Le président Poutine s’est caché. Enfin, en quelque sorte. Le 14 septembre, il a déclaré que de nombreuses personnes (« des dizaines ») de son cercle intime avaient été testées positives au virus et qu’il devait donc s’isoler. Sa soudaine réclusion a suscité des vagues d’angoisse à travers cet immense pays. Son explication a été accueillie avec incrédulité. Tout le monde autour de Poutine est vacciné et Poutine l’est aussi, du moins l’a-t-il affirmé. Pourquoi aurait-il besoin de s’isoler ; et comment toutes ces personnes vaccinées pourraient-elles tomber malades ? Le vaccin est-il un faux ? Ou devons-nous chercher une autre explication. Est-il tombé, ou a-t-il été poussé ? Va-t-il revenir ? Est-ce la fin de l’ère de Poutine ? Poutine est-il malade, ou a-t-il été contraint à l’isolement ? S’agit-il d’une conspiration ? Le gouvernement russe est, et a toujours été, de type manuel et non automatique ; l’absence du dirigeant à la barre du puissant navire qu’est l’État russe pourrait être synonyme de problèmes. Les Russes ne croient pas à la version officielle, mais où est la vérité ?
Une semaine avant son annonce, le 8 septembre, un ami proche de Poutine et son ancien garde du corps, l’homme considéré comme un successeur probable, le ministre des Urgences, M. Evgueni Zinichev, est décédé dans des circonstances inhabituelles lors d’un exercice dans l’Arctique. Selon la directrice de RT, Margarita Simonyan, il est mort en essayant de sauver un caméraman tombé d’une falaise. Les rumeurs disent qu’il avait peut-être été ciblé en tant que successeur de Poutine. Juste avant cela, le 7 septembre, Poutine s’était rendu dans une retraite en Sibérie avec son ministre de la Défense, M. Choïgou. De quoi ont-ils discuté, loin des oreilles indiscrètes ? Selon certaines rumeurs, Poutine aurait soupçonné ou découvert un complot contre lui et aurait préféré minimiser ses contacts avec le monde extérieur et même avec ses propres gardes du corps. Homme très prudent, le président Poutine sait que nombreuses sont les personnes et organisations puissantes qui aimeraient le voir mort et il ne veut pas leur donner cette satisfaction. C’est pour cette raison que ses ennemis l’appellent « le vieil homme dans le bunker ». Cependant, Poutine est apparu à la télévision depuis sa cachette.
Par ailleurs, il existe des précédents de dirigeants invoquant un cas de force majeure pour manquer un événement ou éviter une réunion.
Le président Gorbatchev avait appris l’existence d’un complot ourdi par les partisans de la ligne dure soviétique et avait décidé de rester à l’écart, espérant profiter de ses avantages en cas de réussite du complot et avoir un alibi en cas d’échec. Il s’est rendu dans son palais de Crimée-Phoros au cours d’un mois d’août 1991 tumultueux et a prétendu être détenu par des comploteurs ; le complot a échoué, il est retourné dans la capitale, mais il n’a jamais retrouvé ses pouvoirs.
De même, le dernier empereur russe, le tsar Nicolas II, avait appris que des paysans et des ouvriers avaient l’intention de venir au Palais d’hiver pour implorer le tsar. Il décida de se tenir à l’écart des problèmes éventuels et se rendit dans sa résidence de campagne de Tsarskoe Selo. Ses fonctionnaires mitraillèrent les plaideurs lors du dimanche sanglant. C’est ce massacre qui provoqua la première révolution russe de 1905-07, et l’absence du tsar ne le servit aucunement. À une autre échelle, le président Trump est allé jouer au golf pendant que ses partisans se rassemblaient à la Maison-Blanche. Cela ne l’a pas aidé : il avait perdu la Maison-Blanche et il s’est retrouvé accusé d’actions illégales.Bref, rester à l’écart n’est pas le bon choix pour un dirigeant, mais cela se fait, parfois.
Considérons cette possibilité. Qu’est-ce qui pourrait pousser Poutine à réaliser un Phoros-2 ? La période actuelle est très mouvementée et un Poutine en bonne santé devrait se rendre à Douchanbé et s’occuper des élections législatives russes, entre autres choses.
Le Sommet de Douchanbé
Les 16 et 17 septembre, le double sommet de l’OCS et de l’OTSC s’est tenu à Douchanbé. L’OCS et l’OTSC sont deux organisations internationales différentes, bien que leurs membres coïncident en partie. M. Poutine était censé venir en personne et s’occuper des dispositions relatives à l’après-Afghanistan, même si cela pouvait se traiter à distance. Mais il devait également rencontrer les dirigeants de la Chine, de l’Inde et de l’Iran. Le sommet prévu avec le président Xi était particulièrement important, car les deux dirigeants ne se sont pas rencontrés en personne depuis longtemps. Des rumeurs circulent à Moscou selon lesquelles Poutine éviterait de rencontrer le dirigeant chinois, alors que cette rencontre était prévue immédiatement après le sommet de Genève avec Joe Biden. Le sommet Poutine-Xi avait été prévu encore plus tôt, pour coïncider avec le 20e anniversaire du traité d’amitié russo-chinois ; il a ensuite été reporté à cause du sommet de Genève, puis tout simplement annulé. Xi était censé venir à Douchanbé pour le sommet de l’OCS. Lorsqu’il a appris que Poutine ne viendrait pas, il est également resté chez lui. Ainsi, ce sommet très important entre deux dirigeants ne s’est pas concrétisé.
Se pourrait-il que Poutine ne veuille pas être vu comme se rangeant du côté de la Chine, dans le contexte du triangle fatidique Washington-Moscou-Pékin ? Peut-être. Les élites russes sont divisées : certains préfèrent des relations étroites avec la Chine, d’autres veulent que la Russie se range du côté de l’Occident. Poutine cherche à équilibrer ces deux groupes. Qui sera le premier à conclure un accord avec Biden, Poutine ou Xi ? Peut-être Poutine préfère-t-il ne pas intervenir et laisser Xi s’y essayer le premier, lors du prochain sommet du G2.
La place physique de Poutine à Douchanbé a été prise par Alexandre Loukachenko, le solide président du Belarus, et il a visiblement apprécié cette tâche. Il y a quelques années, après que le Belarus et la Russie eurent conclu l’accord sur l’État de l’Union, les gens pensaient que Loukachenko dirigerait les deux États, ou au moins qu’il s’occuperait aussi des affaires intérieures russes. On avait le sentiment que Loukachenko serait le meilleur pour l’économie, l’agriculture, l’industrie et la structure sociale que Poutine, qui s’occupait davantage des affaires étrangères. Si la Russie et le Belarus votaient pour un président, les Biélorusses voteraient pour Poutine, tandis que les Russes voteraient pour Loukachenko, disait-on en plaisantant. Cependant, cela ne s’est pas produit. Loukachenko a très bien géré la session de Douchanbé et Poutine s’est entretenu avec eux par liaison vidéo.
Il semble qu’ils n’aient pas réussi à faire entendre raison à l’obstination de M. Rahmon, même s’ils ont essayé. La Russie est prête à défendre le Tadjikistan en cas d’offensive ou d’infiltration des talibans. Mais le président tadjik a des projets beaucoup plus audacieux. Il s’élève contre l’ingérence des talibans au Tadjikistan, mais espère ressusciter l’Alliance du Nord, le groupe des chefs de guerre du Nord, ennemis des talibans. Il s’agit principalement de membres de groupes ethniques minoritaires, dont beaucoup de Tadjiks, le deuxième groupe ethnique le plus important (après les Pachtounes) d’Afghanistan. Il semble que Rahmon souhaiterait briser l’Afghanistan et y créer un deuxième État tadjik, ce qui signifierait un nouvel épisode de guerre civile, ce que personne ne souhaite.
Il a été rapporté que Rahmon a reçu et amusé Ahmad Massoud, le « rebelle du Panchir », et l’ancien vice-président de l’Afghanistan Amrullah Saleh (qui s’est déclaré « président par intérim de l’Afghanistan », après la fuite de Ghani). Il n’est pas certain qu’une telle réunion ait réellement eu lieu. Il ne s’agit peut-être que de l’un des nombreux exemples de fausses nouvelles en provenance d’Afghanistan produites par les usines à fausses nouvelles indiennes. Si celle-ci était vraie, cela franchirait la ligne rouge dans les relations entre les deux pays voisins.
La Russie n’apprécierait pas non plus : la Russie a établi des relations de travail avec les talibans ; les talibans ont demandé à la Russie de les aider à retrouver leur siège légitime à l’ONU ; ils ont proposé une visite d’État à Moscou. La « résistance du Panchir » a été vaincue sans combat. Certains des « résistants » errent dans les montagnes et font appel au soutien de politiciens américains belliqueux, mais pour le reste, ils ont perdu leur guerre. Apparemment, Massoud et Saleh ont trouvé un refuge au Tadjikistan ; ce pourrait donner lieu à un geste humanitaire, à moins que l’ambitieux Rahmon ne transforme son pays en base dans la guerre civile afghane.
Toutefois, cette évolution ne justifierait pas que Poutine les héberge, à moins qu’il n’y ait des problèmes de sécurité.
Les élections parlementaires russes
La Russie va « rattraper et dépasser l’Amérique », déclarait Nikita Khrouchtchev en 1957. Les récentes élections parlementaires (17-19 septembre 2021) pourraient être considérées comme une nouvelle tentative pour faire mieux que la fraude électorale américaine. Mais les Russes n’ont pas pu dépasser la Cité brillante sur la colline : les dernières élections présidentielles américaines étaient si profondément malhonnêtes que personne n’a pu les battre. N’empêche que les Russes ont bel et bien essayé.
La Russie a un système mixte pour l’élection des membres du Parlement : certains sont élus par une liste de parti et d’autres par un système majoritaire. Dans les endroits où les gens ont été autorisés à voter librement et où leurs voix ont été décemment comptées, – principalement en Sibérie – les communistes ont gagné. Ailleurs, le parti au pouvoir, Russie Unie, a obtenu les sièges. Ils ont utilisé toutes les méthodes appliquées avec succès par les démocrates américains. Les gens ont été autorisés à voter à domicile et les équipes de collecte ont récolté de nombreux votes. Il y a eu plus de votants que d’inscrits. L’opposition a été tenue à l’écart du dépouillement. Les scellés des urnes étaient souvent brisés. Mais la meilleure méthode reste le vote numérique, autorisé dans quelques villes dont Moscou.
Comme le vote par correspondance à Detroit, le vote numérique à Moscou était en totale contradiction avec le vrai vote papier. Voici l’image du vote de Moscou, à gauche – le vote réel seulement, à droite – le vote réel et numérique ; vert pour l’opposition (principalement communiste), bleu pour les candidats du gouvernement. Le vote numérique à Moscou présentait une caractéristique inhabituelle : les électeurs étaient autorisés à changer d’avis et à voter à nouveau. Le gouvernement pouvait donc voir les résultats et faire « re-voter » autant qu’il le voulait.
La « démocratie » russe est aussi limitée que partout ailleurs. Le processus politique est contrôlé par un organe directeur appelé AP (Administration du Président) ; il n’est même pas mentionné dans la constitution, mais c’est lui qui décide qui peut participer aux élections et qui sera élu au parlement. Ils font aussi des coups bas, en créant des partis dissidents pour voler des voix à l’opposition. L’AP a décidé que les communistes ne devaient pas obtenir plus de 20 % des voix, tandis que le parti au pouvoir, Russie Unie, devait en obtenir environ 50 %. Telles étaient les instructions données aux chefs locaux et ils n’ont fait que suivre les ordres. Dans quelques districts où les patrons locaux ont décidé d’ignorer les ordres de l’AP, les communistes ont obtenu jusqu’à 30 %, et Russie Unie moins de 30 %. Avec les socialistes, les Rouges russes pourraient former le nouveau gouvernement. Ils seraient heureux de servir sous les ordres de Poutine.
Les Rouges russes ne ressemblent pas à la gauche américaine (et européenne). Ils sont contre la politique des minorités, contre le discours sur le genre et la race, ils aiment le Christ et Staline. Les Rouges russes diffèrent de la droite américaine (et européenne), car ils sont favorables à une nationalisation massive, à un service de santé complet et à une éducation gratuite ; ils sont contre les oligarques et n’aiment pas l’immigration. En bref, ils sont beaucoup plus poutinistes que Poutine. Et ils ne sont pas favorables à l’Occident. Leur ascension changerait les choses à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, pour la première fois depuis 1996, ils sont devenus populaires parmi les jeunes ainsi que parmi les citoyens plus âgés. Bien qu’ils soient très différents de l’opposition libérale pro-occidentale, ils ont appris à faire les choses ensemble contre le diktat de l’AP. Le CPRF est fondamentalement un parti social-démocrate, parfaitement apte à gouverner, mais l’AP le considère comme trop indépendant.
Les communistes ont rejeté les résultats du vote numérique ; le gouvernement a répondu par la force. De nombreux candidats communistes et leur personnel ont été arrêtés. Le gouvernement a interdit les manifestations et les rassemblements de protestation, sous le prétexte du Coronavirus. Que feraient-ils sans le Corona, je me le demande ! L’Occident a accusé à juste titre les autorités russes de manipuler les résultats des élections ; à tort, il a attribué le succès de l’opposition à Navalny et à ses libéraux pro-occidentaux. Mais les Rouges sont assez timides, pour deux raisons : ils sont plutôt favorables à Poutine et à sa politique étrangère, et ils ont peur d’être mis hors la loi et interdits, comme cela s’était produit sous Eltsine. Les libéraux avaient renversé les communistes et bombardé le parlement dans les années 1990, et ils ne vont pas permettre le retour des rouges, m’a dit un membre du parlement russe, la Douma.
En outre, la population a bien digéré les résultats. Il n’y a pas eu de grands rassemblements ou de manifestations ; certes, ils étaient interdits, mais les gens ont accepté l’interdiction plutôt docilement. Il n’y a pas de révolution à venir, ni même de grandes manifestations. Apparemment, les Russes se sont réconciliés avec cette « démocratie limitée ». Comme nous tous : de l’Australie aux États-Unis, de la France à l’Allemagne, la vraie démocratie est morte. Au lieu de cela, nous avons une tyrannie sanitaire avec quelques « élections » pour sauver la face, corrigées par une fraude électorale massive.
Les Russes pensent qu’ils vont bien. Les gens ont leurs salaires, leurs voitures, leurs maisons de campagne ; les villes sont en bon état, il n’y a pas beaucoup de chômage. Avant les élections, le Covid obéissant a presque disparu ; maintenant il risque de réapparaître, mais c’est le cas partout dans le monde. Il n’y a donc pas de motifs forts de protestation, comme c’était le cas en 1991 ou même en 2011. De plus en plus de gens arrivent à la conclusion que les élections ne sont qu’une farce. Mais cela ne suffit pas à pousser les gens à la révolution.
J’ai parlé à des personnes proches du Kremlin ; elles m’ont dit qu’elles pensaient que Poutine s’était caché à cause des élections, car ses services de sécurité n’étaient pas certains de la façon dont les masses allaient réagir à la fraude électorale. On aurait pu avoir une répétition de 1991, lorsque des masses énormes de personnes avaient renversé le pouvoir soviétique. Nous voyons maintenant que cela ne s’est pas produit. Les gens ont pris tout cela de haut. Mais la sécurité aime jouer la carte de la surenchère. À Washington, Londres et Moscou, il y a plus de policiers que de manifestants dans pratiquement tous les rassemblements.
Une semaine après les élections, elles ont été totalement oubliées. Le jour de la publication des résultats, il y a eu une fusillade de masse ; un jeune homme de 18 ans a pris un fusil de chasse et a abattu six élèves dans son école. Ces attaques terroristes surviennent opportunément lorsqu’il est nécessaire de changer radicalement l’ordre du jour, et il y a suffisamment d’hommes mentalement perturbés pour commettre un massacre si on ne les arrête pas à l’avance.
Conclusion
Nous ne savons pas avec certitude pourquoi Poutine a décidé d’affirmer qu’il devait s’auto-isoler. Il n’est pas totalement impossible (bien que peu probable) qu’il y ait effectivement une épidémie de Covid. Sinon, cela pourrait être lié à l’incertitude des élections ou à l’imminence du sommet Poutine-Xi, ou, effectivement, un complot a peut-être été découvert. Poutine sortira très probablement de son abri le 29 septembre, pour son sommet avec le président Erdogan, car ils ont beaucoup de choses à se dire. Mais sa réclusion ne lui fera pas gagner des points aux yeux des Russes.
Israël Adam Shamir
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