Publié le 28/09/2021 à 16:21
Ce 28 septembre, les premières parties civiles à témoigner au procès des attentats 13 novembre étaient des gendarmes de la garde républicaine en poste au Stade de France. En larmes, ces militaires ont témoigné de leur souffrance mais aussi des difficultés rencontrées avec leur hiérarchie.
Il est 13 h 45. Un homme s’avance vers le micro de la cour d’assises spéciale. Il est le premier des 350 parties civiles à avoir la parole. Il est gendarme. Aujourd’hui à la retraite, Philippe D. est en jeans et chemise à gros carreaux bleus. Pas facile d’être le premier de la longue cohorte de victimes qui vont se succéder à cette barre pendant cinq semaines. Sa voix tremble un peu, forcément. Mais ça va. Le major se lance. Ce 13 novembre 2015, il commande au Stade de France les six cavaliers de la garde républicaine qui traditionnellement patrouillent aux abords de l’enceinte sportive.
Au total, avec le chauffeur, une stagiaire et le nouveau lieutenant, ils sont 13 ce soir-là… Le chiffre de la poisse. Avant le match, par groupe de deux, les cavaliers se postent aux endroits habituels. Puis juste avant le coup d’envoi, les chevaux se regroupent autour du camion, rue de l’Olympisme. « Les chevaux étaient attachés… », précise le major. « Ce soir-là, dans le stade, c’est le commissaire Simonin qui commandait au PC de sécurité », se souvient-il.
Dans la salle d’audience, personne ne relève ce nom. Mais par le hasard des calendriers judiciaires, le commissaire Simonin, ancien numéro 2 de la DOPC à la préfecture de police de Paris, est jugé au même moment à l’autre bout de Paris, dans le cadre du procès… Benalla. Le 13 novembre, Laurent Simonin est celui qui a piloté les secours au Stade de France. C’est lui qui a murmuré à l’oreille du président Hollande que trois kamikazes venaient de se faire sauter aux abords du stade. C’est encore lui qui a dit au chef de l’État de quitter les lieux mais de surtout « laisser les ministres », pour ne pas provoquer de panique et de mouvement de foule. Le commissaire Simonin aurait pu témoigner à cette barre… Il se défend à une autre. Drôle de télescopage.
« Et après on n’en parlera plus »
Le major D. poursuit son récit. Il vient de quitter le PC du commissaire Simonin et se retrouve dehors, porte D justement… Il marche aux côtés d’une stagiaire gendarme à qui un inconnu demande où se trouve le Mcdo puis glisse à la jeune femme qu’elle a de beaux yeux… L’homme en question attend quelques secondes qui vont permettre aux deux gendarmes de faire une vingtaine de mètres… Et il appuie sur le bouton-poussoir de son gilet explosif. Le premier kamikaze vient de se faire sauter au Stade de France.
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Le major se souvient du « souffle » dans son dos. « D’une déflagration ». Il se souvient de « beaucoup de fumée » et d’un homme qui hurle « bande d’enculés ». Le major visualise ensuite un homme à genou. « J’avais l’impression qu’il me regardait ». Il voit une jambe. « Je me suis dit : “mais qu’est-ce qu’un mannequin de vitrine fait là !” » Le temps lui paraît long, mais il ne se passe que 3 ou 4 minutes après la deuxième explosion. « Simonin arrive… je le prends par le bras et je m’emmène vers le corps ». Ils comprennent qu’un terroriste s’est fait sauter. Que le monde vient de changer. Le commissaire demande aux gendarmes de la garde républicaine de quitter les lieux avec les chevaux. « J’avais 33 ans de gendarmerie derrière moi, poursuit le major, la voix qui s’éraille. Nous les gendarmes, on est préparé à vivre des scènes hors du commun. On nous appelle, on se prépare, et on y va. C’est le scénario classique. Mais là, c’est différent. Nous, ce soir-là, on était sur l’explosion, on a dû absorber le choc. »
Le major tangue mais se reprend. Il garde son cap, mais c’est dur. « Le soir je suis rentré chez moi, ma femme m’a dit : “il faut que tu parles aux gosses”. Je leur ai dit : “Vous avez cinq questions chacun et après on n’en parlera plus” ». Le militaire s’est fait faire un « tatouage souvenir » de cette nuit qui a changé sa vie. Après lui, cinq autres gendarmes de la compagnie républicaine, retraités en civil ou en uniforme, viennent témoigner à leur tour.
Chaos dans les têtes
À cette barre, premier constat, même les durs en uniforme pleurent. « En rentrant chez moi, j’ai mis une heure à parler à ma femme, c’était mon premier jour de reprise après mon congé paternité, ma première fille avait cinq semaines, elle aurait pu ne jamais voir son père », s’étrangle un lieutenant. « Ce qui m’a déçu aussi, ce sont certains chefs », dit-il aussi, étranglé d’émotion, en uniforme impeccable, éperons compris aux talons. Un autre crie presque à quel point « c’est dur pour les familles, les femmes, les enfants… ». « Dans la nuit, en rentrant, j’ai constaté que j’avais des bouts de chair dans les cheveux », se souvient un militaire baraqué, les yeux humides, la voix bloquée. Leur capitaine, pour finir, lit les noms des autres gendarmes qui étaient là ce soir-là, « et n’ont pas eu la force de venir témoigner ».
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Le capitaine le reconnaît : « Après les deux explosions, j’ai peur de mourir à chaque instant, que ça explose à n’importe quel endroit, je vois en chaque personne arrivant sur nous un kamikaze. J’ai fait contrôler un camion dix fois dans la soirée… » Il se souvient aussi des chevaux : « Autant à la première explosion, ils n’ont fait que sursauter, autant à la deuxième, ils ont fait comme nous, ils ont paniqué… on a eu beaucoup de mal à les faire rentrer dans le camion. » Le capitaine raconte le retour à la caserne cette nuit-là. Ses hommes et femmes défaits. En larmes. Le chaos qui règne dans les têtes. À point d’heure, il alerte un colonel pour réclamer un soutien psychologique qui ne viendra pas. « Je me sens abandonné, seul, ne sachant que faire ».
Sentiment d’abandon
Pour ces gendarmes venus témoigner en premier, ce 13 novembre, le temps s’est arrêté. « J’ai le sentiment que ça ne s’arrêtera jamais, qu’on est en état de guerre » , s’étrangle le militaire qui raconte ses difficultés intérieures, l’impact pour sa famille, ses enfants. « J’étais seul devant l’inconnu, à accompagner mes douze militaires, pour m’assurer qu’ils avaient le meilleur soutien possible, mais sans l’aide de ma hiérarchie ». La gendarmerie lui refuse un rapport, puis le dépôt d’une plainte. « Aucun de mes hommes n’a pris de congés maladie, la France était attaquée, il fallait la défendre… » Il est en larme à la barre le capitaine. Son corps tremble, mains croisées devant lui. Il raconte les chicaneries de sa « hiérarchie de proximité ».
À écouter ces premiers témoins, colère comprise, une évidence brute s’impose. Ces vies au contact de la mort terroriste ont basculé dans un autre monde. À cette barre, les 350 victimes de cette nuit vont venir une à une raconter tout ce qui a changé. À coup sûr, ce sera 350 pièces d’un puzzle qui, devant cette cour d’assises, va dessiner les contours de cet autre monde. Les six premiers témoins, six gendarmes, en ont dessiné les grands traits : un monstre de souffrance.
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Source : Marianne
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