Lors d’une interview à CNEWS entre Samia Maborouk, journaliste et Eric Zemmour, le 26 septembre 2021, une question importante a été abordée : pourquoi ce dernier ne reconnait pas les efforts des penseurs musulmans pour instaurer une lecture critique de l’Islam et pour aborder l’historicité de cette religion en combattant l’islamisme radical. Il répond par une affirmation de nature éthnocentriste, « orientaliste » et monolithique : ces efforts ont été, selon lui, vains parce qu’à chaque fois les réformateurs ont été « abattus » dans l’histoire de l’Islam. Il donne l’exemple des Mutazilites, les théologiens rationalistes qui ont tenté une interprétation critique et rationaliste de la révélation coranique, lesquels ont disparu au 9ème siècle. Selon M. Zemmour, les musulmans ont fermé les portes de l’Ijtihad et l’interprétation du Coran n’est plus possible. Par ailleurs, il affirme que les réformistes qui s’éloignent d’une « interprétation guerrière » de l’Islam se détachent en fait de l’Islam, lui-même. Ceci signifie pour lui qu’il est nécessaire de “franciser” la pratique de l’Islam.
On trouve ici toute la quintessence du discours culpabilisant de l’Occident contre l’Islam. Au-delà du fait que la possibilité ou l’impossibilité d’une lecture ou d’une interprétation de l’Islam concernent les musulmans avant tout, il n’en demeure pas moins important de souligner que ce qui s’est passé dans le monde musulman en termes de difficultés, d’obstacles aux réformes intellectuelles et théologiques et comme retard économique et technologique pour ne prendre que ces cas, est inhérent à l’hostilité et aux actions menées par l’Occident contre l’Islam.
Par conséquent, au lieu de culpabiliser les musulmans, M. Zemmour devrait se pencher surtout sur la culpabilité de l’Occident qui a toujours combattu l’Islam. M. Zemmour ne fait pas la différence entre l’islamisme et l’Islam et entre le traditionalisme et le réformisme parce qu’il véhicule cette vulgate combative de l’Occident contre l’Islam, rien de plus. Cette vulgate a été celle de l’Europe chrétienne qui a combattu l’Islam depuis son apparition au 7ème siècle jusqu’à l’époque moderne. Elle est donc responsable en grande partie des difficultés dont il a fait face jusqu’à aujourd’hui.
On pourrait même expliquer cette hostilité par les études historiques ou historicistes réalisées par les penseurs xénophobes et islamophobes. Le meilleur représentant de toute une tradition historique visant à stigmatiser et à identifier l’Islam comme une menace à l’Occident est Henri Pierre qui dans un livre controversé et allusif “Mahomet et Charlemagne” considère que l’arrivée de l’Islam en Méditerranée, a entraîné une rupture entre le nord et le sud de cet espace civilisationnel, entre le nord chrétien et le sud « mahométan ».
Il faudrait mettre l’accent sur cette interprétation éthnocentriste et égocentriste de l’histoire de la Méditerranée développée par cet historien parce ce que c’est à travers elle qu’on peut comprendre l’obstination de M. Zemmour contre les musulmans. Mutandis Mutandis, ce dernier parle d’invasion civilisationnelle musulmane contre la Chrétienté en France aujourd’hui de la même manière que Pirenne en 1937, date de la rédaction de son livre.
La fixation de Henri Pirenne sur l’Islam et le parallèle avec le discours de M. Zemmour.
Henri Pirenne compare entre les invasions germaniques de l’empire romain et l’arrivée de l’Islam au 7ème siècle. Alors que les germains se sont faits absorbés par la civilisation de Rome, l’Islam est venu en bloc pour couper la Méditerranée en deux. Selon Henri Pirenne, les Germains ont poursuivi la civilisation romaine et adoptent sa culture. Or, deux ans avant que la conquête islamique submerge la Méditerranée. L’Empire romain ne s’est pas douté de l’existence de cette nouvelle religion qui allait bientôt se « projeter sur le monde en même temps que sa domination ». Pirenne affirme « La conquête arabe qui se déclenche à la fois sur l’Europe et sur l’Asie est sans précédents ; Cette religion a encore ses fidèles aujourd’hui presque partout où elle s’est imposée sous les premiers khalifes. C’est un véritable miracle que sa diffusion foudroyante comparée à la lente progression du christianisme ».
Mais ce qui est important c’est qu’il affirme que les Arabes qui n’étaient pas plus nombreux que les Germains, « n’ont pas été absorbés comme eux par les populations de ces régions de civilisation supérieure dont ils se sont emparés…Tout est là. Il n’est qu’une réponse et elle est d’ordre moral. Tandis que les Germains n’ont rien à opposer au christianisme de l’Empire, les Arabes sont exaltés par une foi nouvelle. C’est cela et cela seul qui les rend inassimilables…Leur religion universelle est en même temps nationale. Ils sont les serviteurs de Dieu…Islam signifie résignation ou soumission à Dieu et Musulman veut dire soumis. Allah est un et il est logique dès lors que tous ses serviteurs aient pour devoir de l’imposer aux incroyants, aux infidèles ». Vraiment tout est là. Ce sont les mêmes mots qui seront utilisés par M. Zemmour : les musulmans sont inassimilables et ils sont exaltés par une foi toute différente de la culture française qui conforte en eux le sentiment d’être supérieurs aux autres races et aux autres religions. Le choc de l’Occident à l’arrivée de l’Islam en Méditerranée a été très rapide est grand. En 635, les musulmans conquièrent Damas et après la bataille de Yarmouk en 636 toute le Syrie tombe entre leurs mains. En 637, Jérusalem est prise et en 638, la Perse s’effondre. Puis l’Egypte et l’Afrique du Nord sont conquises à partir de 641 et l’Espagne devient musulmane en 711.
Henri Pierre rappelle le désarroi de l’Empire romain qui après avoir récupéré la Syrie, la Palestine et l’Egypte suite à une victoire éclatante contre les perses qui ont été au début victorieux, assiste impuissant à l’effondrement de l’Empire dans le sud de la Méditerranée. « Ces provinces que la Perse vient de lui rendre, l’Islam va brusquement les lui arracher. Héraclius (610‑641) devait assister impuissant au premier déchaînement de cette force nouvelle qui désorienta le monde et le dévoya » disait Pirenne. Dans le Coran, les batailles qui ont eu lieu entre les romains et les perses ont été évoquées. Ainsi par exemple, il y a ce verset : « Alif. Lām. Mīm. Les Romains ont été vaincus, dans les parties les plus proches / basses du pays. Mais après leur défaite, ils vaincront à leur tour, dans quelques années. L’ordre appartient à Allah, avant et après. En ce jour-là, les croyants se réjouiront » (Coran, sourate 30, « Ar-Roum » (Les Romains), versets 1- 4). Ce verset révélé au Prophète vers 622 parle d’une défaite militaire subie par les Byzantins qui sont venus se battre contre les Sassanides vers 619 sur les bords de la Mer Morte. Les Romains d’Orient se ressaisirent et remporteront une éclatante victoire contre les Perses vers 627, soit cinq années après la révélation du verset coranique qui avait prédit cette victoire ainsi que l’enchainement des évènements de cette Guerre. Ce qui est remarquable dans ce verset, ce n’est pas uniquement sa nature prémonitoire mais c’est surtout l’intérêt porté aux autres civilisations puisqu’il parle de la guerre entre les romains et les perses.
Après ce rappel de caractère miraculeux, revenant aux affirmations de Henri Pierre qui sont, selon moi, les fondements de l’idéologie de M. Zemmour. Voici ce qu’il dit de plus dangereux : « Chez les Germains, le vainqueur ira au vaincu spontanément. Chez les Arabes c’est le contraire, c’est le vaincu qui ira au vainqueur et il n’y pourra aller qu’en servant, comme lui, Allah, en lisant, comme lui, le Coran, donc en apprenant la langue qui est la langue sainte en même temps que la langue maîtresse ». Cette affirmation prend les allures d’un avertissement : les musulmans possèdent une religion qui assimile les peuples vaincus alors que les Germains ont été assimilés par la civilisation romaine. C’est exactement ce que dit M. Zemmour sur les musulmans d’Europe : ils ne peuvent être assimilés parce que leur religion est politique et dominatrice. Il laisse même entendre, à l’instar de ce qu’a dit Henri Pirenne, sur un plan strictement historique, que la religion islamique est une religion de soumission puisqu’elle a assujetti tous les sujets à l’obéissance d’Allah. Les peuples conquis n’ont pas été seulement convertis mais aussi assujettis. Les conquérants musulmans n’hésitent pas, selon Pirenne, à prendre comme butin le savoir, les techniques et les institutions des vaincus en les utilisant à la gloire d’Allah parce qu’ils ne sont pas attirés ni par la religion ni par la culture de ces derniers. Le revers de médaille est, selon lui, l’absence d’union entre les musulmans et les populations conquises.
C’est tout le contraire des Germains qui aussitôt la conquête de l’Empire romain achevée, ont été assimilés par celui-ci. « Le Germain se romanise dès qu’il entre dans la Romania. Le Romain, au contraire, s’arabise dès qu’il est conquis par l’Islam » a averti Pirenne.
La conclusion de Pirenne se veut vraiment prémonitoire : un nouveau monde a été créé en Méditerranée sur lequel Rome a autrefois imposé sa domination et a répondu sa civilisation. Une « déchirure » s’introduit qui dure jusqu’à aujourd’hui « Aux bords du Mare nostrum s’étendent désormais deux civilisations différentes et hostiles. Et si de nos jours l’Européenne s’est subordonné l’Asiatique, elle ne l’a pas assimilée. La mer qui avait été jusque‑là le centre de la Chrétienté en devient la frontière. L’unité méditerranéenne est brisée… Il y a eu coupure, rupture nette avec le passé. Le nouveau maître ne permet plus que, dans le rayon où il domine, aucune influence puisse échapper au contrôle d’Allah. Son droit tiré du Coran se substitue au droit romain, sa langue au grec et au latin ». M. Zemmour s’est nourri de ces méditations qui ne laissent pas indifférents les esprits crédules et les plus zélés, surtout ceux qui se déclarent comme les défenseurs de la Chrétienté et de la civilisation occidentale, laquelle se veut être la continuatrice de la civilisation romaine. Il s’est nourri de cette vulgate historiciste comme un ténébrion dans la farine. Pour lui comme pour tous les émules de cette tradition historique, l’Islam est un danger pour la France aujourd’hui comme il l’a été pour l’Empire Romain chrétien des siècles auparavant puisqu’il domine tout et remplace la culture et la civilisation en place. « En se christianisant, l’Empire avait changé d’âme, si l’on peut dire ; en s’islamisant, il change à la fois d’âme et de corps. La société civile est aussi transformée que la société religieuse » disait Pirenne.
Toutefois, M. Zemmour et tous ceux qui sont devenus les adeptes de cette nouvelle religion de la culpabilisation de l’Islam qui est la doxa de l’islamophobie ne veulent pas savoir que la réflexion mélancolique et proromaine de Pirenne est partiale et lacunaire. En histoire, il faut toujours remonter très loin pour trouver une légitimité, une crédibilité et une vérité.
L’Islam : le paradigme du droit à la diversité et à la différenciation opposable à l’assimilation
A vrai dire, Pirenne et son émule Zemmour ne ne se posent pas la question suivante : comment la civilisation romaine s’est construite ? La république romaine a détruit toutes les civilisations qui ont rayonné en Méditerranée et au Moyen-Orient : la carthaginoise, la thessalienne, la ptolémaïque, la séleucide, la gauloise, etc. Jamais dans l’histoire de l’antiquité, on a vu une telle destruction. Ce n’est pas un hasard que l’influence de la culture et de la civilisation romaines sur l’Europe s’est faite sentir jusqu’à aujourd’hui. Un tel héritage s’explique par le lot de destruction des autres cultures de l’antiquité à une échelle jamais égalée. Ce fut un véritable génocide civilisationnel. Les pertes humaines des conquêtes romaines s’élèvent à des millions. La crucifixion des 6000 esclaves de Spartacus entre Capoue et Rome en 71 av. J-C. hante toutes les mémoires et elle symbolise la cruauté romaine.
Mais les millions de morts en Gaule, dans les guerres civiles en Italie et en Afrique sont moins connues. Des cités jadis florissantes et de haute culture ont été complètement détruites comme Carthage et Corinthe. L’arrivée de l’Islam en Méditerranée au 7ème siècle est une revanche de l’histoire. C’est le rétablissement de la diversité civilisationnelle et du droit à la différence après un millénaire d’anéantissement par l’impérialisme romain. Ceci nous amène à proposer un nouveau paradigme opposable à la doxa des islamophobes. Au lieu de franciser la pratique de l’Islam et d’homogénéiser la culture de la France en assimilant les musulmans, il convient plutôt d’en appeler au droit à la diversité et à la différenciation qui sont les véritables richesses de la Méditerranée et du monde entier depuis l’aube de l’histoire. L’avènement de la civilisation islamique a été un progrès en cette matière. Une nouvelle civilisation s’est établie sur les rivages de la Méditerranée réclamant le droit à la différence et luttant contre l’impérialisme romain qui s’est acharné contre ce qu’il a appelé « les barbares » durant toutes les époques. Les romains subjuguaient les peuples divers de l’antiquité au nom de la civilisation. Mais quelle civilisation ? La civilisation latine d’Occident. Après la conquête de cette dernière par les Germains, c’est Byzance qui a repris le flambeau de la domination de la Méditerranée à partir du règne de Justinien en 540. C’est cet empire qui a été combattu par les musulmans au nom de la diversité, du droit à la différence, mais aussi et surtout au nom de la libération des peuples.
L’Islam : la libération des peuples
Lorsque les musulmans sont arrivés en Mésopotamie et ont vaincu les byzantins à la bataille du Yarmouk en 636, ils ont en fait libéré les populations arabes de Syrie et d’Irak qui ont été dominées par un protectorat byzantin. C’est cette libération qui explique que les arabes de ces contrées ont embrassé rapidement la nouvelle religion. Dans le livre de Pirenne, on a l’impression que les musulmans du califat des Rachidounes (les “bien guidés”) sont venus dominer la région et s’accaparer ses richesses. Rien n’est plus faux : ils ont plutôt libéré les Arabes dominés depuis des siècles par les romains et les byzantins. Il en est de même des habitants de la partie de la Mésopotamie occupée par les Perses Sassanides. En Afrique du Nord, l’Islam a trouvé des populations qui n’ont jamais accepté la domination romaine puis byzantine. Ce qui a accentué particulièrement leur rejet des occupants est l’apparition du donatisme. Lors des persécutions des chrétiens d’Afrique romaine par Dioclétien au début du 4ème siècle, les soldats romains ont pillé les églises et ont volé les livres sacrets et les objets de culte. Après que la paix fut instaurée, les victimes ont refusé que les prêtres qui ont collaboré avec les oppresseurs soient réhabilités. Ce fut l’origine du donatisme. Une révolte contre l’autorité romaine se déclencha en 310-312 et a été soutenue par Saint Cyprien et Saint Donat.
Lorsqu’on examine de près les motivations des révoltés, on peut ne pas limiter leurs mobiles au rejet des prêtres collaborateurs. Ce fut plutôt une révolte contre la domination politique et militaire romaine. Un point c’est tout. Les historiens occidentaux veulent bien croire à la disparition du donatisme avant l’arrivée de l’Islam. Mais c’est faux : l’esprit de révolte contre la domination étrangère a été vivace jusqu’à l’arrivée des musulmans. Des stèles ont été trouvées en Tunisie datant de la période vandale qui célèbrent la mémoire des martyres donatistes. Lorsque les byzantins ont rétabli la domination romaine en Afrique du Nord en 533-535, ils ont opprimé eux aussi les donatistes. La lutte de ces derniers se poursuivra jusqu’à la libération par les musulmans de l’Afrique du Nord après la bataille de Sbeïtla en 647 et la prise de Carthage en 698. Les donatistes sont devenus des musulmans et ils ont trouvé dans la foi nouvelle la réalisation de leur programme et de leurs aspirations. Il importe peu de savoir s’ils sont devenus des kharidjites, c’est-à-dire des puritains musulmans ou pas. La question a peu d’importance. Ce qui a en revanche une portée universelle est la formation d’une nouvelle civilisation libératrice des peuples et qui consacre la diversité et le droit à la différence dans l’espace méditerranéen. Cette diversité a été restaurée puisqu’elle exista avant que Rome n’impose sa domination sur cette espace.
La lutte de l’Occident pour saper la diversité culturelle
L’Occident du Moyen Âge : les carolingiens et les byzantins ont voulu bien entendu supprimer cette diversité et ce droit à la différence et transformer la civilisation chrétienne en civilisation universelle. Malgré une farouche résistance des byzantins et de leurs alliés berbères, Ogba‑ben‑Nafi fonde en 670 Kairouan qui est un sanctuaire figé en face du massif de l’Aurès qui consacre la durabilité de la diversité en Méditerranée impulsée par l’arrivée de l’Islam. Il devait rester durable et il permettra aux musulmans d’atteindre l’Atlantique. Pourtant Byzance n’a pas dit son dernier mot. Elle tend un piège au chef musulman qui sera tué en 689 et elle reprend Carthage. Toutefois, la contre-offensive musulmane dirigée par Hassan et Mussa ibn Noceir permettra de restaurer la diversité et l’imposer pour toujours en Afrique du Nord. Les musulmans ont fondé une autre cité qui projettera la diversité culturelle dans les eaux méditerranéennes, Tunis. Avec cette cité et son port, la Goulette, les musulmans vont dominer la mer en chassant les vaisseaux byzantins. Mussa ibn Noceir atteint le Maroc et tous les berbères se convertissent à l’Islam. On remarque ici que de nouvelles races jadis opprimées par les byzantins et avant eux les romains deviennent des musulmans et vont aller en Espagne pour y établir la diversité et le droit à la différence grâce au moteur de l’Islam, une religion qui accepte les autres et surtout les vaincus contrairement à ce qu’affirme Pirenne et ses émules. Lorsque les musulmans arrivent en Espagne, d’abord grâce aux explorations maritimes qui commencent en 675, « le roi Egica accuse les Juifs de conspirer avec les Musulmans, et peut‑être, en effet, les persécutions dont ils étaient l’objet les poussaient‑elles à espérer la conquête du pays ». Ce que dit Pirenne ici n’est pas toute la vérité. Les juifs ont été persécutés par les Wisigoths qui régnaient en Espagne, ce qui a poussé ces derniers à accueillir les musulmans. Lorsque finalement le royaume wisigothique s’effondre à partir de 711, les musulmans ont instauré en Espagne le plus beau joyau de la diversité culturelle dans l’histoire de l’humanité. Les juifs ont été libérés et ont joué par la suite un grand rôle dans la vie politique et économique du pays. Les chrétiens n’ont pas été persécutés non plus et un métissage entre les chrétiens et les musulmans s’est même produit. On remarque ici que ceux qui ont alimenté la haine raciale en Espagne sont les Wisigoths qui ont été vaincus. Par contre, les musulmans ont toujours instauré durant leurs conquêtes un espace de diversité culturelle. Par exemple, c’est un berbère, Tarik ibn Ziad qui a été chargé de faire débarquer les troupes en Espagne et de commencer à chasser les Wisigoths oppresseurs. La diversité culturelle a permis aux juifs de produire leurs plus beaux chefs d’œuvres littéraires et philosophiques et de voir leurs premiers penseurs comme Maimonide travailler en toute liberté, chose impensable sous les Wisigoths. Il est inutile de parler davantage de l’Espagne islamique, tellement il est connu que la tolérance religieuse, l’essor économique et scientifique et la richesse de la civilisation islamique qui s’y sont développées sont des sujets connus. Moi je préfère citer la diversité culturelle qui a été promue à un haut degré de perfection et d’harmonie. Il en est de même de la Sicile. A partir de 831, l’île tombe entre les mains des musulmans qui vont y développer une très belle civilisation qui a été reconnue par les auteurs occidentaux eux-mêmes alors que l’île a été auparavant une simple possession byzantine. Un État multiconfessionnel et multilingue s’y développe. Les musulmans réforment le foncier et font augmenter la production agricole grâce notamment à un ingénieux système d’irrigation. Ils introduisirent des fruits et de la canne à sucre. La ville de Palerme est décrite par les chroniqueurs musulmans comme la plus belle cité au monde.
Malheureusement, l’Espagne et la Sicile vont perdre cette diversité culturelle et cette civilisation multiconfessionnelle et raffinée sous les coups de boutoir des rois chrétiens avides de pillage et de revanche contre les promoteurs de cette civilisation. Les chrétiens parlent pour le cas espagnol de la Reconquista qui est tout simplement la destruction de la diversité culturelle et le refus du droit à la différence. Après 1492, les musulmans et les juifs sont massacrés et chassés de l’Espagne dans un effroyable nettoyage ethnique et un génocide culturel. Depuis l’époque de Charlemagne, les puissances européennes n’ont pas cessé de saper la diversité culturelle en détruisant la civilisation islamique. La colonisation au 19ème siècle n’est qu’une étape après des siècles de croisades, de Reconquista et de conquêtes normandes. Les musulmans sont encore une fois visés dans un pays, la France ou ils ont vécu en paix jusque-là. Ils sont stigmatisés. J’ai peur de dire que l’histoire se répète. Cependant, ce sont les hommes qui font l’histoire. Ils doivent résister contre l’oppression et l’impérialisme mais aussi contre la stigmatisation d’une communauté peu importe sa religion. Il fait tirer les leçons de l’histoire de l’Islam.
Conclusion
Ce que nous avons tenté dans cet article est de montrer que M. Zemmour s’inspire dans l’idéologie qu’il véhicule d’un historien, Henri Pirenne, qui a stigmatisé les musulmans en utilisant des concepts comme l’assimilation, la déchirure en Méditerranée et l’opposition entre la civilisation islamique et la civilisation chrétienne occidentale.
Nous avons montré que cette histoire est fausse parce que l’Islam a introduit dans l’espace méditerranéen une diversité culturelle et un droit à la différence qui se sont manifestés à travers la création de nouvelles villes, d’une nouvelle civilisation tolérante envers les minorités et la coexistence pacifique entre les religions et les communautés juives, chrétiennes et musulmanes en Espagne, en Sicile et même en Afrique du Nord. Cette diversité culturelle a existé avant même le christianisme mais elle a été abolie par l’Empire romain. Les empires chrétiens qui se sont succédés en Europe ont tout fait pour remettre en cause cette diversité culturelle après l’arrivée de l’Islam en 7ème siècle. C’est ce que M. Zemmour, inspiré par les travaux de Henri Pirenne, tente de faire aujourd’hui pour le cas de la France. En fait, ses concepts d’assimilation et de francisation de l’Islam s’inscrivent en porte en faux contre la diversité culturelle et le droit à la différence que la pensée humaine et les institutions les plus éclairées devrait accepter et considérer comme des concepts majeurs de l’humanité et de la communauté internationale. Il faudrait protéger ces idéaux confirmés par l’histoire contre les tentations essentialistes et xénophobes des milieux politiques radicaux dans les pays européens alors que certaines personnes en France vacillent aujourd’hui et semblent être tentées d’être attachées à ce convoi sinistre et manichéen et à cette vulgate combattive et hostile à la diversité culturelle et au droit à la différence.
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