Les erreurs de l’article de Yahoo ! sur Assange (Consortium News) — Joe LAURIA

Les erreurs de l’article de Yahoo ! sur Assange (Consortium News) — Joe LAURIA
Julian Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres avec la journaliste Stefania Maurizi, filmés par les caméras de surveillance d’UC Global.

Note du traducteur : Cet article de Joe Lauria publie de larges extraits de l’article de Yahoo !. Ces extraits ne sont pas repris ici et le lecteur est invité à consulter l’article en question : https://www.legrandsoir.info/kidnapping-assassinat-et-fusillade-a-lond…

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L’article de Yahoo !-fournit de nouveaux détails importants sur des faits signalés il y a un an, mais contient plusieurs erreurs, notamment une histoire inventée de toutes pièces selon laquelle des agents russes voulaient exfiltrer Assange de l’ambassade d’Équateur.

L’article de Yahoo ! News auquel on attribue à tort la révélation d’un complot de la CIA visant à assassiner ou à kidnapper l’éditeur de Wikileaks Julian Assange est truffé d’erreurs capitales, tout en fournissant de nouveaux détails importants sur les délibérations internes de Washington concernant la mise en place du complot.

Consortium News, ainsi que d’autres médias, a fait état il y a un an, le 30 septembre 2020, d’un complot de la CIA pour enlever ou empoisonner Julian Assange, sur la base d’un témoignage sous serment lors de l’audience d’extradition d’Assange à Londres. Max Blumenthal de The Grayzone a été le premier à rapporter l’histoire en mai 2020.

Le témoignage de septembre 2020, présenté pour la première fois devant un tribunal de Madrid, provenait d’un ancien associé et d’un employé d’UC Global, la société de sécurité espagnole payée par la CIA pour espionner Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres, y compris les conversations privilégiées d’Assange avec ses avocats et ses médecins.

L’un des témoins a déclaré qu’en décembre 2017, « les États-Unis étaient désespérés » de faire sortir Assange de l’ambassade, et que « des mesures plus extrêmes devaient être utilisées. »

Un témoin a déclaré que le PDG d’UC Global, David Morales, lui avait dit de « Laisser la porte de l’ambassade ouverte pour permettre à M. Assange d’être kidnappé et même que l’empoisonnement était envisagé ». Les deux témoins ont contacté un avocat qui s’est adressé à un tribunal de Madrid, lequel a ordonné un mandat d’arrêt, une perquisition au domicile de Morales et a émis des accusations contre lui pour espionnage d’Assange.

La réaction à l’article publié dimanche par Yahoo ! News prouve l’axiome selon lequel tant qu’un événement n’apparaît pas dans les médias grand public, il ne s’est pas produit. En effet, les médias établis ont largement ignoré cette histoire il y a un an, lorsqu’elle a été révélée au tribunal. L’article de Yahoo ! a maintenant été couvert par CNN, MSNBC, The Guardian et d’autres médias institutionnels, ce qui a permis à un public plus large d’en prendre connaissance pour la première fois et de faire pression sur l’administration Biden pour qu’elle abandonne l’affaire.

Ni le New York Times ni le Washington Post n’en ont parlé jusqu’à présent et n’ont pas couvert le témoignage de l’employé d’UC Global en septembre 2020. Le Guardian est l’un des rares grands médias à avoir rapporté l’affaire lorsqu’elle est apparue au tribunal. Yahoo ! a enterré profondément dans son article le fait que le Guardian avait déjà couvert l’affaire à l’époque (ils n’étaient ni les premiers ni les seuls), donnant ainsi l’impression que Yahoo ! révélait l’histoire pour la première fois.

Si l’article de Yahoo ! fait progresser l’histoire en confirmant à Washington le témoignage des témoins de UC Global et en apportant pour la première fois des détails cruciaux provenant de sources du renseignement américain, notamment le rôle de Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, dans le complot (voir ci-dessous), il contient un certain nombre d’erreurs factuelles.

  • Yahoo ! rapporte sans critique une histoire inventée de toutes pièces selon laquelle la Russie aurait tenté d’extraire Assange de l’ambassade d’Équateur.
  • Yahoo ! rapporte faussement que l’administration Obama n’a pris aucune mesure contre Assange jusqu’à ce que Wikileaks aide le lanceur d’alerte Edward Snowden à s’échapper de Hong Kong en 2013, alors que le FBI d’Obama a en fait mené une opération d’infiltration contre Assange en Islande en 2011, et a constitué un grand jury la même année, des faits qui ne sont pas mentionnés dans L’article de Yahoo !
  • Yahoo ! considère comme un fait que la Russie a piraté les Démocrates et a donné ses courriels à Assange, bien qu’il ne s’agisse que d’allégations dans un acte d’accusation américain, et ignore le témoignage au Congrès du PDG de CrowdStrike selon lequel il n’y avait aucune preuve concrète d’un piratage ayant entraîné le vol de données.

L’idée maîtresse de l’article de Yahoo ! est que l’administration Obama a été bonne envers Assange, tandis que des éléments de l’administration Trump ont comploté l’assassinat ou l’enlèvement avant de choisir la voie acceptable d’une action en justice contre Assange. Mais l’affaire juridique est également troublante.

L’article met également en place une idée trompeuse selon laquelle les méthodes extrajudiciaires de la CIA, comme l’assassinat et l’enlèvement, parfois en tant qu’actes indépendants sans directive présidentielle, sont rares dans l’histoire de l’agence. Son histoire est émaillée d’actes criminels, dont un grand nombre ont été révélés par des enquêtes du Congrès au milieu des années 1970.

Ce que la CIA a comploté de faire avec Assange est un acte criminel de plus dans une histoire sordide. Cela ne devrait pas choquer ceux qui connaissent cette histoire. Il n’y a jamais eu de moment où la CIA n’était pas prête à enfreindre la loi au service des élites américaines, et les États-Unis n’ont jamais été une nation gouvernée principalement par la loi et non par les hommes, comme le croient de nombreux Américains.

Empêcher l’exfiltration russe

La révélation la plus sensationnelle de l’article n’est pas le complot d’assassinat ou d’enlèvement, qui avait déjà été divulgué, mais le fait que la CIA a discuté avec ses homologues britanniques pour empêcher Assange – en utilisant des armes à feu si nécessaire – d’être exfiltré de l’ambassade d’Équateur par des agents du « renseignement russe ».

En réalité, le gouvernement équatorien a élaboré un plan visant à accorder l’immunité diplomatique à Assange et à l’envoyer dans un pays tiers, la Russie figurant parmi les destinations possibles. Cependant, lorsqu’Assange a été informé du plan, il a rejeté la Russie. Finalement, la Grande-Bretagne a refusé de reconnaître le statut diplomatique d’Assange, ce qui a mis fin à toute l’affaire. Mais Yahoo !, citant trois anciens responsables anonymes, répète sans critique l’histoire fantastique selon laquelle des agents russes devaient extraire Assange de l’ambassade et tenter de le faire monter dans un avion russe à Londres.

Ce soi-disant complot de la veille de Noël 2017 a été rapporté pour la première fois dans The Guardian par Luke Harding, connu pour ses reportages anti-russes et anti-Assange. Mais même Harding n’a pas signalé que les services de renseignement russes seraient impliqués dans l’extraction. Il a écrit que des diplomates équatoriens et russes se sont rencontrés à Londres pour discuter du transfert d’Assange avec immunité diplomatique vers la Russie, ce qui se serait naturellement produit dans le cadre du plan conçu par l’Équateur.

Selon Stella Moris, une avocate d’Assange et sa fiancée, l’histoire d’une extraction russe de l’ambassade est fausse et a été conçue par UC Global pour satisfaire la CIA et maintenir le contrat de 200 000 $ par mois, une tactique assez courante des informateurs qui inventent des choses pour plaire à leurs commanditaires. L’histoire inventée a vraisemblablement été révélée lors d’un témoignage dans l’affaire espagnole.

Yahoo ! reconnaît qu’UC Global a fourni le soi-disant complot russe. « … un témoignage dans le cadre d’une enquête criminelle espagnole suggère fortement que les services de renseignements américains ont peut-être aussi bénéficié d’une aide interne pour surveiller les plans d’Assange. »

Il est impossible de savoir si la CIA savait qu’on lui mentait. Selon Yahoo !, on l’a pris au sérieux.

Obama a pris des mesures en 2011

L’article de Yahoo ! dit qu’Obama n’a pris aucune mesure contre Assange jusqu’à ce qu’il aide Snowden en 2013.

Il est faux de dire que l’administration Obama a « restreint les enquêtes sur Assange et Wikileaks« . Les procureurs américains du district Est de la Virginie ont enquêté sur Assange et ont constitué un grand jury en 2011 dans le but de l’inculper pour la publication par Wikileaks des journaux de guerre en Irak et en Afghanistan ainsi que des câbles diplomatiques en 2010, qui constituaient un embarras pour les États-Unis. Bien que le ministère de la Justice d’Obama se soit finalement prononcé contre une mise en accusation d’Assange en raison de considérations liées au premier amendement, le grand jury a été réactivé par l’administration Trump en 2017.

Toujours en 2011, le Federal Bureau of Investigation du DOJ d’Obama a mené une opération d’infiltration contre Assange en Islande jusqu’à ce que le FBI soit expulsé du pays. Le mot « Islande » n’apparaît nulle part dans L’article de Yahoo ! L’informateur du FBI s’est rétracté, disant que ce qu’il leur avait dit sur Assange était inventé. Néanmoins, son témoignage constitue toujours une partie importante de l’acte d’accusation complémentaire des États-Unis contre Assange.

L’article de Yahoo ! contient également un commentaire énigmatique, qui n’est pas entièrement développé, indiquant que l’idée d’enlever Assange est née sous l’administration Obama. « Bien que l’idée d’enlever Assange ait précédé l’arrivée de Pompeo à Langley, le nouveau directeur s’est fait le champion de cette proposition, selon d’anciens responsables », indique l’article.

En outre, Yahoo ! affirme à tort que l’intention de Wikileaks était d’envoyer Snowden à Moscou. L’article dit : « Wikileaks a aidé à organiser la fuite de Snowden de Hong Kong vers la Russie. Un rédacteur de Wikileaks a également accompagné Snowden en Russie et est resté avec lui pendant son séjour forcé de 39 jours dans un aéroport de Moscou…  » L’article cite sans critique les propos d’Evanina, l’ancien chef du contre-espionnage américain.

En fait, Wikileaks a réservé à Snowden un vol pour l’Équateur via Cuba avec un changement d’avion à Moscou. Les États-Unis ayant annulé le passeport de Snowden, il n’a pas pu prendre le vol de correspondance pour La Havane. Yahoo ! omet également de préciser que ce sont les États-Unis qui ont imposé son séjour à Moscou, où Snowden n’a jamais eu l’intention de rester.

Le « piratage » russe admis comme un fait

L’article de Yahoo ! enfreint une règle fondamentale du journalisme en présentant un acte d’accusation comme un fait, plutôt que des allégations qui doivent être prouvées devant un tribunal. Tout au long de l’article, nous lisons des phrases comme celles-ci : « En 2018, l’administration Trump a accordé à la CIA de nouvelles autorités secrètes agressives pour entreprendre le même genre d’opérations de pirater-et-publier pour lesquelles les renseignements russes ont utilisé Wikileaks. » (C’est nous qui soulignons).

Dans un article complémentaire de Yahoo ! publié mardi, intitulé « 5 big takeaways from an investigation into the CIA’s war on Wikileaks« , le langage est encore plus direct : « Comme les responsables du renseignement américain l’ont conclu plus tard, ces courriels ont été volés par des pirates informatiques du GRU, le service de renseignement étranger de la Russie, qui les ont ensuite fournis à Wikileaks dans le cadre d’un effort pour aider à élire Donald Trump président. »

L’acte d’accusation contre les agents du GRU (l’agence de renseignement de la défense russe) ne sera jamais prouvé parce que les agents du GRU ne seront jamais extradés aux États-Unis, notamment parce qu’il n’existe pas de traité d’extradition entre les deux pays. Les procureurs le savaient, et leur acte d’accusation est donc devenu un instrument politique utilisé contre la Russie par des médias bien disposés. Yahoo ! est toujours à l’œuvre.

Le Comité national démocrate a refusé de permettre au FBI d’examiner son serveur informatique afin de découvrir comment les courriels ont été dérobés. Au lieu de cela, le DNC a engagé une société privée, CrowdStrike, qui a reçu une image disque du serveur et non un accès direct à celui-ci. Lors d’une audience à huis clos devant la commission du renseignement de la Chambre des représentants, le 5 décembre 2017, Shawn Henry, président de CrowdStrike, a admis sous serment que son entreprise n’avait aucune preuve solide que les courriels du DNC avaient été piratés – par la Russie ou par quelqu’un d’autre – et que les données avaient été extraites.

Le président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, Adam Schiff, a pu garder le témoignage de Henry caché jusqu’au 7 mai 2020.

Interrogé par Schiff sur « la date à laquelle les Russes ont dérobé les données », Henry a répondu : « Nous n’avons tout simplement pas de preuves qu’elles ont effectivement été dérobées. »

Bien que les courriels aient été préjudiciables à la candidature d’Hillary Clinton, Wikileaks a fait du journalisme en les publiant.

Il ne s’agissait pas d’un cas de puissance étrangère sabotant une élection américaine par la désinformation. Les courriels étaient authentiques et ont entraîné la démission de plusieurs hauts responsables du DNC. Il s’agissait d’informations données aux électeurs américains sur l’un des candidats. Le fait d’avoir été en possession des courriels et de ne pas les avoir publiés aurait été une faute professionnelle journalistique.

Assange a également essayé d’obtenir du matériel sur Trump. Dans le film Risk, réalisé en 2017 par la cinéaste Laura Poitras, Assange est filmé au téléphone début 2016 en train de dire que Wikileaks avait obtenu des emails sur Hillary Clinton et que « nous espérons obtenir quelque chose sur Trump. » Comme l’a écrit la journaliste Stefania Maurizi pour Consortium News, Wikileaks a bien obtenu des documents sur Trump mais a découvert qu’ils avaient déjà été publiés.

Il n’y a aucune preuve que Wikileaks ait eu des documents sur Trump et les ait étouffés, une idée fausse largement répandue. Assange n’était favorable à aucun des deux candidats et, avant l’élection, il a déclaré que le choix entre les deux candidats revenait à choisir « la peste ou le choléra ».

Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks, a déclaré à CN Live ! que si Wikileaks avait eu des informations préjudiciables sur Trump, ils les auraient certainement publiées, surtout avant une élection où les électeurs doivent être informés sur les candidats.

Le rapport de l’avocat spécial Robert Mueller allègue qu’Assange a communiqué en ligne avec des agents des services de renseignement de la défense du GRU russe se faisant passer pour « Guccifer 2.0 » afin d’obtenir des fuites de courriels du Parti démocrate, une allégation rapportée comme un fait établi par Yahoo ! Même s’il était vrai que Guccifer 2.0 était une couverture pour les services de renseignement russes, Mueller a refusé de poursuivre Assange parce que rien ne prouvait qu’il en était conscient.

Si ce sont les Russes qui ont fourni le matériel à Assange, les courriels étaient toujours authentiques, ce qui signifie qu’il importe peu de savoir qui était la source de la fuite. Les boîtes de dépôt anonymes [technologie mise au point et offerte par Wikileaks – NDT] du Wall Street Journal, de CNN et d’autres grands médias le prouvent. Ils n’ont pas besoin ou envie de connaître la source si les documents dignes d’intérêt sont authentifiés. En théorie, la Russie pourrait envoyer des documents à la boîte de dépôt anonyme de CNN et, s’ils sont vérifiés, CNN pourrait publier ces documents sans jamais savoir que c’est Moscou qui les a fournis.

Lorsqu’un journaliste recueille des preuves orales auprès d’une source, le motif de cette dernière doit être examiné de près. Mais si les documents sont vérifiés et méritent d’être publiés, le motif de la source qui les fournit n’est pas pertinent. Les procureurs travaillent tout le temps avec certains des pires éléments de la société, mais ils utilisent leurs preuves crédibles si cela peut leur permettre d’attraper un plus gros poisson.

Bien qu’il ne soit pas pertinent de savoir si la Russie a donné les e-mails de Clinton à Wikileaks, une grande partie de la frénésie du Russiagate était basée sur de simples allégations d’un lien entre Wikileaks et la Russie, une allégation amplement amplifiée par Yahoo ! comme une vérité. Yahoo ! considère comme un fait avéré que Guccifer 2.0 était un pseudonyme en ligne des agents du GRU russe et que des interceptions de la NSA montrent que Guccifer communique avec Wikileaks au sujet du transfert des courriels démocrates.

Assange nie toujours que la Russie était la source des courriels, et pas seulement « à l’époque », ce qui implique qu’il aurait changé de discours. L’identité de Guccifer 2.0 en tant que façade pour les Russes a également été contestée, notamment par les Veterans Intelligence Professionals for Sanity (VIPS).

Cela s’est produit au plus fort du Russiagate. La publication d’informations exactes et critiques à l’égard des États-Unis était présentée comme provenant d’un pion d’une puissance étrangère hostile, une diffamation maccarthyste que Yahoo ! répète.

Il est intéressant de noter que l’article de Yahoo ! est d’abord apparu sur Aol. à 2 heures du matin dimanche dernier, curieusement avec la seule signature de Zach Dorfman. Il est ensuite apparu sur Yahoo ! lui-même 20 heures plus tard, à 22 heures, avec deux autres signatures ajoutées, dont celle de Michael Isikoff.

Isikoff était l’un des promoteurs médiatiques les plus en vue de la théorie du complot Russiagate, écrivant un best-seller de mars 2018 avec David Corn de Mother Jones intitulé Russian Roulette. Après que l’avocat spécial Robert Mueller a conclu qu’il n’y avait aucune preuve d’une conspiration entre la Russie et la campagne Trump, Isikoff a légèrement fait marche arrière en décembre 2018, manquant de peu d’admettre qu’il avait tort. Russian Roulette a néanmoins été réédité en tant qu’édition numérique spéciale en 2020. Et comme l’indique l’article de Yahoo !, Isikoff s’accroche toujours à des éléments du Russiagate.

Les importantes révélations de Yahoo !

L’article de Yahoo ! contient un certain nombre de révélations troublantes qui approfondissent notre connaissance de la guerre du gouvernement américain contre Assange et Wikileaks.

Il complète le complot déjà connu contre Assange en signalant que des responsables de la CIA et de l’administration Trump ont demandé des « options » et des « ébauches » sur la façon de tuer Assange. Des plans d’enlèvement ou d’assassinat de l’éditeur de Wikileaks ont été discutés aux « plus hauts niveaux » de l’administration.

Le document confirme ce qui a toujours semblé évident : le directeur de la CIA de l’époque, Mike Pompeo, était à l’origine des efforts visant à enlever ou à tuer Assange en représailles à la publication de Vault 7 par Wikileaks en 2017, la plus grande fuite de documents de la CIA de son histoire.

Pompeo et d’autres hauts responsables de la CIA étaient « complètement détachés de la réalité parce qu’ils étaient tellement gênés par Vault 7. Ils voyaient rouge », indique l’article citant un ancien responsable de la sécurité nationale de Trump.

La description de Wikileaks par Pompeo comme un « service de renseignement hostile et non étatique » a été conçue pour permettre à l’agence d’agir agressivement contre l’organisation comme s’il s’agissait d’une agence de renseignement étrangère, un scénario d’espions contre espions, qui, selon certains responsables, affranchissait la CIA d’une directive présidentielle et de la surveillance du Congrès, rapporte Yahoo !

Yahoo ! nous dit que cette approche a également été adoptée parce qu’entre les murs du siège de la CIA, il y avait un doute sur le fait que Wikileaks travaillait réellement pour le Kremlin, bien qu’en public, les responsables racontaient une histoire différente. « ’Il y avait beaucoup de débats juridiques : Opèrent-ils en tant qu’agent russe ? » a déclaré l’ancien fonctionnaire. Il n’était pas clair qu’ils l’étaient, donc la question était de savoir s’ils pouvaient être considérés comme une entité hostile ».

Certains responsables de Trump ont été suffisamment alarmés pour contacter des membres du personnel des comités de surveillance du renseignement du Congrès sur ce qui se passait. Yahoo ! rapporte que le président Donald Trump a demandé à tuer Assange.

Trump a nié à Yahoo ! qu’il avait discuté de tuer Assange, qui, selon lui, était « très mal traité ».

Le complot visant à tuer ou à enlever Assange n’a jamais vu le jour en raison des objections des avocats de la Maison Blanche et d’autres responsables de l’administration Trump qui ont alerté les commissions du renseignement de la Chambre et du Sénat des des desseins de Pompeo. « Cette dérive a soulevé de sérieuses préoccupations en matière de contrôle des services de renseignement », aurait déclaré un responsable de la sécurité nationale de Trump.

Selon l’article, ces plans extrajudiciaires ont suscité la mise en accusation d’Assange.

Le 21 décembre 2018, le ministère de la Justice a secrètement inculpé Assange.

La révélation la plus importante est peut-être que la CIA a également ciblé des « associés » de Wikileaks en vue d’un éventuel assassinat.

Nous avons également appris qu’Assange était si important pour la CIA que les mises à jour le concernant étaient fréquemment incluses dans le President’s Daily Brief de Trump. La CIA a réuni un « groupe d’analystes connu officieusement sous le nom de « l’équipe Wikileaks » dans son Bureau des questions transnationales, avec pour mission d’examiner l’organisation, selon un ancien responsable de l’agence. »

L’article montre tout ce que la CIA a fait pour tenter de contourner les problèmes liés au premier amendement dans le cas d’Assange.

Tenter de dénigrer des journalistes sérieux qui critiquent le pouvoir américain, comme Assange (ainsi que Greenwald et Poitras), en les qualifiant d’ »agents d’une puissance étrangère » montre qu’un gouvernement américain vindicatif a été exposé à des preuves évidentes de crimes de guerre, d’ingérence dans les affaires intérieures d’autres nations et d’espionnage d’adversaires, d’alliés et de citoyens, et a réagi en emprisonnant et en inculpant le journaliste qui a révélé ces méfaits.

L’inculpation d’Assange est une attaque contre la liberté de la presse, généralement associée aux régimes totalitaires les plus agressifs, qui touche au cœur de la façon dont l’Occident se définit : comme une démocratie qui défend le droit de critiquer le gouvernement, ou comme un autoritarisme qui écrase la dissidence.

En fin de compte, les discussions sur l’assassinat « n’ont abouti à rien, selon d’anciens responsables », rapporte Yahoo !

Le contexte manquant de l’histoire de la CIA

La considération de la loi a fini par l’emporter, mais le fait que la CIA ait sérieusement envisagé d’assassiner ou de capturer Assange ne devrait surprendre personne, car cela s’inscrit parfaitement dans les 74 ans d’histoire de la Central Intelligence Agency. Nombre de ces crimes ont été révélés par la Commission Rockefeller, les auditions de la Commission Church du Sénat et le rapport final de 1975.

Première page du NY Times du 11 juin 1975, rapportant les conclusions de la Commission Rockefeller.

Ces commissions ont mis au jour un grand nombre d’abus, notamment l’opération MKULTRA, dans le cadre de laquelle la CIA, sans autorisation présidentielle et opérant illégalement sur le sol américain, a drogué et torturé des citoyens américains dans le cadre d’une expérience de contrôle mental. Ont également été révélés Family Jewels, un programme secret de la CIA consistant à assassiner des dirigeants étrangers, et l’opération Mockingbird, qui visait à infiltrer les médias américains et internationaux pour diffuser de la propagande déguisée en informations.

La CIA a une longue histoire d’opérations secrètes indépendantes au cours desquelles la Maison Blanche a perdu le contrôle de l’agence. Arthur Krock, le légendaire journaliste du New York Times, dans une chronique du 3 octobre 1963, faisait référence à une dépêche du journal Scripps-Howards en provenance de Saigon qui affirmait que la CIA au Viêt Nam refusait d’exécuter les instructions du Département d’État parce qu’ »elle n’était pas d’accord avec lui ».

La croissance de la C.I.A. était « comparée à une tumeur maligne » que le « très haut fonctionnaire n’était pas sûr que même la Maison Blanche puisse contrôler… encore longtemps », écrit Krock. « ’Si les États-Unis connaissent un jour [une tentative de coup d’État pour renverser le gouvernement], cela viendra de la C.I.A. et non du Pentagone’. L’agence ’représente un pouvoir énorme et une totale irresponsabilité vis-à-vis de quiconque’. « 

Krock écrivit qu’il incombait au président John F. Kennedy de mettre la CIA sous contrôle. « M. Kennedy devra porter un jugement si l’on veut mettre fin au spectacle de la guerre au sein du pouvoir exécutif et préserver le fonctionnement efficace de la C.I.A. ». Cette chronique fut rédigée sept semaines avant l’assassinat de Kennedy.

Un mois plus tard, en décembre 1963, l’ancien président Harry Truman écrivait une tribune dans le Washington Post intitulée « Limiter le rôle de la CIA au renseignement », dans laquelle Truman préconisait la fin des opérations secrètes. « Je n’ai jamais pensé, lorsque j’ai créé la CIA, qu’elle serait investie dans des opérations de cape et d’épée en temps de paix », a-t-il écrit. « Certaines des complications et de l’embarras que je pense que nous avons connus sont en partie attribuables au fait que ce bras discret du président en matière de renseignement s’est tellement éloigné de son rôle prévu qu’il est interprété comme un symbole d’intrigues étrangères sinistres et mystérieuses – et un sujet pour la propagande ennemie de la guerre froide. »

À la suite de la Commission Rockefeller et du Comité Church, certaines réformes ont été instituées, notamment la formation du tribunal FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), l’interdiction des assassinats et la création des comités de surveillance du renseignement de la Chambre et du Sénat. Ces comités sont tous devenus des chambres d’enregistrement virtuelles pour la CIA, comme en témoigne le fait que l’agence a espionné la commission du Sénat au sujet du rapport sur la torture en 2014, sans en subir aucune conséquence.

Un an seulement après ces réformes, la CIA, sous la direction de George H.W. Bush, a contourné la surveillance en menant des opérations secrètes officieuses dans le cadre du Safari Club, avec l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Maroc, la France et l’Iran du Shah. Le club était financé par de l’argent blanchi par la banque corrompue Bank of Credit and Commerce International (BCCI) et était impliqué dans des opérations secrètes, principalement en Afrique.

Pompeo s’inscrivait donc dans une longue tradition lorsqu’il a voulu agir contre Assange sans autorité présidentielle. Pompeo lui-même, dans un clip vidéo largement diffusé, admet que la CIA « ment, triche et vole », et ajoute bizarrement qu’elle lui rappelle « l’expérience américaine », un aveu curieux que les États-Unis sont construits sur des mensonges, des tromperies et des vols.

« Sans directive présidentielle – la directive utilisée pour justifier les opérations secrètes – l’assassinat d’Assange ou d’autres membres de Wikileaks serait illégal, selon plusieurs anciens responsables du renseignement », rapporte Yahoo ! « Dans certaines situations, même une directive ne suffit pas à rendre une action légale, a déclaré un ancien responsable de la sécurité nationale. »

Sourcer l’information

À l’exception de deux sources nommées, l’ensemble de l’article s’appuie sur d’anciens et d’actuels agents de renseignement américains anonymes et sur des responsables de la sécurité nationale de Trump. Yahoo ! affirme que l’article est « basé sur des conversations avec plus de 30 anciens responsables américains – dont huit ont décrit les détails des propositions de la CIA pour enlever Assange. »

M. Pompeo a déclaré que ces 30 fonctionnaires devraient être poursuivis pour avoir révélé des informations classifiées de la CIA. On ne peut que spéculer sur ce qui a poussé ces anciens responsables à parler anonymement à Yahoo ! mais l’article indique clairement qu’ils étaient opposés aux mesures extrêmes proposées contre Assange et Wikileaks.

La source la plus souvent citée est William Evanina, décrit comme le « plus haut responsable du contre-espionnage des États-Unis » jusqu’à sa retraite au début de cette année. Selon son profil LinkedIn, M. Evanina a également été chef de la division du contre-espionnage de la CIA, agent du FBI, membre d’une équipe du SWAT et tireur d’élite certifié pour le Bureau.

En tant que chef du National Counterintelligence and Security Center, il a fait des déclarations sur les tentatives présumées de la Russie de s’immiscer dans l’élection présidentielle américaine de 2020 en dénigrant les activités de Joe Biden en Ukraine.

Evanina fait preuve d’une nette animosité à l’égard de Wikileaks, se plaignant que « nous avons été freinés pendant des années » par l’administration Obama, qui était réticente à autoriser les cyberopérations contre Wikileaks.

Cette réticence a pris fin après l’incident Snowden, dit-il, et les agences d’espionnage américaines ont travaillé avec les services de renseignement étrangers pour lier Wikileaks « aux services de renseignement d’États hostiles », ce qui n’a jamais été prouvé au-delà des allégations du gouvernement.

En tant qu’ancien agent du FBI et officier de contre-espionnage, Evanina n’est en aucun cas qualifié pour juger de ce qu’est le journalisme. Pourtant, Yahoo ! lui donne le droit de dire sans critique à propos de Wikileaks : « Ce n’est pas une organisation journalistique, ils en sont très loin. »

L’article de Yahoo ! contribuera-t-il à la libération d’Assange ?

L’impact possible de l’article de Yahoo ! sur l’administration Biden serait que la Maison Blanche et le Département de la justice cèdent à la pression de ces révélations et abandonnent l’appel des États-Unis contre la décision d’un magistrat de ne pas extrader Assange vers les États-Unis. L’audience d’appel sur le fond a lieu à la Haute Cour de Londres les 27 et 28 octobre.

L’appel a été initié par Trump mais poursuivi jusqu’à présent par Biden. Il est étroitement axé sur la santé d’Assange, les États-Unis contestant la décision du magistrat selon laquelle il n’est pas en mesure de supporter une prison américaine. Les avocats d’Assange pourraient faire valoir que sa santé mentale a été affectée par le genre de menaces américaines qui ont maintenant été confirmées.

Il faudra peut-être faire preuve de créativité pour introduire les conclusions de Yahoo ! dans la cour d’appel. La Haute Cour n’autorise normalement pas de nouvelles preuves. Mais les preuves du complot d’enlèvement et d’assassinat ont déjà été introduites dans l’audience d’extradition par les témoins d’UC Global.

Les États-Unis ont « promis » de ne pas soumettre Assange à des mesures administratives spéciales (MAS), c’est-à-dire à l’isolement cellulaire le plus sévère. Cependant, il est apparu lors de l’audience d’extradition d’Assange en septembre dernier que la CIA jouerait un rôle dans la détermination de l’imposition de ces mesures. À la lumière du complot de la CIA pour tuer ou enlever Assange, un argument de défense pourrait être avancé sur ces bases contre l’appel des États-Unis.

Barry Pollack, l’avocat américain d’Assange, a déclaré à Yahoo ! que si Assange était extradé, « la nature extrême du type d’inconduite gouvernementale que vous signalez serait certainement un problème et potentiellement un motif de rejet ».

Cependant, il serait facile pour les responsables de Biden de maintenir l’appel en disant que ces tentatives extrajudiciaires de la CIA ont été planifiées par le régime détesté de Trump, pas par nous, qu’il y a maintenant un processus légal et qu’il doit continuer. En d’autres termes, contrairement à Trump, nous agissons correctement. Le ton de l’article de Yahoo ! est dans cette veine.

Biden était vice-président lorsque l’administration Obama a décidé de ne pas inculper Assange en 2011. Biden lui-même a déclaré à Meet the Press en décembre 2010 que seule une accusation d’intrusion informatique était envisagée, et non l’Espionage Act. Alors qu’est-ce qui a changé pour que Biden aille de l’avant avec l’inculpation de l’administration Trump ?

L’année 2016.

Bien qu’Assange n’ait été inculpé que pour des activités de publication en 2010 et non pour la publication des courriels du parti démocrate en 2016, il ne fait guère de doute que l’embarras de Clinton et les dommages causés à sa campagne (en raison de ses propres actions et de celles de sa campagne) sont à l’origine du maintien des poursuites par les démocrates.

L’article de Yahoo ! se termine par une citation rassurante d’un responsable anonyme de Trump condamnant le motif de Pompeo contre Assange.. : « Pour un ancien responsable de la sécurité nationale de Trump, les leçons de la campagne de la CIA contre Wikileaks sont claires. ’Il y avait un niveau d’attention inapproprié pour Assange compte tenu de l’embarras, et non de la menace qu’il représentait dans le contexte’, a déclaré ce responsable. Nous ne devrions jamais agir par désir de vengeance. »

Ce qui est exactement le motif apparent de Biden.

Joe Lauria

Traduction « les grands médias ne sont plus des observateurs de la scène politique, mais des acteurs à part entière » par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» https://consortiumnews.com/2021/10/02/what-the-yahoo-assange-report-got-wrong/

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

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« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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