » pourraient s’employer à stopper la mise en danger irréfléchie de leur sécurité nationale, pourquoi pas au travers de coups d’État. Il existe également une probabilité que ces mêmes forces puissent provoquer des désordres de Révolution de Couleur patriotiques contre leurs dirigeants manipulés par la France. La France ferait également bien de ne pas éluder la possibilité que ses alliés de papier, les États-Unis et le Royaume-Uni, viennent « braconner » sous son nez et lui subtiliser ses partenaires, y compris si cela implique de racheter les dirigeants corrompus déjà vendus à Paris.

Enseignement supplémentaire, la France ferait bien de ne pas conserver l’illusion de l’existence de « sphères d’influence » exclusives, et surtout pas en « Françafrique ». Paris devra inévitablement en venir à accepter l’influence d’autres pays dans les régions qu’elle a pu considérer comme sous sa seule coupe. Ceci comprend aussi bien les « alliés » comme les États-Unis que des pays perçus comme rivaux, tels la Chine, la Russie et la Turquie. La France devrait envisager avec pragmatisme de lâcher du terrain sur une partie de son influence passée, de manière contrôlée, afin de constituer des partenariats plus efficaces avec ses alliés, et d’explorer des manières créatives de se rapprocher de ces pays jusqu’ici perçus comme rivaux.

Tout ceci nous amène à un enseignement final, qui est que la compétition à somme nulle est contre-productive et dépassée. La France ferait bien de faire sienne la tendance multipolaire, portée sur une coopération mutuellement bénéfique, afin de conserver ses influences en place en diverses régions d’Afro-Eurasie, et de les entendre à de nouvelles zones. Si elle tente de s’agripper à ses perspectives très compétitives, elle ne fera qu’ignorer les enseignements précédents, et répétera les mêmes erreurs qui ont déjà découlé sur une perte d’influence de la France dans ces espaces géostratégiques.

NdSF : L'auteur fait preuve de beaucoup d'indulgence avec la France en titrant cet article "Grande Stratégie". On est en droit de penser que le galimatias de la "stratégie" française s'apparente bien mieux à une politique du chien crevé au fil de l'eau, dont le charabia du en même temps est une parfaite concrétisation, qu'à l'application d'une poursuite de ses intérêts dans le temps.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone

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