La commission Gendron écrivait qu’il fallait viser à : « faire du français la langue commune des Québécois […], une langue que tous connaissent […], de telle sorte qu’elle puisse servir […] de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de toute origine ». Cette notion de « langue commune » est extrêmement importante.
Il faut saluer le fait qu’elle se trouve maintenant dans le titre même du projet de loi et que l’article 1 du PL96 vient modifier la Charte en ce sens.
L’axe principal du PL96 est « l’exemplarité de l’État » et me semble être une tentative pour restreindre le bilinguisme systémique de l’État québécois, bilinguisme qui a été réimposé par les tribunaux fédéraux après 1977. Cela me semble incontournable car le français ne peut être à la fois la « langue officielle » et constituer une langue sur deux, une langue optionnelle pour l’État québécois même.
Mais débilinguiser l’État ne sera pas, je crois, une mince affaire alors que le bilinguisme est rendu quasi universel chez les francophones, qu’il est profondément entré dans les mœurs et que les jeunes, en particulier, sont de plus en plus intéressés à utiliser « l’anglais dans leur vie quotidienne » (Statistique Canada). Dans ce contexte, comment va-t-on pouvoir restreindre l’offre active de services en anglais? Je crois qu’on risque de se retrouver avec une situation où les services en anglais ne seraient théoriquement pas disponibles pour tous, tout en l’étant en pratique. Cela serait dommageable pour le statut du français.
Aucun « Livre blanc » n’a été déposé préalablement au dépôt du PL96. Le diagnostic linguistique établi par le gouvernement n’est donc pas du domaine public. Quel est-il?
Normalement, les objectifs que vise un projet de loi sont proportionnés aux besoins. Mais on ne connait ni les uns, ni les autres; ni les objectifs visés, ni le constat précis qui motive l’action. Excepté le fait, bien sûr, qu’un consensus semble se dégager à l’effet que la situation du français au Québec est inquiétante.
En entrevue, le ministre Jolin-Barrette a affirmé : « Un des objectifs sera d’augmenter les transferts linguistiques des immigrants à 90 %. C’est le plus grand défi que nous ayons. »
Je suis d’accord là-dessus.
Les projections démolinguistiques effectuées par Statistique Canada nous annoncent que les francophones ne constitueront plus que 69% de la population du Québec selon la langue maternelle et 73,6% selon la langue d’usage en 2036. Il s’agit d’une chute de 9,9 points et de 8 points, respectivement, par rapport à 2011, soit en vingt-cinq ans seulement. Entre 2006 et 2016, on a aussi mesuré un doublement de l’anglicisation des jeunes francophones à Montréal. On peut dire que, démographiquement parlant, le groupe de langue française est en « chute libre » au Québec.
Ce qui nous guette, c’est la mise en minorité des francophones sur de larges pans du territoire québécois (dans la région métropolitaine de Montréal, Laval, Gatineau, par exemple). Cette mise en minorité aura, a déjà, d’immenses conséquences politiques.
Le PL96 va-t-il arriver à déjouer ce scénario?
La réponse me semble être non.
Premièrement parce que la sélection de l’immigration est exclue de son champ d’action. Or, nous savons que c’est la sélection d’immigrants déjà francisés à l’étranger qui a permis de hausser les substitutions linguistiques vers le français de 20 à 55%. Pour arriver à 90% il faudrait n’accepter au Québec que des francotropes ou des gens ayant déjà une excellente maitrise du français avant l’arrivée. Et ce, pour toutes les catégories d’immigration et tous les statuts (temporaires ou permanents).
Deuxièmement parce que le PL96 est d’une timidité excessive concernant la surcomplétude institutionnelle dont jouissent les institutions de langue anglaise au Québec. Le réseau collégial anglais est dimensionné au double du poids démographique des anglophones et le réseau universitaire de langue anglaise est dimensionné au triple. Le PL96 aura très peu d’impacts sur les flux monétaires allant soutenir l’expansion des institutions anglaises au Québec. Le gouvernement du Québec s’apprête même à financer une expansion de 100M$ pour Dawson et à faire don du Royal Victoria à McGill, deux projets qui viendront rehausser la surcomplétude institutionnelle déjà massive des anglophones à Montréal.
Les mesures du PL96 seront mises en échec par ces investissements. Le gouvernement défait avec l’argent ce qu’il tente de faire avec le droit.
Je ne comprends pas, en particulier, l’hésitation à imposer les clauses scolaires de la Charte au niveau collégial. A mon avis, l’impérieuse nécessité de cette mesure crève les yeux. L’article 88.0.4 imposant une croissance contingentée au réseau collégial anglais est deux fois moins « costaude » que la mesure proposée par le Parti libéral du Québec, soit le gel des places dans les cégeps anglais. Et cette mesure ne fera rien pour contrer l’écrémage des meilleurs étudiants effectuée par les cégeps anglais, qui représente l’autre problème majeur affectant le collégial.
Le Québec finance le déclassement symbolique du français comme langue d’étude au collégial. L’anglais va rester la langue d’étude de l’élite.
En contingentant les places en anglais, le gouvernement du Québec jette les bases pour une contestation permanente de la clause 88.0.4. Cette politique ne sera pas acceptée socialement, cela me semble prévisible.
Une autre solution, mais partielle, serait de faire en sorte que le recrutement et la sélection des étudiants admis aux cégeps anglais ne soit pas du ressort des directions des cégeps anglais. L’ensemble des cégeps montréalais, dont Dawson, devrait être intégré dans le Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM). Un système panquébécois d’admission au collégial pourrait également être créé. Une sélection aléatoire des postulants aux cégeps anglais devrait être effectuée afin d’éliminer l’écrémage effectuée par ceux-ci. Et, bien sûr, les étudiants scolarisés en anglais au primaire et au secondaire devraient être priorisés lors de l’admission.
Également, les mesures du PL96 devraient inclure les cégeps privés non subventionnés. Ce réseau a connu une croissance exponentielle dans les dernières années et accueille des milliers d’étudiants internationaux qui étudient en anglais au Québec, ce qui contribue fortement à l’anglicisation de la région de Montréal. Ces étudiants internationaux, socialisés en anglais, constituent une partie croissante des candidats à l’immigration au Québec.
Il est contreproductif de socialiser les futurs immigrants en anglais au Québec et de tenter de les franciser ensuite en leur offrant des cours de français.
Plus largement, le gouvernement du Québec devrait axer sa politique linguistique sur l’usage du français et non pas sur sa simple connaissance.
Conclusion
Le PL96, dans sa forme actuelle, ne permettra guère de hausser les substitutions linguistiques des allophones à hauteur de 90% du total, ce qui est pourtant l’objectif qui semble être visé. Il ne déjouera pas le scénario que nous annoncent les projections démolinguistiques de Statistique Canada. Le français va continuer à reculer à grande vitesse au Québec, recul contre lequel les Québécois risquent de se sentir faussement protégés par des mesures bien intentionnées mais trop faibles.
Le PL96 ne pourrait avoir comme effet que de garantir la disponibilité de services en français au Québec et rendre plus confortable le chemin de la minorisation, qui est celui qu’emprunte maintenant la majorité francophone au Québec.
Pour lire l’intégral du mémoire, cliquez ici.
Pour écouter la présentation de Frédéric Lacroix et ses échanges avec les membres de la commission parlementaire:
http://assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-commissions/AudioVideo-91297.html
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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec