« Il est fondamental de comprendre que, derrière l’événementiel à court terme, l’état de guerre entre les deux Corées est du pain béni pour Washington, prétexte parfait au maintien de ses bases dans la région. Stratégiquement parlant, contrairement à la fable médiatique serinée ici ou là, le drame serait que le régime nord-coréen tombe, rendant illégitime la présence militaire américaine (…)
Chaque provocation des Kim – appelons-les Kim I, Kim II et Kim III pour plus de simplicité – est prétexte à l’envoi de troupes américaines supplémentaires et de matériel dernier cri, au grand dam de la Russie et surtout de la Chine. Fins stratèges, les États-Unis utilisent habilement un conflit ancien et réel – la crise coréenne – pour placer leurs pions sur l’échiquier du Grand Jeu (…)
Le but stratégique de l’Amérique est de voir la menace nord-coréenne perdurer et d’entretenir un conflit de basse intensité en Asie orientale, suffisant pour y maintenir une présence militaire en réalité tournée contre Pékin et Moscou. »
Ces phrases de votre serviteur ne pouvaient pas être plus à propos, comme le montrent les derniers événements dans la case Nord-est du terrain de jeu eurasien…
Le 28 septembre, la Corée septentrionale a testé, avec succès apparemment, un missile hypersonique appelé Hwasong-8. Ce faisant, Pyongyang entre dans le club relativement fermé des pays maîtrisant peu ou prou cette technologie qui rebat les cartes militaro-stratégiques et dont Moscou est le leader pour l’instant incontesté.
Il n’en fallait pas plus pour que notre bonne presse, toujours aussi naïve, saute à pieds joints, le Figaro titrant sans rire Kim Jong-un fait monter la tension face à l’Amérique. En réalité, et à condition que les choses ne dérapent pas – c’est-à-dire que le conflit demeure de basse intensité (cf. plus haut) -, Washington a toutes les raisons du monde de se réjouir car le grand perdant de l’affaire est Pékin.
Grâce à l’indécrottable Kim III, magnifique idiot utile de l’empire, l’inénarrable John McCain peut reposer en paix. On se rappelle en effet qu’ « avant de passer de vie à trépas, [le sénateur avait laissé] un dernier cadeau empoisonné. Celui qui a passé sa carrière à réclamer toujours plus de bombardements et de révolutions colorées, qui a soutenu tous les fiascos guerriers américains se chiffrant en millions de morts (Kosovo, Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Ukraine), ne peut accepter de voir le démantèlement, même mineur, du réseau des 800 bases américaines dans le monde, qui plus est dans cette région hautement stratégique qu’est le Nord-Est asiatique. En tant que patron du Comité des forces armées au Sénat, il fait voter une loi restreignant fortement la possibilité de réduire le nombre de soldats américains en Corée du Sud. Il peut maintenant retrouver Brzezinski ou Spykman l’esprit tranquille : quelle que soit l’évolution de la question nord-coréenne, la présence militaire états-unienne est à peu près garantie au Pays du Matin calme. »
Avec une Corée du nord disposant de surcroît de missiles hypersoniques, cette présence américaine est assurée ad vitam eternam…
Le Washingtonistan est tellement peu tracassé par les récents essais de Pyongyang que la CIA vient d’ailleurs de fermer son centre de surveillance spécifiquement consacré aux activités nord-coréennes pour en ouvrir un sur… la Chine !
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