Regardez et écoutez, ô vous qui avez les yeux et les oreilles ouverts. La longue, très longue campagne de l’État de sécurité nationale pour contrôler notre presse et nos radiodiffuseurs a pris une nouvelle tournure ces derniers temps. Si les médias indépendants sont ce qui maintient en vie l’espoir d’un quatrième pouvoir vigoureux et authentique, comme nous l’avons soutenu à plusieurs reprises dans cet espace, les médias indépendants font maintenant l’objet d’un effort insidieux et profondément anti-démocratique pour les miner.
Le Consortium indépendant des journalistes d’investigation, Frances Haugen, Maria Ressa : Considérons cette institution et ces personnes. Ce sont tous des fraudeurs, si par fraudeur on entend qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être et que leur prétention à l’indépendance vis-à-vis du pouvoir est bidon.
L’État profond – et à ce stade, c’est une plaisanterie que de s’opposer à ce terme – s’est depuis longtemps fixé comme priorité de mettre la presse et les radiodiffuseurs grand public à sa disposition – pour rendre une presse libre non libre. Cela se passe depuis les premières décennies de la guerre froide et est bien documenté de manière responsable. (Hélas, si les Américains lisaient les nombreux et excellents livres et exposés sur ce sujet, des affirmations telles que celle qui vient d’être faite ne passeraient pas comme outrées.)
Mais plusieurs nouvelles réalités sont maintenant très évidentes. La principale d’entre elles est que la colonisation des médias commerciaux par l’État profond est désormais plus ou moins complète. CNN, qui remplit son temps d’antenne de barbouzes, de généraux et de divers menteurs, officiels ou non, peut être considérée comme ayant été totalement mise sous contrôle. Le New York Times est, de prime abord, supervisé par le gouvernement, comme il l’avoue de temps en temps dans ses propres pages. Le Washington Post, qui appartient à un homme ayant de très juteux contrats avec la CIA, est devenu une bande dessinée.
Pour des raisons que je ne comprendrai jamais entièrement, les médias commerciaux n’ont pas simplement renoncé à leur légitimité : Ils ont activement, et avec enthousiasme, abandonné toute prétention à la crédibilité qu’ils pouvaient avoir. L’État de sécurité nationale incorpore les médias grand public dans son appareil, puis les gens cessent de croire les médias grand public : disons que leur charme a disparu.
Accumulation de la crédibilité
En conséquence de ces deux facteurs, les médias indépendants ont commencé à s’élever au rang de … médias indépendants. Ils accumulent des audiences. Petit à petit, ils acquièrent les habitudes de professionnalisme que la presse et les radiodiffuseurs traditionnels ont laissé se dégrader. Peu à peu, ils acquièrent la crédibilité que le courant dominant a perdue.
Certains phénomènes engendrés par les médias indépendants s’avèrent populaires. Il y a les lanceurs d’alerte. Les gens à l’intérieur des institutions de l’État profond commencent à divulguer des informations, et ils se tournent vers les médias indépendants, dont le plus célèbre est WikiLeaks, pour faire circuler l’information. Alors que les employés de l’État profond dans les médias traditionnels gardent la tête basse et la bouche fermée tout en encaissant leurs chèques, les médias indépendants prennent des positions de principe en faveur de la liberté d’expression, et les gens admirent ces positions. Ils sont, après tout, admirables.
Ceux qui peuplent l’appareil tentaculaire de l’État de sécurité nationale ne sont pas stupides. Ils comprennent la réponse logique à ces développements aussi bien que n’importe qui . Le nouvel impératif est maintenant devant nous : Il s’agit de coloniser les médias indépendants comme ils l’ont fait pour le courant dominant au cours des décennies précédentes.
Il y a des cas désespérément maladroits. Je demande instamment à tous mes collègues de ne plus perdre leur temps avec The Young Turks, à quelque titre que ce soit. Ceux qui le dirigent, les créatures de ceux qui le financent généreusement, sont tout simplement en dessous de tout. Comme Matt Taibbi l’a souligné ce week-end dans un article merveilleusement intitulé « Oui, Virginia [siège de la CIA et autres services de renseignement – NdT], il y a un État profond », ils ont maintenant un bouffon nommé Ben Carollo qui proclame que la CIA est une force responsable du bien, sauveur de la démocratie – ceci dans une vidéo apparaissant sous la rubrique « Rebel HQ ».
Comme un ami émigré d’Europe de l’Est avait l’habitude de dire, « Arrête ton char ».
Democracy Now ! est un exemple plus subtil de cette colonisation. La jadis admirable Amy Goodman a avalé la farce du « Russiagate », ce que j’ai considéré comme le premier signe d’une intervention discrète, d’un type ou d’un autre. Puis elle a cédé à l’orthodoxie sur l’arnaque des armes chimiques pendant la crise syrienne, et dernièrement – il faut le voir pour le croire – Goodman a commencé à diffuser les reportages « d’investigation » de CNN avec une approbation sans réserve.
Il semble que les donateurs de Democracy Now ! aient menacé de différer leurs versements.
Les trois phénomènes récents suggérés ci-dessus sont des indications des dernières tactiques de l’État profond dans son assaut contre les médias indépendants et la culture qui en découle. Il nous incombe de comprendre cela.
Le Consortium international des journalistes d’investigation
Il y a deux semaines, le Consortium international des journalistes d’investigation a publié « The Pandora Papers », une « fuite » de 12 millions de documents électroniques révélant les agissements en matière de fraude fiscale et de dissimulation d’argent de quelque 300 personnalités politiques dans le monde. « Les Pandora Papers » ont suivi la publication des « Panama Papers » en 2016 et des « Paradise Papers » un an plus tard. Ces différentes publications contiennent de nombreuses révélations utiles, mais nous ne devons pas être dupes quant à la nature du projet.
Où l’ICIJ a-t-il obtenu les documents des « Pandora Papers », et comment ? Expliquer la provenance, l’authenticité, etc. est essentiel à toute entreprise d’investigation, mais l’ICIJ n’a rien à dire sur ce point.
Pourquoi, parmi toutes les personnes que « The Pandora Papers » dénonce, n’y a-t-il pas un seul Américain sur sa liste ? Comme le note Moon of Alabama dans une analyse [VF], cette liste est une liste de « personnes que les États-Unis n’aiment pas ».
L’ICIJ insiste vigoureusement sur son indépendance. Mais en y regardant de plus près, il s’avère que ce n’est pas le cas, quelle que soit votre définition du terme. Parmi ses donateurs figurent la Ford Foundation, dont les liens de longue date avec la CIA sont bien documentés, et Open Society Foundations, l’opération du célèbre George Soros qui se consacre à la promotion des coups d’État dans les pays qui ne respectent pas les règles du néolibéralisme.
Le groupe a été fondé en 1997 comme un projet du Center for Public Integrity, une autre institution qui se consacre à « inspirer le changement en utilisant le reportage d’investigation », comme le centre se décrit lui-même. Parmi ses sponsors figurent Ford, une fois de plus, et le Democracy Fund, qui a été fondé par Pierre Omidyar, banquier de The Intercept (un autre média « indépendant » compromis). Omidyar est, comme Soros, un sponsor d’opérations de subversion dans d’autres pays qui se font passer pour des projets de « société civile ».
Les autres sponsors de l’ICIJ (et d’ailleurs ceux du Democracy Fund) sont composés des mêmes types de fondations qui soutiennent NPR, PBS et d’autres médias de ce type. Quiconque suppose que les institutions médiatiques qui reçoivent de l’argent de tels sponsors sont authentiquement indépendantes ne comprend pas que la philanthropie est un canal bien établi par lequel les orthodoxies sont appliquées.
Que voyons-nous ici ? Certainement pas ce qu’on nous demande de voir. J’y reviendrai.
Maria Ressa
- Maria Ressa s’exprimant lors du Forum économique mondial en 2014. (Sikarin Thanachaiary, Forum économique mondial, Flickr)
Il y a le cas de Maria Ressa, la co-lauréate du prix Nobel de la paix de cette année, une journaliste philippine qui a fondé The Rappler, une publication en ligne à Manille. Le comité Nobel a cité Ressa pour son « combat pour la liberté d’expression ». Alors, qui est Maria Ressa et qu’est-ce que The Rappler ?
Je suis lassé de le répéter : Elle et sa publication ne sont pas ce que nous sommes censés penser qu’ils sont.
Ressa et The Rappler, qui insistent tous deux sur leur indépendance comme le fait l’ICIJ, mentent carrément sur ce point. The Rappler a récemment reçu une subvention de 180 000 dollars de la National Endowment for Democracy, une façade de la CIA – ceci selon un rapport financier de la NED publié plus tôt cette année. Pierre Omidyar et un groupe appelé North Base Media possèdent des actions sans droit de vote dans la publication. Parmi les partenaires de North Base figure le Media Development Investment Fund, qui a été fondé par George Soros pour faire ce que George Soros aime faire dans d’autres pays.
Commencez-vous à voir le tableau ? Lisez les noms côte à côte et vous verrez. A croire qu’ils bossent main dans la main.
Nobel en main, Maria Ressa a déjà déclaré que Julian Assange n’est pas un journaliste et que les médias indépendants ont besoin d’une nouvelle réglementation, comme dans « censure ». Henry Kissinger a obtenu un Nobel en tant que pacifiste : Ressa en obtient un en tant que défenseur de la liberté d’expression. C’est tout à fait logique.
Frances Haugen
- Frances Haugen (Bureau du Sénateur Richard Blumenthal, Wikimedia Commons)
Ceci nous amène au cas de Frances Haugen, l’ancienne cadre de Facebook qui s’est récemment présentée devant le Congrès en brandissant de nombreux documents qu’elle semble avoir cachés dans les bureaux de Facebook pour plaider en faveur de – quoi d’autre à ce stade ? -… une réglementation gouvernementale accrue des médias sociaux, c’est-à-dire la censure. Frances Haugen, voyez-vous, est une courageuse lanceuse d’alerte qui dit la vérité au pouvoir. Peu importe que son apparition au Capitole ait été soigneusement chorégraphiée par des agents du Parti Démocrate.
Il est difficile de dire qui est le plus courageux, je trouve – l’ICIJ, Maria Ressa, ou Frances Haugen. Où serions-nous sans eux ?
La culture des médias indépendants telle qu’elle a germé et s’est développée au cours de la dernière décennie nous a donné WikiLeaks, et son efficacité ne peut être surestimée. Elle nous a donné toutes sortes de journalistes courageux qui défendent les principes d’une presse véritablement libre, et les gens les ont écoutés. Elle nous a donné des lanceurs d’alerte qui sont admirés même si l’État profond les condamne.
Et maintenant, l’État de la sécurité nationale nous donne une équipe de divulgateurs de secrets composée de valets du courant dominant, une journaliste faussement indépendante élevée aux plus grands honneurs, et une lanceuse d’alerte qui s’est vue remettre son sifflet – trois lèche-bottes, trois simulacres. Ce sont trois escrocs. Ils sont au journalisme indépendant ce que McDonald’s est à la nourriture.
Il n’y a qu’une seule défense contre cet assaut contre la vérité et l’intégrité, mais c’est une très bonne défense. Il s’agit de la sensibilisation. CNN, Democracy Now !, l’ICIJ, Maria Ressa, Frances Haugen – aucun de ces médias et de nombreuses autres personnes ne sont correctement étiquetés. Mais les étiquettes peuvent être écrites avec des efforts modestes. La prise de conscience et l’examen minutieux, l’observation et l’écoute, seront suffisants.
Patrick Lawrence
Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l’International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est « Time No Longer : Americans After the American Century « . Suivez-le sur Twitter @thefloutist. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
Traduction « l’absence de solidarité entre médias indépendants sera leur talon d’achille » par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Remarque personnelle : Le Prix Nobel de la Paix, la journaliste Maria Ressa, a déclaré que ce que faisaient Julian Assange et Wikileaks n’était pas du vrai journalisme. Ce qui me fait dire que le Prix Nobel est à la paix et au journalisme ce que le Concours de l’Eurovision est à la musique.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir