Le 1er octobre l’Iran a démarré des exercisations militaires d’envergure à la frontière nord, celle avec l’Azerbaïdjan. Cela fait suite à plusieurs semaines de tensions entre les deux pays, dont les origines remontent à la fin de l’Union soviétique et à l’accès à le difficile indépendance de l’Azerbaïdjan. En arrière-fond semblent s’agiter les intérêts de la Turquie, d’Israël, de la Russie, du Pakistan et des États-Unis.
La construction de l’Azerbaïdjan
L’Azerbaïdjan est un petit pays du Caucase méridional dont la capitale, Bakou, donne sur la mer Caspienne. Il est riche en hydrocarbures, et sa population est turcophone, de sorte que l’alliance avec la Turquie est, depuis l’indépendance, très étroite. Turquie et Azerbaïdjan ont une expression pour définir leurs relations : « Un peuple, deux nations ».
Avant la création d’une éphémère République démocratique d’Azerbaïdjan en 1918, l’Azerbaïdjan n’avait jamais existé en tant que nation. Avant cette date, les territoires de l’actuel Azerbaïdjan, où vivaient différents peuples (Arméniens, Kurdes, Azéris, Talysh, Grecs, Lezguiens…) avaient été sous domination perse jusqu’en 1813, date à laquelle l’Empire russe annexa tout le Caucase méridional. En 1920 la petite république indépendante tombe entre les mains des Soviétiques qui récupèrent ainsi ce territoire. Ils le garderont jusqu’en 1991, lorsque l’URSS cesse d’exister et les quinze républiques qui composaient la deuxième puissance mondiale prennent leur indépendance. Il fallait donc, pour le gouvernement azerbaïdjanais, bâtir une identité commune, avec des institutions solides, tout en faisant attention à se démarquer le plus possible du passé communiste et de ne pas tomber à nouveau dans l’orbite russe ou dans celle iranienne.
Les premières années d’indépendance sont extrêmement difficiles. Le Haut-Karabagh, région autonome habitée par les Arméniens mais placée sous administration azerbaïdjanaise par Staline en 1923, est en pleine sécession, car les habitants craignent, à juste titre, une épuration ethnique si le Haut-Karabagh demeure dans le territoire azerbaïdjanais. Le premier gouvernement d’Azerbaïdjan, celui du président Ayaz Mütəllibov, est contraint à démissionner seulement quelques mois après sa prise de fonction, car incapable d’endiguer les avancées arméniennes au Haut-Karabagh. Son successeur, le nationaliste et virulemment anti-russe Aboulfaz Eltchibeï, ne s’en sortira pas mieux, et sera renversé par un coup d’État en juin 1993. C’est le retour du tout-puissant clan des Aliyev, qui dominait déjà l’Azerbaïdjan soviétique depuis 1969. Heydar Aliyev, ancien officier du KGB et apparatchik du vieux système, prend acte de la défaite azerbaïdjanaise au Haut-Karabagh et signe un cessez-le-feu en juin 1994 afin de se concentrer sur la création de l’Azerbaïdjan. Le pays n’a qu’un seul vrai atout : ses immenses réserves d’hydrocarbure, qui se trouvent enfuies dans la mer Caspienne. Aliyev exercera une présidence autocratique, éliminant toute opposition politique, concentrant le pouvoir entre les mains de son clan (qui deviendra richissime) et de son entourage et poussant à l’extrême les tentatives d’assimilation des minorités du pays. En même temps il signera un grand nombre de traités commerciaux avec l’Occident, et notamment avec les pays de l’UE, qui, sous pression états-unienne, cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis des hydrocarbures russes. La création de l’immense pipeline BTC, qui transporte le pétrole de l’Azerbaïdjan jusqu’à la ville portuaire de Ceyhan, en Turquie, attire d’importants investissements en Azerbaïdjan. France, Italie, Norvège, Royaume-Uni participent à ce projet colossal.
Depuis sa mort en décembre 2003, c’est son fils Ilham Aliyev qui a prit le pouvoir. Actuellement l’Azerbaïdjan est régulièrement au centre de toute sorte de scandales internationaux liés à des trafics d’influence au sein du Parlement européen et de blanchissement d’argent. Le pays est devenu une oligarchie hautement corrompue aux pieds de laquelle se pressent politiciens de tout bords et investisseurs.
L’indépendance de l’Azerbaïdjan a été fortement soutenue par le Royaume-Uni, dont les visées sur les champs pétrolifères datent des premières exploitations, à la fin du XIXème siècle. Il est également important de souligner comment Londres a pendant très longtemps exploité l’Iran et ses réserves pétrolifères, et cela jusqu’à la révolution chiite de 1979. Le rôle des États-Unis aussi est à souligner, car l’Azerbaïdjan est considéré comme étant, selon l’expression de l’ancien stratège de la Maison Blanche Zbigniew Brzezinski, l’un des « cinq pivots géostratégiques » majeurs pour contrôler l’Eurasie et contenir la Russie et ses alliés.
Les conséquences géopolitiques de la guerre du Haut-Karabagh
De l’autre côté de la frontière méridionale il y a l’Iran, pays qui compte une nombreuse communauté azerbaïdjanaise sur son sol – autour de quinze millions, mais le nombre exact est difficile à évaluer. Cette population turcophone se concentre en grande partie au nord, et elle est régulièrement traversée par des sentiments autonomistes, voir sécessionnistes, comme cela fut le cas pour le Gouvernement populaire d’Azerbaïdjan, entre 1945 et 1946. La capitale historique des Azerbaïdjanais d’Iran est Tabriz.
L’Iran regardait donc avec suspicion l’indépendance d’un Azerbaïdjan aux sentiments nationalistes, l’accusant à plusieurs reprises de fomenter les sentiments anti-iraniens des Azerbaïdjanais du nord. Vice-versa, l’Azerbaïdjan accusait l’Iran d’influencer sa politique intérieure en soutenant le clergé local. Les Azerbaïdjanais sont chiites comme les Iraniens, mais contrairement à l’Iran l’Azerbaïdjan est un pays laïque.
La guerre au Haut-Karabagh de fin 2020 a changé la donne. L’Azerbaïdjan a, avec l’accord tacite de la Russie et l’aide cruciale de Turquie, Israël et Pakistan, récupéré la plupart des territoires arméniens du Haut-Karabagh, et exerce encore aujourd’hui une forte pression politique et militaire sur les frontières d’Arménie et de ce qui reste de l’ancienne république sécessionniste, dont la survie est liée exclusivement à la présence des militaires russes.
La victoire azéro-turque a bouleversé les équilibres du Caucase, et cela en un moment particulièrement délicat pour l’Iran. Le pays doit faire face à la complexe situation afghane et aux dernières phases de la guerre en Syrie, où les troupes de Bachar al-Assad et de ses alliés vont reprendre le contrôle de la poche d’Idlib, sous contrôle turc depuis 2018. Politiquement, le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, doit asseoir son pouvoir, tandis qu’économiquement, Téhéran vient tout juste d’accéder à l’Organisation de Coopération de Shanghai.
Les bouleversements au Caucase sont majeurs. Avec la victoire de Bakou, la Turquie a pu étendre son influence au Caucase au détriment de l’Arménie, alliée de la Russie, de l’Iran et de la Géorgie. D’importants projets d’infrastructures vont relier les champs pétrolifères de la mer Caspienne à la Turquie via les territoires du Haut-Karabagh arrachés aux Arméniens et via la région arménienne du Syunik, bypassant de conséquence le territoire de Géorgie, qui se verrait ainsi privé d’une grosse partie de sa rentre. Ces projets renforceront ainsi l’axe panturque là où l’Arménie et le Haut-Karabagh le brisaient, avec des risques accrus de déstabilisation en Asie centrale.
La victoire de l’Azerbaïdjan renforce ultérieurement l’alliance entre Tel Aviv et Bakou. Israël fournit à l’Azerbaïdjan des armements de dernière génération, les célèbres « drones kamikazes » IAI Harop, et support politique, tandis que l’Azerbaïdjan couvre le 40% des besoin israéliens en hydrocarbures. L’Iran accuse donc l’Azerbaïdjan d’héberger sur son territoire, et notamment dans les territoires récupérés, des activités d’espionnage israélienne en fonction anti-iranienne.
D’un point de vue géographique l’alliance entre la Turquie, Israël, l’Azerbaïdjan et le Pakistan, dont la guerre du Haut-Karabagh semble se révéler au fond rien d’autre qu’un prétexte pour formaliser quelque chose qui était déjà présent auparavant, semble être faite pour contenir l’Iran, qui se voit ainsi sous pression à l’est (frontière avec le Pakistan et gouvernement taliban soutenu par le Pakistan), au nord (l’Azerbaïdjan et la Turquie) au sud (navires états-uniens, où les accrochages avec les patrouilles iraniennes sont fréquents) et à l’est (Israël).
Les tensions à la frontière
En ce qui concernent les actuelles tensions à la frontière, le déclencheur a été la décision unilatérale de la part de l’Azerbaïdjan d’imposer arbitrairement des lourdes taxes sur les camions iraniens qui traversent non seulement le territoire azerbaïdjanais qui à nouveau l’Arménie de ce qui reste du Haut-Karabagh (le fameux couloir de Latchine, sous contrôle azerbaïdjanais depuis décembre 2020) mais également les quelques kilomètres d’autoroute arménienne qui relie les villes de Kapan et Goris. Etant cette autoroute frontalière avec les nouvelles frontières, elle est actuellement sous contrôle azerbaïdjanais avec le prétexte que cette route aurait fait partie de la RSS d’Azerbaïdjan pendant l’époque soviétique. Contrôler cette route équivaut à couper les liaisons terrestres entre l’Iran et non seulement l’Arménie mais également le Haut-Karabagh, isolant presque totalement l’Arménie de ses liaisons terrestres, car des quatre frontières, deux, celles avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, sont fermées depuis le début des années 90.
Ces tensions ont induit le député iranien Mohammad Reza Ahmadi Sangari à déclarer sur Twitter : « On dirait que l’Azerbaïdjan se monte la tête depuis la victoire, remportée sous dopage turc. L’âge de votre petit pays est inférieur à l’âge du plus jeune député de notre parlement, alors ne vous ridiculisez pas inutilement ».
Les manœuvres militaires iranienne succèdent à d’autres, plus modestes, vers la fin septembre, et sont également une réponse aux manœuvres militaires conjointes en mer Caspienne entre l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan qui, rappelle l’Iran, va à l’encontre des traités signés en 2018 entre les pays riverains de cette mer fermée, et qui stipulent l’interdictions de la présence d’armées tierces dans la région. Dans les faits, l’influence de la Turquie a grandement augmentée en Azerbaïdjan, ce qui n’est pas sans irriter son l’Iran, dont la rivalité historique avec la Turquie est bien présente dans plusieurs théâtres d’opération, de la Syrie à l’Afghanistan en passant par le Caucase et l’Irak.
Maxence Smaniotto
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