Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Eun a bu une bière de fabrication locale en l’honneur du Hwasong-8 (Hwasong= Mars), un missile balistique dérivé du Hwasong-12 mais équipé d’une ogive hypersonique en forme de planeur (glider).
Ce missile dont un exemplaire a été testé le 28 septembre 2021 suscite de très nombreuses interrogations parmi les spécialistes.
Le Hwasong-8 est une arme redoutable qui diffère des missiles hypersoniques chinois DF-13 et US Waverider. Les planeurs hypersoniques de ré-entrée atmosphérique sont conçus pour pénétrer les dispositifs de défense aérienne les plus denses et les plus complexes grâce à une extrême manœuvrabilité et une vitesse dépassant Mach 5 (~ 6170 km/h) rendant la trajectoire de ces engins imprévisible.
Très peu de choses sont connues sur les capacités de ce système d’arme qualifiée par Pyongyang d’avancee majeure dans le renforcement des capacités de défense mais il semble probable que ce type de missile est capable de passer à travers les systèmes anti-missiles actuellement en service.
L’expérience des systèmes ABM (Anti-Ballistic Missile) en péninsule arabique ou au Levant a souvent démontré les lacunes de ces systèmes à intercepter des missiles balistiques de technologie obsolète comme ceux tirés par les rebelles Houthis du Yémen sur des cibles en Arabie Saoudite. Il est admis qu’aucun système actuel de défense aérienne ou spatiale n’est capable d’intercepter un planeur hypersonique à trajectoire imprévisible.
Le premier essai nucléaire de Pyongyang date de l’année 2006. En quatorze ans ce petit pays reclus d’Asie du Nord-Est vivant en semi-autarcie a dévoué avec une frénésie très rare d’immenses ressources à son armement. Parmi les objectifs officiels de ce pays figuraient la miniaturisation des ogives nucléaires et le développement de vecteurs impossible à intercepter. Ces objectifs paraissaient à l’époque impossibles à atteindre et nombre d’observateurs riaient sous cape de la grossière bombe à hydrogène nord-coréenne qu’aucun aéronef ou missile ne pouvait emporter. La réalité allait montrer qu’il ne fallait pas sous-estimer un pays hanté par l’obssession-justifiée d’ailleurs d’un point de vue aussi historique que stratégique, d’une aggression étrangère.
L’existence du Hwasong-8 pose un sérieux problème en terme de concepts liés à ce que certains observateurs appellent la bifurcation évolutive de type technologique d’un pays aux revenus très limités et de surcroît soumis à d’interminables régimes de sanctions internationales. Jusqu’à présent seuls la République populaire de Chine et la Fédération de Russie disposent de tels systèmes d’armes, respectivement le DF-13 et le Vanguard, tous deux déclarés opérationnels en 2019 seulement. D’autres pays comme les États-Unis et l’Inde (et probablement le Pakistan) développent des missiles hypersoniques mais apparaissent ne pas avoir atteint le stage opérationnel. Une telle évolution de pointe des industries de défense de la Corée du Nord pourrait indiquer alors que ce pays dispose d’un très haut potentiel technologique ou qu’il s’appuie sur une sorte de réservoir secret à accès restreint et inexistant d’un point de vue juridique. Les images de l’ogive hypersonique diffusées par les médias nord-coréens à l’occasion de l’anniversaire du Parti des Travailleurs (parti unique au pouvoir) sont délibérément claires et destinées moins à mettre fin à toute spéculation mettant en doute l’existence de telles armes dans l’inventaire nord-coréen qu’à exercer un effet de dissuasion psychologique. Dans les faits, l’admission de la maîtrise par la Corée du Nord de telles technologies de défense laissent la plupart des observateurs dans un profond état de choc.
La Corée du Nord offre en 2021 le modèle d’un État (qu’importe son régime ou idéologie) s’étant affranchi entièrement des entraves d’un système international figé depuis la Conférence de Yalta en 1945. C’est surtout un pays qui a bâti une redoutable force de dissuasion nucléaire qui a fait voler en éclats l’ensemble du socle de la stratégie US en Asie du Nord-Est en déstabilisant le statu quo post-1946 au Japon et en permettant à la Chine à manœuvrer une défense sans limitation tacite derrière l’ombre de Kim Jong-Eun dont le parcours semble suivre celui de son grand-père, le fondateur de la dynastie.
Le Hwasong-8 vaut certainement plus qu’un toast à coups de bières locales entre Kim et ses généraux. C’est une arme particulierement redoutable et complexe des trois décennies à venir que Pyongyang semble bien décidé à maîtriser aux côtés des plus grandes puissances.
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