Zakaria Zubeidi est l’un des six prisonniers palestiniens qui, le 6 septembre, ont creusé un tunnel pour sortir de Gilboa, une célèbre prison israélienne de haute sécurité. Il a été repris quelques jours plus tard. Les nombreux hématomes qu’il portait au visage témoignaient de l’histoire poignante d’une évasion audacieuse et d’une arrestation violente. Cependant, son histoire ne commence ni ne s’arrête là.
Il y a vingt ans, après ce qui est resté gravé dans la mémoire collective palestinienne comme le « massacre de Jénine », j’ai été présenté à la famille Zubeidi dans le camp de réfugiés de Jénine, presque entièrement rasé par l’armée israélienne pendant et après les combats. Toutes mes tentatives de me rendre à Jénine, maintenue en état de siège par l’armée pendant des mois après l’épisode le plus violent de tout le deuxième soulèvement palestinien (2000-2005), ont été contrecarrées par l’armée israélienne.
Je n’ai pas pu parler directement à Zakaria Zubeidi. Contrairement à son frère Taha, il a survécu au massacre de 2002 et a ensuite gravi les échelons des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, la branche armée du mouvement Fatah, pour en devenir le chef. Il s’est ainsi retrouvé en tête de la liste des Palestiniens les plus recherchés par Israël.
Nous avons surtout communiqué avec sa sœur, Kauthar, qui nous a raconté en détail les événements qui ont précédé ce siège militaire fatidique. Elle n’avait que 20 ans à l’époque. Malgré son chagrin, elle parlait avec fierté de sa mère, tuée par un sniper israélien quelques semaines seulement avant l’invasion du camp ; de son frère, Taha, chef des Brigades Al-Quds, la branche armée du mouvement du Jihad islamique à Jénine à l’époque ; et de Zakaria, qui était maintenant en mission pour venger sa mère, son frère, ses meilleurs amis et ses voisins.
« Taha a été tué par un sniper. Après l’avoir tué, [les Israéliens] ont tiré sur elle des obus qui ont complètement carbonisé son corps. C’était dans le quartier de Damaj », nous a raconté Kauthar. « Les Shebab [jeunes hommes] ont rassemblé ses restes et les ont amenés dans une maison. Depuis ce jour-là, on appelle cette maison ’La maison du héros’. »
Kauthar m’a également parlé de sa mère, Samira, 51 ans, « qui a passé sa vie à aller d’une prison à l’autre » pour rendre visite à son mari et à ses fils. Samira était aimée et respectée par tous les combattants du camp. Ses enfants étaient les héros que tous les jeunes voulaient imiter. Sa mort a été particulièrement choquante.
« Elle a reçu deux balles dans le cœur et une dans le dos », a expliqué Kauthar. « Du sang coulait de son nez et de sa bouche. Et je ne pouvais rien faire d’autre que crier « .
Zakaria est immédiatement entré en clandestinité. Le jeune combattant était très affecté par ce qui était arrivé à sa chère Jénine, à sa famille, à sa mère et à son frère qui devait se marier la semaine suivante. Zakaria se sentait également trahi par ses « frères » du Fatah qui continuaient à collaborer ouvertement avec Israël, malgré les tragédies croissantes en Cisjordanie occupée ; et par la gauche israélienne qui avait abandonné la famille Zubeidi malgré ses promesses de solidarité et de camaraderie.
« Chaque semaine, 20 à 30 Israéliens venaient [à Jénine] pour faire du théâtre », a déclaré Zakaria dans une interview accordée au magazine Times. Il faisait référence au théâtre « Arna’s House », auquel participaient Zakaria et d’autres jeunes de Jénine, et qui avait été créé par Arna Mer-Khamis, une Israélienne mariée à un Palestinien. « Nous leur avons ouvert notre maison et ils l’ont démolie… Nous les avons nourris. Et, par la suite, pas un seul d’entre eux n’a décroché son téléphone. C’est là que nous avons vu le vrai visage de la gauche en Israël. »
Des cinq enfants qui ont participé au théâtre, seul Zakaria a survécu. Les autres ont rejoint divers groupes armés pour lutter contre l’occupation israélienne et ont tous été tués.
Zakaria Zubeidi est né en 1976 sous l’occupation israélienne, il n’a donc jamais connu la vie d’homme libre. À 13 ans, des soldats israéliens lui ont tiré dessus pour avoir jeté des pierres. À 14 ans, il a été arrêté pour la première fois. À 17 ans, il a rejoint les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, croyant, comme de nombreux Palestiniens à l’époque, que l’ »armée » de l’AP avait été créée pour protéger les Palestiniens et garantir leur liberté. Désabusé, il a quitté l’AP moins d’un an plus tard.
Il ne s’est engagé dans la lutte armée pour la liberté, qu’en 2001, quelques mois après le début de la deuxième Intifada. Un de ses amis d’enfance a été l’un des premiers à être tué par des soldats israéliens. En 2002, Zakaria a rejoint les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, à peu près au moment où sa mère, Samira, et son frère, Taha, ont été tués.
2002 a été une année décisive pour le mouvement Fatah qui était pratiquement divisé en deux groupes, même si ce n’était officiel : l’un estimant que la lutte armée devait rester une stratégie de libération, l’autre prônant le dialogue politique et un processus de paix. De nombreux membres du premier groupe ont été tués, arrêtés ou marginalisés, notamment le leader populaire du Fatah, Marwan Barghouti, qui a été arrêté en avril 2002 et se trouve toujours dans une prison israélienne. Les membres du second groupe se sont corrompus et enrichis. Leur « processus de paix » n’a pas réussi à apporter la liberté tant convoitée et ils ont refusé d’envisager d’autres stratégies de peur de perdre leurs privilèges.
Zakaria, comme des milliers de membres et de combattants du Fatah, était pris dans un dilemme permanent. Il voulait poursuivre la lutte comme si le gouvernement de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité Palestinienne (AP), était prêt à tout risquer pour le bien de la Palestine, en restant au Fatah, car il espérait le voir revêtir à nouveau le manteau de la résistance palestinienne.
La vie de Zakaria Zubeidi a été le reflet de cette confusion. Il a été emprisonné non seulement par les Israéliens, mais aussi par l’AP. Il lui arrivait de faire l’éloge d’Abbas et, presque dans le même souffle, de dénoncer la traîtrise de l’ensemble de la direction palestinienne. Il a rendu ses armes à plusieurs reprises, pour ensuite s’en procurer à nouveau avec la même détermination qu’auparavant.
Bien que Zakaria soit maintenant de retour en prison, son histoire et sa lutte sont inachevées. Des dizaines de jeunes combattants parcourent désormais les rues du camp de réfugiés de Jénine, jurant de poursuivre la lutte armée. Zakaria Zubeidi n’est donc pas seulement un individu, il est aussi le reflet de toute une génération de Palestiniens de Cisjordanie qui doivent choisir entre le combat pour la liberté, douloureux mais ancré dans la réalité, et des compromis politiques. Ces derniers, selon les propres mots de Zakaria, « n’ont jamais rien apporté de bon aux Palestiniens ».
Traduction : Dominique Muselet
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir