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par Hajnalka Vincze.
Dès son entrée en fonction, l’administration Biden entérine le changement de paradigme de la politique américaine. Après les détours, les tâtonnements et les approches mi-figue mi-raisin qui ont caractérisé les deux dernières décennies, la nouvelle équipe poursuit et consolide la transition entamée par son prédécesseur honni : le XXIe siècle sera dominé, sans ambiguïté aucune, par la confrontation avec la Chine. Le reste – y compris les autres adversaires, de même que les alliés européens – va être interprété, traité et, le cas échéant, instrumentalisé en fonction de ce duel.
La Chine, la Chine, la Chine…
Déjà sous l’administration Obama, la Chine et la Russie ont été identifiées comme les deux puissances « révisionnistes » qui tentent de « remettre en cause certains éléments de l’ordre mondial dominé par les États-Unis ». Les documents de la présidence Trump, et plus encore la Stratégie nationale intérimaire de la nouvelle équipe Biden mettent le projecteur principalement sur la Chine : « le seul concurrent potentiellement capable de conjuguer ses activités économiques, diplomatiques, militaires, et sa puissance technologique pour poser un défi durable à un système international stable et ouvert ». Sans surprise, l’Alliance atlantique est priée de s’y adapter au plus vite. Ce sera chose faite au sommet de Londres de décembre 2019, avec une première référence timide : la Chine présente « à la fois des opportunités et des défis, auxquels nous devons répondre ensemble, en tant qu’Alliance ».
À la Conférence de Munich en février 2021, le Secrétaire général de l’OTAN nomme formellement la Chine en première place des défis à relever. Les alliés européens acquiescent mais n’en sont pas moins inquiets pour la crédibilité des garanties américaines : il y a belle lurette que les États-Unis avaient abandonné la doctrine qui prévoyait de mener à la fois deux guerres. Le président démocrate de la Commission des forces armées au Congrès l’a récemment confirmé : il faut « avouer que nous ne pouvons pas dominer partout, en particulier pas dans des conflits simultanés ». Mais tous ont à cœur cette mise en garde de l’excellent Stephen M. Walt : « Pour sauver l’OTAN, les Européens doivent devenir l’ennemi de la Chine ». Le président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, le député démocrate Gerald Connolly dit la même chose, de manière à peine plus élégante : « les Alliés doivent redoubler d’efforts pour relever ensemble ce défi [de la montée en puissance de la Chine] s’ils veulent que l’Alliance conserve sa pertinence ».
La Russie comme épouvantail
Les documents stratégiques américains opèrent une distinction subtile : la Chine est présentée comme le principal « rival stratégique », la Russie comme un « perturbateur », celle qui « déstabilise ». Qu’ils les mentionnent pourtant toujours ensemble n’est pas du tout anodin. L’essentiel, pour les États-Unis, est sa politique d’endiguement de la Chine, et actionner le levier européen est primordial pour atteindre cet objectif. Or plus la menace russe est vive, plus il est facile d’enrôler les Européens dans cette « grande stratégie ». Washington peut s’assurer la loyauté de ses alliés européens, eux-mêmes divisés, de deux façons : soit en tant que protecteur fiable pour ceux qui sont les plus exposés aux velléités russes ; soit en faisant en sorte que la coopération devienne impossible entre Moscou et les alliés de l’Ouest qui en seraient tentés, comme Paris, Berlin ou Rome.
D’où la fermeté de l’administration Biden face aux mobilisations russes à la frontière ukrainienne en avril 2021 d’un côté, et ses pressions assorties de menaces au sujet du gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 de l’autre. Dans les deux cas, il s’agit de s’assurer que, pour reprendre les termes de Jens Stoltenberg, « la solidarité stratégique dans l’OTAN prime sur l’autonomie stratégique européenne ». La troisième pièce du puzzle passe par l’accès américain à la politique de défense de l’UE. À peine sur place, la nouvelle équipe a obtenu sa participation dans le projet « mobilité militaire », faisant partie d’un paquet d’initiatives destinées, en principe, à renforcer l’autonomie européenne. Comme l’a dit Robert D. Kaplan, ancien conseiller au Pentagone : « L’OTAN et une défense européenne autonome ne peuvent pas toutes les deux prospérer. Seule l’une des deux le peut, et notre intérêt c’est que ce soit l’OTAN. L’Europe sera ainsi un atout et non pas un handicap pour nous, quand nous affrontons la Chine ».
Le délitement de l’Europe
Pour les observateurs extérieurs situés suffisamment loin, le diagnostic s’impose avec la force de l’évidence : plutôt que la Chine ou la Russie, qui ne sont pourtant pas anodines, c’est l’immigration en masse – avec les changements démographiques et culturels qu’elle entraîne – qui est, pour les décennies à venir, le défi prédominant pour notre continent. Le diplomate-universitaire singapourien Kishore Mahbubani le décrit très clairement dans son récent livre, très remarqué outre-Atlantique, « La Chine a-t-elle gagné ? ». D’après lui : du fait même de sa « malheureuse géographie », pour l’Europe, « la perspective de se voir envahie par des millions de migrants arrivés en petits bateaux est très plausible ». Si les conditions politico-économiques ne s’améliorent pas rapidement sur le continent africain, l’Europe peut s’attendre, poursuit-il, « à ce que des dizaines, voire des centaines de millions d’Africains frappent à sa porte ».
Étant donné l’ampleur et la complexité du danger, les Européens auront besoin de tous les alliés possibles. Dans la lutte contre le terrorisme islamiste proprement dit, les États-Unis continuent d’être un allié précieux, tant sur le plan opérationnel que sur celui du renseignement. Toutefois, ils sont dans une situation démographique et géographique complètement différente : ils peuvent certes être menacés par quelques attentats sanglants, mais pas dans leur cohésion sociale, leur culture, leur existence. Non seulement ils focaliseront donc le gros de leur énergie sur autre chose, la Chine, mais dès que l’on se préoccupe des autres dimensions du défi, Washington peut même se trouver en opposition idéologique.
Comme le président Obama qui, en 2009 dans son fameux discours au Caire, tend la main au monde musulman en vilipendant, sans la nommer, la France : « Il importe que les pays occidentaux évitent d’empêcher les musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple, en dictant ce qu’une musulmane devrait porter. Nous ne pouvons pas déguiser l’hostilité envers la religion sous couvert de libéralisme ». Par contraste, dit-il, « le gouvernement des États-Unis a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hijab et pour punir ceux qui leur contesteraient ce droit ». Du fait de l’incompréhension totale, en Amérique, quant à la notion même de la laïcité qu’ils réduisent à la seule liberté religieuse, le président Biden et son entourage resteront sur cette ligne, voire davantage.
Face au double défi de l’immigration en masse et de l’islam politique, l’Europe aurait d’autres alliés naturels, mais qui ne font pas l’unanimité en Europe et sont vus d’un très mauvais œil en Amérique : la Chine et la Russie. Pékin pourrait être un partenaire particulièrement utile en vue de la stabilisation et le développement de l’Afrique. Pour ce qui est de Moscou, Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial du président Macron pour la Russie, constate : « Nous avons, au fond les mêmes adversaires, les mêmes soucis, les mêmes préoccupations dans l’ordre international. C’est un très grand pays, cent nationalités, vingt millions de musulmans. Le terrorisme, ils le connaissent, ils ont dû le subir à Moscou, à Beslan en Tchétchénie. Par conséquent, nous avons quand même quelques intérêts communs ». Sauf que Washington va exiger un alignement sans faille de leurs alliés sur sa politique face à ces deux pays.
Un récent rapport du Service de Recherches du Congrès américain note : « Les responsables européens se plaignent régulièrement que les États-Unis attendent de leur part un soutien automatique ». En effet, lorsque les Européens entendent le président Biden dire que l’Amérique va à nouveau « guider le monde » et « s’engager dans l’Alliance », ils savent qu’ils seront priés de s’aligner sur leur allié le plus puissant. De toute façon, quelle que soit l’administration américaine, la réaction des Européens est la même. Leur « déférence excessive vis-à-vis des États-Unis », définie comme telle par un ancien conseiller du Département d’État et l’ex-directeur britannique de l’Agence européenne de défense, se vérifie à chaque fois, immanquablement. Sous Donald Trump, les concessions se faisaient par peur, pour conjurer la mauvaise humeur président américain, sous Joe Biden, c’est par soulagement, pour le remercier de ne pas les traiter de haut trop ouvertement.
L’asymétrie fondamentale de la relation ne change pas. À l’époque, le général de Gaulle reprocha à Washington de substituer la simple consultation à l’idéal de codécision. Depuis, même les consultations se font rares. Les alliés ont été placés devant le fait accompli par la décision de Joe Biden sur le retrait d’Afghanistan (alors même que les soldats américains ne donnaient plus qu’un quart des effectifs de la force internationale). Ils ont assisté, ébahis, aux saillies de l’administration Biden qui en l’espace de quelques jours a qualifié Vladimir Poutine de « tueur » et la Chine « génocidaire » face aux Ouïghours et « la plus grande menace à la stabilité internationale ». Tétanisés à l’idée que le moindre écart ne puisse mettre en péril le partenariat avec l’Amérique, les Européens s’y résignent.
Le secrétaire d’État Anthony Blinken assiste en visioconférence au Conseil des Affaires étrangères de fin février 2021 qui décide la mise en place de nouvelles sanctions contre la Russie. Un mois plus tard, l’UE impose les premières sanctions en 30 ans contre la Chine, pour le traitement des Ouïghours, en coordination avec Washington. Le tout sous la menace constante de représailles américaines, contre les entreprises européennes, grâce au régime des sanctions extraterritoriales. La ministre de la Défense allemande n’avait-elle pas prévenu à la veille des élections américaines que « les illusions d’autonomie stratégique doivent cesser » ? Les autres dirigeants européens se sont empressés de la rejoindre et Paris reste, comme toujours, seul à répéter : l’autonomie stratégique est la condition sine qua non pour « pouvoir peser par nous-mêmes et non pas devenir le vassal de telle ou telle puissance et ne plus avoir notre mot à dire ».
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L’ambassadeur chinois à Bruxelles s’était moqué, à propos du renoncement à lever l’embargo sur les armes vers la Chine, de la « soumission pathétique » des Européens « incapables de prendre leurs propres décisions sans être influencés par d’autres puissances ». Aujourd’hui, l’ancien Conseiller à la sécurité nationale, Herbert McMaster les met en garde : soit ils s’alignent sur Washington contre la Chine, soit ils choisissent « la servitude » à Pékin. Les deux visions se complètent et se renforcent. Ils confirment le constat fait par le président français : à moins d’assumer pleinement une ambition d’autonomie, les Européens « auront le choix entre deux dominations » dans un monde « structuré autour de deux grands pôles : les États-Unis d’Amérique et la Chine ». Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, soutient vaillamment que « Nous n’avons pas à choisir entre les deux. Cela devra se passer comme la chanson de Sinatra ‘My Way’ ». Il oublie que ladite chanson n’est que l’adaptation de celle de Claude François, dont le titre est beaucoup plus en adéquation avec l’aversion pavlovienne des Européens pour toute idée d’émancipation : « Comme d’habitude ».
Les Européens face à l’ancienne-nouvelle politique étrangère américaine, Engagement n°131 (été 2021), ASAF (Association de soutien à l’armée française).
source : https://hajnalka-vincze.com
envoyé par Dominique Delawarde
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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