Les chefs militaires de trois pays s’étaient réunis avec leurs interprètes dans la Cité interdite historique de Pékin. Le général chinois Wei Fenghe accueillait le vice-maréchal nord-coréen Kim Jong-gwan et le général de l’armée russe Valery Gerasimov. Les personnes réunies étaient d’humeur joviale et faisaient tinter les coupes de champagne.
« Combattre le feu par le feu. N’est-ce pas ce qu’on dit ? », déclara le vice-maréchal Kim.
Ils ont tous levé leur verre à nouveau.
Kim compara le CHRUNK (Chine-Russie-Corée du Nord) nouvellement formé à la collaboration AUKUS, où les États-Unis et le Royaume-Uni ont convenu de s’associer et de fournir des sous-marins nucléaires à l’Australie. Dans le cadre de CHRUNK, la Corée du Nord recevrait des sous-marins nucléaires de la Chine et de la Russie.
« L’oncle Sam ne va pas aimer ça », ajouta Kim avec un sourire en coin.
« Et qu’est-ce que l’oncle Sam va faire à ce sujet ? » déclara Gerasimov, qui affichait habituellement un visage sombre.
« Qu’est-ce que l’Oncle Sam peut faire ? » dit le général Wei aux cheveux grisonnants. « Rien. »
Kim et Gerasimov sourirent à leur hôte chinois.
« Vous pouvez probablement vous attendre à une augmentation du nombre de navires de la marine américaine en mer de Chine méridionale », déclara Gerasimov, en agitant son bras droit sur le côté. « Et ils viendront probablement avec une flottille de sous-marins nucléaires. J’espère qu’ils sauront naviguer en mer », a-t-il ajouté en faisant référence à la récente collision de l’USS Connecticut.
« Laissez-les venir », dit Wei. « Nous aurons chacun nos propres sous-marins nucléaires maintenant. »
« Mais les Américains, et bien sûr les Britanniques et les Australiens – les animaux de compagnie aboyeurs des Américains – se plaindront de notre contribution à la prolifération nucléaire », considéra Kim.
« Eh bien, les Américains auraient dû y penser avant de fournir des sous-marins nucléaires à l’Australie, et d’énerver Macron au passage », rétorqua Gerasimov.
« Le fait est que les Australiens n’ont pas d’armes nucléaires et que vous en avez », ajouta Wei en regardant Kim.
« C’est vrai, mais nous avons une politique de non-utilisation en premier, tout comme la Chine », lui répondit Kim.
Gerasimov prit la pose, le bras gauche en travers du corps, le coude droit sur la main gauche et la main droite repliée sous le menton, comme le « Penseur » de Rodin.
« En l’état, il n’y a plus rien à sanctionner chez aucun d’entre nous », gloussa Gerasimov.
« Et il est salutaire que nous coopérions pour surmonter les sanctions. En tout cas, nous, les Coréens, maintiendrons notre juche (2) », déclara Kim.
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À Washington, l’ambiance était résolument différente de celle de Pékin. Dans le bureau ovale, le président Joe Biden était furieux. « Comment osent-ils faire ça ? », s’écria-t-il en tapant du poing sur la table.
Son cercle restreint restait silencieux. La vice-présidente Kamala Harris changea la position de ses mains, l’une sur l’autre sur le revers de son tailleur pantalon, à la manière de la fashionista Hillary Clinton. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, hocha la tête. Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, était assis, le visage sévère. Le secrétaire d’État, Antony Blinken, ajouta : « Nous devons faire quelque chose contre ces parvenus communistes. »
Austin se tourna vers son collègue et le regarda solennellement. Il songea à informer le secrétaire d’État que la Russie n’était plus communiste, mais il se mordit la langue. Puis il prit la parole : « Que proposez-vous de faire ? Nous les avons sanctionnés, nous avons fait de notre mieux pour que nos alliés ne fassent pas affaire avec eux, nous avons fait enfermer leur directeur financier technologique dans une procédure d’extradition. Nous avons rompu notre engagement envers la Chine unique, et nous avons envoyé des canonnières pour essayer de les effrayer. Où est-ce que tout cela nous a menés ? »
L’air dans la salle était devenu lourd et tendu. À part Biden, qui semblait maintenant s’assoupir, les autres savaient ce que le général à la retraite Austin avait laissé entendre : l’impensable. La guerre. Une guerre avec des adversaires dotés de l’arme nucléaire.
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La réunion du CHRUNK à Beijing se termina par un nouvel ordre du jour qui proposait de discuter de la liberté de navigation des flotilles dans le détroit de Floride, du soutien à l’indépendance de Porto Rico, et d’une éventuelle extension du CHRUNK à Cuba et de son équipement en sous-marins nucléaires.
[NDT]
(1) CHRUNK a deux sens potentiels en anglais : soit le mot-valise fait de Christmas et drunk (saoûl) qui signifie bourré à Noël, soit une homophonie avec shrunk, participe passé de shrink, qui signifie rétréci, rapetissé.
(2) Le juche (en coréen : 주체사상, romanisation nord-coréenne : Juchesasang « pensée du corps-maître, est une idéologie autocratique qui fonde le régime de la République populaire démocratique de Corée et conçue par son premier dirigeant Kim Il-sung.
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