Le lancement du Grand Reset du « Grand Jeu »

Le lancement du Grand Reset du « Grand Jeu »

Ce que nous voyons en Afghanistan, c’est un leadership taliban très différent de celui que j’ai connu dans le passé. Ils ont tiré les leçons des erreurs du passé.


Par Alastair Crooke – Le 20 septembre 2021 – Source Al Mayadeen

C’est plus qu’une simple allusion. Lorsque le président Biden a été interrogé cette semaine par des journalistes sur les futures relations entre les talibans et la Chine, il a fait preuve d’une pure schadenfreude 1 : « La Chine a un réel problème avec les talibans », a déclaré Biden. Et pas seulement la Chine, a-t-il ajouté, mais aussi la Russie, l’Iran et le Pakistan. « Ils essaient tous de savoir ce qu’ils vont faire maintenant. Il sera donc intéressant de voir ce qui va se passer ».Driving a ‘Great Game’ Re-set

En clair, il exprime l’espoir que l’Afghanistan devienne un bourbier pour la Chine et la Russie, comme il l’a été pour les États-Unis. Le fait que Washington ait refusé d’inclure le nom de l’ETIM (Eastern Turkistan Islamic Movement) dans une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur l’Afghanistan laissait déjà entrevoir ce que Washington avait en tête pour entraîner la Chine dans « la boue afghane ». Le projet de texte original exigeait spécifiquement que les talibans ne soutiennent pas certains mouvements terroristes nommés. La Chine voulait que l’ETIM soit également identifié. Les États-Unis ont hésité et, finalement, la Chine et la Russie se sont abstenues lors d’un vote qui a finalement omis de citer des noms.

L’ETIM est une organisation extrémiste islamiste ouïghoure fondée dans l’ouest de la Chine. Ses objectifs déclarés sont de créer un État indépendant appelé Turkestan oriental, en remplacement de la province chinoise du Xinjiang. Obama l’a mise sur la liste des organisations terroristes, Trump l’en a retiré, et Biden l’a laissé de côté.

C’est un vieux scénario. Il semble que Biden et Washington ne parviennent pas à dépasser ces modèles rigides et scellés d’autrefois. C’est l’ancien conseiller américain à la sécurité nationale Brzezinski qui, à l’origine, a persuadé le président Carter, après l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, de signer la directive secrète visant à « ensemencer » l’Afghanistan avec des insurgés islamistes radicaux. Brzezinski espérait explicitement saper le gouvernement de l’époque et embourber l’Union soviétique dans la boue afghane. Il s’agissait alors de la première tentative de l’Amérique d’utiliser les djihadistes sunnites extrémistes pour affaiblir, et finalement détruire les gouvernements non conformes du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, au lieu de préparer un marécage creusé par les Saoudiens contre la Russie en Asie centrale, il semble que les États-Unis pourraient se tourner vers le nationalisme pan-turc comme nouvelle formule miracle pour perturber non seulement l’Afghanistan, mais aussi l’ensemble de l’Asie centrale – et ses lignes d’approvisionnement économique. « Ankara cherchera à utiliser sa position unique en Afghanistan et son accès à ce pays pour améliorer ses relations avec ses alliés de l’OTAN, en particulier les États-Unis », affirme un important groupe de réflexion américain de tendance belliciste. Quant aux coûts associés, ils poursuivent : « Ankara cherchera probablement … à subventionner les responsabilités qu’elle assume en recherchant des contrats privés et des ressources financières extérieures auprès des alliés de l’OTAN ».

L’Afghanistan compte une minorité turkmène, et l’ethnie turque s’étend – en une bande – jusqu’en Asie centrale et au Xinjiang. Le président Erdogan décrit périodiquement le Xinjiang comme le lieu de naissance de la race turque.

Le gros des forces turques a quitté l’Afghanistan le 27 août, apparemment sous la pression des talibans. Erdogan a toutefois laissé entendre qu’il « chercherait à positionner la Turquie comme une puissance régionale – à des fins de « sécurité et de stabilisation (sic) » ». Il propose que la Turquie, les pays turcs d’Asie centrale et le Pakistan travaillent en association avec les talibans – si ces derniers prennent des « mesures positives ». Il n’a pas précisé quelles étaient ces mesures, mais la Turquie pourrait tirer parti de ses liens avec les pays d’Asie centrale pour associer les objectifs turcs à ceux des États-Unis et de l’OTAN, selon le principal groupe de réflexion belliciste, l’Institute for the Study of War.

Ou, bien sûr, il pourrait également les intégrer aux objectifs russes et chinois, si le prix est correct.

Pour la « sécurité et la stabilisation », il faut lire effet de levier, car Erdogan possède un potentiel de perturbation turc unique en Asie centrale et en Chine. (Tous les dirigeants parlent désormais en langage purement « orwellien » (où « stabilité » signifie en réalité instabilité perturbatrice, lorsqu’ils veulent attirer l’attention de Washington !).

Le deuxième volet du « modèle par défaut » des États-Unis consiste à affaiblir suffisamment la cible pour qu’une figure ou un mouvement d’opposition malléable puisse se frayer un chemin dans un coin de l’« espace » politique, puis à le former ou à le mettre en place, en tant qu’opposition célèbre dans les médias. Ces dernières semaines, cependant, une telle personne – Ahmad Massoud – a rapidement fui le Panshir pour l’étranger, et la résistance a plié.

Le « deuxième volet » a rapidement progressé : les réserves financières de l’Afghanistan ont été gelées, et le FMI et la Banque mondiale ont reçu l’ordre de ne plus accorder de prêts aux talibans, laissant le pays affaibli et confronté à une grave catastrophe humanitaire.

Alors, cela fonctionnera-t-il ? L’Afghanistan va-t-il sombrer dans un bourbier ou une guerre civile ?

C’est certainement possible, dans une société aussi diverse sur le plan ethnique et traumatisée, déchirée par de profonds conflits. Il est vrai que les islamistes sunnites ont peu d’expérience dans la gestion d’un pays. Mais le problème des « anciens modèles » est qu’ils datent de 1979, et c’était il y a bien longtemps. Ils ne reflètent pas les énormes changements qui se sont produits depuis leur formulation. Ce que nous voyons en Afghanistan, c’est un leadership taliban très différent de celui que j’ai connu par le passé. Ils ont tiré les leçons des erreurs du passé. Mais là n’est pas l’essentiel.

La différence essentielle est que lorsque les États-Unis ont quitté l’Afghanistan pour la première fois (après le retrait soviétique), ils n’ont rien fait pour réparer la superstructure politique afghane après des années de mise en place délibérée de factions en désaccord les unes avec les autres dans des conditions sanglantes. Les Américains se sont lavés les mains – et ont déguerpi. La guerre civile était écrite d’avance. C’est ce que j’ai dit à l’ambassadeur américain et à son chef de la CIA à l’époque, mais ils savouraient tellement leur « revanche » sur la Russie qu’ils n’en avaient rien à faire.

Cette fois, cependant, il y a une énorme différence : la révolution en Afghanistan n’est qu’un des rouages d’un grand « Reset » du « Grand Jeu« . L’Afghanistan est dans une métamorphose indéterminée, mais l’Iran se réoriente stratégiquement vers l’est. Le Pakistan aussi. L’Asie centrale se réoriente vers l’Organisation de coopération de Shanghaï, l’Union économique eurasiatique, la Russie et la Chine.

L’équipe Biden peut rêver que le « heartland » de l’Asie centrale devienne un nouveau bourbier, mais l’Amérique n’y est plus. Personne, à l’exception de l’Inde peut-être, ne veut lui accorder la moindre place.

Les talibans voient clairement qui est maintenant aux commandes – ils ont assuré à la Chine que l’ETIM ne trouvera pas refuge en Afghanistan. Ils ont répété qu’ils étaient attachés à un leadership inclusif. Et la Chine, en retour, a accordé une aide financière d’urgence : 31 millions de dollars. C’est un début.

Le fait est que, contrairement à ce qui s’est passé lorsque les États-Unis ont quitté le pays pour la première fois, l’Afghanistan dispose désormais d’un groupe de soutien – l’Iran, le Pakistan, la Russie et la Chine – qui a tout intérêt à ce que l’Afghanistan devienne une entité stable et fonctionnelle, sans guerre civile et sans terrorisme. Et cela invite à un optimisme prudent.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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