par Leslie Varenne.
L’accession d’un homme à la tête d’un pays, que ce soit par les urnes ou par la force, est toujours suivie d’une période d’exaltation. De l’euphorie d’avoir réussi un beau coup à l’hubris il n’y a qu’un pas, d’autant plus facile à franchir que les louanges du nouveau chef sont chantées par tous les « à-plat-ventristes » et les professionnels du retournement de veste.
Cependant, conquérir le pouvoir est un exercice, gouverner en est un autre ; certains ayant brillamment réussi la première partie ont lamentablement échoué la seconde. Le colonel Mamadi Doumbouya, devenu président de la Transition en Guinée à la suite du coup d’État du 5 septembre 2021 aurait d’ores et déjà intérêt à se draper dans un manteau d’humilité, la suite ne sera pas un long fleuve tranquille…
Qui gagnera le bras de fer ?
Fort d’un soutien populaire, même le RPG, parti d’Alpha Condé, a, en quelque sorte, validé le putsch en prenant acte du coup d’État, Mamadi Doumbouya a renvoyé la CEDEAO dans les cordes. À l’organisation sous-régionale qui a exigé une durée de six mois pour la transition, il a rétorqué « Le seul calendrier qui vaille est celui du peuple guinéen qui a tant souffert ». Aux menaces de sanctions ciblées, interdiction de voyages et gel des comptes des membres du Comité national du Rassemblement et du Développement (CNRD), ces derniers ont répondu « Nous sommes des soldats. La mission pour nous se passe en Guinée, donc pas besoin de voyager. Et nous n’avons rien à geler sur nos comptes ».
Les nouvelles autorités guinéennes pensent jouer sur du velours. D’une part, ce pays battant sa propre monnaie, la CEDEAO ne peut pas l’asphyxier financièrement en fermant les agences de la BCEAO, comme elle l’avait fait au Mali après le coup d’État d’août 2020. D’autre part, l’organisation est très impopulaire de par ses prises de positions à géométrie variable et sa défense des chefs d’États.
Pour autant, quel que soit son discrédit, la CEDEAO garde des capacités de nuisances car ses décisions seront suivies par : l’Union européenne, les USA et tous les bailleurs de fonds : Banque africaine de Développement (BAD), Banque mondiale, FMI, AFD.
En outre, la CEDEAO, déjà humiliée par la recrudescence des coups d’États en Afrique, ne peut se permettre d’apparaître impuissante. Par conséquent, elle tentera de peser de tout son poids. Or, tout le monde, organisation sous-régionale comme CNRD aurait intérêt à trouver un terrain d’entente. Il en va du sort des Guinéens.
Les urgences
Pour des raisons financières mais également par manque de ressources humaines, tous les projets en cours en Guinée sont dans les mains des bailleurs de fonds.
Si certains des grands programmes opérés par les Chinois, peu sensibles aux sanctions occidentales continueront, en revanche, les Occidentaux risquent fort de geler leurs coopérations.
Selon un expert guinéen, les caisses de l’État ont été fortement sollicitées pendant les deux élections organisées en 2020 (référendum et présidentielle) contribuant à vider les caisses de l’État, la balance des paiements courants est déficitaire, ce qui justifie les différents accords conclus avec le FMI dans le cadre des facilitées élargies de crédits pour faire face au défaut de paiement en devise. Pour l’année 2021 les besoins pourraient atteindre 100 millions de dollars. Des négociations étaient en cours avec la Banque mondiale et le FMI, si celles-ci s’arrêtent, la monnaie pourrait être dévaluée avec toutes les conséquences délétères que cela implique notamment sur le coût de la vie pour les populations.
Les routes en Guinée sont dans un état catastrophique, en 2020, il y avait seulement 5% de voies bitumées dans tout le pays. 1000 km de routes et voiries ont été lancés l’an dernier, notamment les routes reliant Conakry au Mali (financement chinois) et à la Sierra Léone (financement BAD) ainsi que la voirie de Conakry. Un arrêt des travaux pendant un temps trop long, notamment pendant la prochaine saison des pluies, rendrait ces routes impraticables et pénaliserait Bamako dont une grande partie des approvisionnements dépendent du port guinéen.
Autre urgence, l’électricité, grâce aux barrages de Kaleta et Souapiti, la Guinée est en surproduction d’énergie. Cependant, il n’existe pas de réseaux d’évacuation et le pays reste, avec le Niger, un de ceux où le pourcentage de ruraux ayant accès à l’électricité est l’un des plus faibles au monde. Trois grands projets reliant la Côte d’Ivoire et la Guinée via le Libéria et la Sierra Leone, un autre reliant le Sénégal et la Guinée via la Gambie et la Guinée Bissau et un autre reliant la Guinée et le Mali sous financement européen et de la BAD devaient permettre à la Guinée de vendre de l’énergie à ses voisins d’ici 2022. Ces programmes risquent d’être compromis. Néanmoins l’État sera tout de même dans l’obligation de rembourser les emprunts pour la réalisation des barrages et de subventionner à hauteur de 50% la consommation de l’énergie. Autant de factures qui risquent de replonger la Guinée dans l’obscurité après avoir goûté la lumière sous Alpha Condé.
La corruption, l’autre grand défi
Mamadi Doumbouya a demandé à la presse de dénoncer la corruption, c’est un autre grand chantier explosif auquel s’attaque le CNRD. Déjà plusieurs anciens dirigeants de l’ancienne équipe sont dans le collimateur.
Avant sa chute, Alpha Condé avait fait réaliser un audit des finances publiques. Le résultat avait été édifiant : 2/3 des recettes étaient détournées. Ce qui avait conduit l’ancien chef de l’État à informatiser le trésor ainsi que la passation des marchés publics. Cette réforme du système s’opérait encore sous l’égide de la BAD, de la Banque mondiale et de l’AFD et avait pour objectif affiché de doubler les recettes publiques d’ici 2022.
Il va sans dire que cette restructuration n’a pas fait que des heureux en ôtant le pain de la bouche d’un certain nombre d’apparatchik. Serait-ce la raison pour laquelle Mamadi Doumbouya a bénéficié de la complicité de certains proches d’Alpha Condé ? Si le CNRD persiste dans cette opération mains propres et se décide à balayer une maison gangrénée par la corruption, ses amis d’aujourd’hui pourraient bien devenir ses ennemis de demain, un coup d’État est si vite arrivé…
Enfin, reste aussi le dossier brûlant des concessions minières. Les nouvelles autorités guinéennes auraient tort de s’empresser d’attribuer des blocs à de nouvelles entreprises. Si certains comme les Marocains sont fébriles et tentent de sécuriser leurs nombreux investissements dans ce pays, d’autres se jettent déjà dans l’arène. Le Canadien Iamgold a déposé une demande de permis cinq jours après le coup d’État ! Nul doute que les blocs de fer 3 et 4 de SIMANDOU encore libres et tant convoités, donneront lieu à de nouvelles batailles homériques. L’ancien président Nicolas Sarkozy reviendra-t-il à Conakry pour plaider à nouveau les intérêts de son client Beny Steinmetz qui avait vu ses concessions annulées par Alpha Condé ?
Lors de sa prise de pouvoir, Mamadi Doumbouya a cité feu le dirigeant ghanéen, Jerry Rawlings, peut-être devrait-il se rappeler aussi cette sentence de Fidel Castro : « Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés, avec le pouvoir ils survivent rarement ».
source : https://www.iveris.eu
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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