L’OCS, à l’insu des sous-marins

L’OCS, à l’insu des sous-marins

L’OCS, à l’insu des sous-marins

• Textes du 24 septembre 2021. • On jugera de l’étrange coïncidence, génératrice d’innombrables dissonances chez nos dirigeants et commentateurs, tous “sachants” du domaine, dans cette réunion de l’OCS comparée à l’affaire des sous-marins et la création du pacte AUKUS, alias “l’OTAN du Pacifique” (!). • Le bloc-BAO continue à vivre dans un simulacre que mille et mille plumes de la presseSystème contribuent à gonfler, gonfler, gonfler… • L’OCS, avec une impressionnante réunion de pays dissidents affirmés ou semi-dissidents, rend absolument bouffonne l’initiative anglo-saxonne. • Contributions : dedefensa.org et Pepe Escobar.

On comprendra aisément que le texte de Pepe Escobar sur la réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) des 18-19 septembre tombe à pic pour mettre dans sa véritable perspective la “crise” désormais réglée par l’amiable et franche camaraderie franco-américaniste, concernant la douzaine de sous-marins australiens qui feront la loi dans le Pacifique dans les années 2030-2040. Il ne s’agit pas ici de développer quelques réflexions de plus sur les soubresauts touchant les relations transatlantiques (France-USA) et les divers épisodes qui leur sont liés au sein du bloc-BAO, mais bien d’envisager une appréciation moins exaltée sur le traité AUKUS (Australie-UK-USA).

L’OCS n’est pas une alliance militaire au sens de l’OTAN, avec son Article 5 (lequel prévoit une aide de ses membres si l’un d’eux est attaqué, – mais sur base du choix, et de la décision elle-même, et des moyens, — et nullement une obligation). Cela se comprend par la diversité à la fois géographique et culturelle des pays concernés, et aussi de leurs sens de la souveraineté, cette chose qui semble bien absente chez les membres de l’OTAN. Quoi qu’il en soit, l’OCS s’est fortement renforcée depuis sa création, d’ailleurs et sans surprise dans l’indifférence affichée et d’ailleurs sincères des pays du bloc-BAO qui ne voient rien d’honorable et de digne du regard dans le monde qu’eux-mêmes. (Faites “OCS” sur Google, vous êtes dirigés sur “Orange Cinéma Séries”, évidemment bien plus attachant et sérieux que l’OCS.) Partie de la Chine, de la Russie et de quatre pays-“stan”, elle s’est renforcée de l’Inde et du Pakistan en 2017 et de l’Iran depuis le week-end dernier.

Comme on le voit dans le texte de Pepe Escobar ci-dessous, le cas de l’Afghanistan a été au centre des discussions de sécurité, avec un mandat donné au Pakistan pour suivre l’évolution de ce pays sous la direction des talibans. Si cette évolution est “satisfaisante” pour les uns et les autres au sein de l’OCS, lorsqu’un gouvernement stable sera établi, la question de l’entrée de ce pays dans l’OCS sera clairement posée. Pour l’heure, la réunion a permis de rappeler que l’Inde, bien que mobilisée par les USA au sein de l’intrigant QUAD, n’est pas pour autant engagé sans condition au côté des USA, puisque d’ailleurs objet des menaces de sanctions US pour ses achats d’armement russes.

D’un autre point de vue que l’on comprend évidemment, la participation de l’Inde au QUAD, – qui tient sa première réunion au sommet à Washington, – n’est pas nécessairement perçue avec faveur au sein de l’OCS, essentiellement par la Chine, comme on le comprend bien et comme le souligne Escobar. Il n’est pas impossible que le temps vienne rapidement où l’Inde devra choisir entre les deux, au risque, si cette puissance choisit le QUAD, de perdre toute autonomie stratégique et toute capacité d’indépendance de souveraineté.

(Les Russes eux-mêmes veillent sur ce parcours de l’Inde, et ils sont prêts, dans certains cas de figure, de se juger obligés à la fois de rassurer leur allié chinois, à la fois de craindre des intrusions des USA, et donc de mettre en question la vente d’armements très avancés à l’Inde. C’est de ce point de vue qu’il faut suivre le chemin de la commande indienne annoncée du système S-500.)

Escobar : « Prenons l’exemple de la rencontre bilatérale entre le ministre indien des affaires étrangères, S. Jaishankar, et le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi. Jaishankar a déclaré que la Chine ne devait pas considérer “ses relations avec l’Inde à travers le prisme d’un pays tiers” et a pris soin de souligner que l’Inde “ne souscrit à aucune théorie de choc des civilisations”.

» Cette déclaration n’a pas été facile à faire accepter, étant donné que le premier sommet du QUAD aura lieu cette semaine à Washington, DC, et qu’il sera accueilli par ce “pays tiers” qui est actuellement en mode “choc des civilisations” contre la Chine. »

Il est remarquable de constater la différence de vision existant entre les deux parties mises en présence, essentiellement du fait des USA et de ses illusions sur l’état de sa propre puissance…
• les USA avec le bloc-BOA encordé en youyou, et l’enfant “naturel” AUKUS d’une part, ensemble complètement naval et centré sur l’affrontement mer-terre (contre la Chine) si cher aux géopoliticiens et, depuis Mahan, aux amiraux de l’U.S. Navy ; et
• d’autre part la vision extrêmement terrestre de l’OCS, ouverte sur le flanc Sud de la masse eurasiatique, et conduisant à la considération de l’Occident comme un appendice du bloc Asie-Pacifique.

Ainsi, AUKUS et l’OCS ne parlent pas, ni la même langue conceptuelle du monde, ni la même stratégie. Lorsque nos commentateurs occidentaux (même les antiaméricanistes) parlent d’un “tournant stratégique majeur” des USA (donc “tournant stratégique majeur du monde”, pensent-ils), ils projettent une conception occidentaliste (même s’ils sont antiaméricanistes, répétons-le). Il ne serait pas inutile d’envisager la possibilité qu’ils n’aient pas raison, non plus qu’en se référant au ‘Choc des Civilisations’ du professeur Huntington, comme font notamment les Français Zemmour et Onfray, en ne pensant d’ailleurs qu’à la “civilisation musulmane” comme auteur du “choc” pour la France ;
…et oubliant, selon notre point de vue combien l’essentiel de l’effondrement d’une civilisation (la nôtre, incluant les USA dans un concept assez critiquable) est devenu, au fil du “déchaînement de la Matière”, l’effondrement du Système.

Ces gens-là,  oubliant les nouvelles constantes profondes de la crise terminale de la modernité, n’ont peut-être pas raison pour notre sujet, d’autant qu’il ne nous paraît pas que l’enfant “naturel’” AUKUS soit spécialement effrayant jusqu’à faire trembler le monde… A ce sujet et en résumé, nous rappelons ici les diverses objections à cet égard que nous avions énumérées dans un article récent, non pas sur cette vision du monde occidentalisée qui mâchonne le “choc des civilisations” mais sur la réalité à débattre du “tournant stratégique majeur” pour une puissance (les USA) qui pourtant baigne dans le Pacifique bien plus que dans l’Atlantique :

« • Il y a longtemps que, depuis 1945, les USA changent leur priorité stratégique de l’Europe vers l’Asie. C’était déjà le cas en 1950 (guerre de Corée) ou en 1964 (guerre du Vietnam) ; le dernier épisode du feuilleton est donc l’annonce d’Obama du “shift” vers l’Asie. Le “changement stratégique” n’a pour les USA aucun sens, parce que ce pays “indispensable” qui est évidemment une “hyperpuissance” à durée indéterminée a évidemment une stratégie maîtresse et une domination à mesure pour chacune de ces zones, comme pour toutes les autres d’ailleurs.

» • Une “alliance” avec UK et Australie, déjà bien vivante depuis 1945 au travers d’une multitude de lien (serait-ce le fameux réseau “anglo-saxon” d’écoute et d’espionnage ‘Five Eyes’ depuis 1947), n’ajoute pas grand’chose à la situation stratégique de trois pays étroitement liés, c’est-à-dire où l’un (les USA) est comme chez lui chez les deux autres (Australie et UK). […]

» • Au reste ce “changement stratégique” majeur se fait selon le constat que tout est à peu près réglé entre les USA et la Russie, la fameuse scission entre Chine et Russie ayant été réalisée, et ainsi la possibilité de se tourner vers l’affrontement contre la seule Chine. Est-ce qu’on plaisante ? […]

» • La livraison de sous-marins AUKUS à l’Australie, avec ce cadeau étincelant des livraisons de technologies nucléaires à l’Australie est une perspective radieuse : elle s’étend sur plusieurs décennies aussi longues que les dizaines de $milliards, dans un environnement où l’on connaît bien maintenant les capacités technologiques et gestionnaires du Pentagone… […]

» • Pour ce qui est des forces US qui pourraient s’installer en Australie… […] Il est possible que la priorité pour les USA soit plutôt d’en déployer dans les îles Hawaï, si se confirment les hypothèses selon lesquelles la marine chinoise, pour “riposter” aux incursions de la VIIe Flotte en Mer de Chine, pourrait instituer ce même jeu autour de Guam, de Pearl Harbor, voire au large des côtes californiennes. »

On trouve donc ci-dessous le texte de Pepe Escobar, mis en ligne sur le site du Saker-US le 22 septembre 2021, dans une traduction du Sakerfrancophone. Le titre original (« L’Eurasie prend forme. L’OCS vient de bouleverser l’ordre mondial ») apparaît en parfait contrepoids des annonces emphatiques de la presseSystème du bloc-BAO selon laquelle AUKUS “bouleverse l’ordre stratégique mondial”.

dedefensa.org

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L’OCS bouleverse l’ordre mondial

Avec l’arrivée de l’Iran, les États membres de l’OCS sont désormais au nombre de neuf, et ils s’activent à régler le problème de l’Afghanistan et à consolider l’Eurasie.

Sous les yeux d’un Occident à la dérive, la réunion marquant le 20e anniversaire de l’Organisation de coopération de Shanghai s’est concentré sur deux objectifs clés : reconstruire l’Afghanistan et donner le coup d’envoi d’une intégration eurasienne complète.

Les deux moments marquants du sommet historique du 20e anniversaire de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s’est tenu à Douchanbé, au Tadjikistan, ont été les discours-programmes prononcés par – “Who else ?” – les dirigeants du partenariat stratégique Russie-Chine.

Xi Jinping : « Aujourd’hui, nous allons lancer les procédures pour admettre l’Iran comme membre à part entière de l’OCS ».

Vladimir Poutine : « Je tiens à souligner le protocole d’accord qui a été signé aujourd’hui entre le secrétariat de l’OCS et la Commission économique eurasienne. Il est clairement conçu pour faire avancer l’idée russe d’établir un partenariat de la Grande Eurasie couvrant l’OCS, l’EAEU (Union économique eurasienne), l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) et l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie. »

En bref, au cours du week-end, l’Iran a été consacré dans son rôle eurasien légitime et primordial, et toutes les voies d’intégration eurasiennes ont convergé vers un nouveau paradigme géopolitique – et géoéconomique – mondial, avec un effet qui résonnera pour le reste du siècle.

Cela se passe dans la foulée de l’ignominieuse retraite impériale de l’Alliance Atlantique en Afghanistan. Juste au moment où les talibans prenaient le contrôle de Kaboul le 15 août, le redoutable Nikolai Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité russe, déclarait à son collègue iranien, l’amiral Ali Shamkhani, que « la République islamique allait devenir un membre à part entière de l’OCS ».

Douchanbé s’est révélé être l’ultime croisement diplomatique. Le président Xi a fermement rejeté tout « sermon condescendant » et a mis l’accent sur les voies de développement et les modèles de gouvernance compatibles avec les conditions nationales. Tout comme Poutine, il a souligné la complémentarité de la BRI et de l’EAEU, faisant un véritable manifeste multilatéraliste.

Dans le même ordre d’idées, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a noté que l’OCS devait faire progresser « le développement d’une macroéconomie régionale ». Cela se reflète dans la volonté de l’OCS de commencer à utiliser les monnaies locales pour les échanges commerciaux, en évitant le dollar américain.

Attention au quadrilatère

Douchanbé ne fut pourtant pas qu’un lit de roses. Le Tadjikistanais Emomali Rahmon, musulman laïc convaincu et ancien membre du Parti communiste de l’URSS – au pouvoir depuis pas moins de 29 ans, réélu pour la 5e fois en 2020 avec 90% des voix – a d’emblée dénoncé la « charia médiévale » des Talibans 2.0 et déclaré qu’ils avaient déjà « abandonné leur promesse de former un gouvernement inclusif ».

Rahmon, qu’aucune photographie n’a jamais pu saisir en train de sourire, était déjà au pouvoir lorsque les talibans prenaient Kaboul en 1996. Il ne pouvait que soutenir publiquement ses cousins tadjiks contr « l’expansion de l’idéologie extrémiste » en Afghanistan, qui inquiète en fait tous les États membres de l’OCS lorsqu’il s’agit de démanteler des organisations djihadistes douteuses du type ISIS-K .

L’essentiel des interactions à Douchanbé furent des rencontres bilatérales, plus une quadrilatérale.

Prenons l’exemple de la rencontre bilatérale entre le ministre indien des affaires étrangères, S. Jaishankar, et le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi. Jaishankar a déclaré que la Chine ne devait pas considérer « ses relations avec l’Inde à travers le prisme d’un pays tiers » et a pris soin de souligner que l’Inde « ne souscrit à aucune théorie de choc des civilisations ».

Cette déclaration n’a pas été facile à faire accepter, étant donné que le premier sommet du QUAD aura lieu cette semaine à Washington, DC, et qu’il sera accueilli par ce « pays tiers » qui est actuellement en mode « choc des civilisations » contre la Chine.

Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, était en tournée bilatérale, rencontrant les présidents de l’Iran, du Belarus, de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan. La position officielle de la diplomatie pakistanaise est que l’Afghanistan ne doit pas être abandonné, mais engagé.

Cette position nuance ce que l’envoyé spécial du président russe pour les affaires de l’OCS, Bakhtiyer Khakimov, a expliqué au sujet de l’absence de Kaboul à la table de l’OCS : « À ce stade, tous les États membres ont compris qu’il n’y a aucune raison de lancer une invitation tant qu’il n’y a pas de gouvernement légitime et largement reconnu en Afghanistan. »

Et cela, sans doute, nous mène à la réunion clé de l’OCS : une quadrilatérale entre les ministres des Affaires étrangères russe, chinois, pakistanais et iranien.

Le ministre pakistanais des affaires étrangères, M. Qureshi, a affirmé : « Nous surveillons si tous les groupes sont inclus dans le gouvernement ou non. » Le cœur du problème est que, dorénavant, Islamabad coordonne la stratégie de l’OCS sur l’Afghanistan, et servira d’intermédiaire dans les négociations entre les talibans et les hauts dirigeants tadjiks, ouzbeks et hazaras. Cela ouvrira la voie à un gouvernement inclusif reconnu par les nations membres de l’OCS.

Le président iranien Ebrahim Raisi a été chaleureusement accueilli par tous, surtout après son discours liminaire percutant, un classique de l’Axe de la résistance. Sa rencontre bilatérale avec le président biélorusse Aleksandr Loukachenko a tourné autour d’une discussion sur « comment se confronter avec les sanctions ». Selon M. Loukachenko : « Si les sanctions ont fait du tort à la Biélorussie, à l’Iran et à d’autres pays, c’est uniquement parce que nous en sommes nous-mêmes responsables. Nous n’avons pas toujours su nous adapter, nous n’avons pas toujours trouvé la voie que nous devions suivre sous la pression des sanctions. »

Considérant que Téhéran est parfaitement informé du rôle d’Islamabad dans l’OCS au sujet de l’Afghanistan, il ne sera pas nécessaire de déployer la brigade Fatemiyoun – officieusement connue sous le nom de Hezbollah afghan – pour défendre les Hazaras. Fatemiyoun a été formée en 2012 et a joué un rôle déterminant en Syrie dans la lutte contre Daesh, notamment à Palmyre. Mais si ISIS-K ne disparaît pas, c’est une toute autre histoire.

L’avenir du port de Chabahar sera particulièrement important pour les membres de l’OCS que sont l’Iran et l’Inde. Il s’agit toujours du pari indien pour la Route de la soie, qui vise à la relier à l’Afghanistan et à l’Asie centrale. Le succès géoéconomique de Chabahar dépend plus que jamais de la stabilité de l’Afghanistan – et c’est là que les intérêts de Téhéran convergent pleinement avec la volonté de l’OCS, sous la poussée de la Russie et de la Chine.

Ce que la déclaration de Douchanbé de 2021 stipule au sujet de l’Afghanistan est assez révélateur :

1). L’Afghanistan doit être un État indépendant, neutre, uni, démocratique et pacifique, exempt de terrorisme, de guerre et de drogue.

2). Il est essentiel d’avoir un gouvernement inclusif en Afghanistan, avec des représentants de tous les groupes ethniques, religieux et politiques de la société afghane.

3). Les États membres de l’OCS, soulignant l’importance des nombreuses années d’hospitalité et d’aide efficace fournies par les pays de la région et les pays voisins aux réfugiés afghans, considèrent qu’il est important que la communauté internationale s’efforce activement de faciliter un retour digne, sûr et durable dans leur pays.

Même si cela peut sembler un rêve impossible, c’est le message commun à la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde, le Pakistan et les pays-“stans” d’Asie centrale. On peut espérer que le Premier ministre pakistanais Imran Khan sera à la hauteur de la tâche et prêt pour son rôle dans l’OCS.

Cette péninsule occidentale agitée

Les Nouvelles routes de la soie ont été officiellement lancées il y a huit ans par Xi Jinping, d’abord à Astana – aujourd’hui Nur-Sultan – puis à Jakarta.

(C’est ainsi que je l’ai rapporté à l’époque.)

L’annonce a eu lieu à proximité d’un sommet de l’OCS, qui se tenait alors à Bichkek. L’OCS, largement considérée à Washington et à Bruxelles comme un simple salon de discussion, dépassait déjà son mandat initial de lutte contre les “trois forces maléfiques” – le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme – et englobait la politique et la géoéconomie.

En 2013, il y a eu une trilatérale Xi-Poutine-Rouhani. Pékin a exprimé son soutien total au programme nucléaire pacifique de l’Iran (rappelez-vous, c’était deux ans avant la signature du plan d’action global conjoint, également connu sous le nom de JCPOA).

Bien que de nombreux experts l’aient écarté à l’époque, il existait bel et bien un front commun Chine-Russie-Iran pour la Syrie (l’Axe de la Résistance en action). Le Xinjiang était présenté comme la plaque tournante du pont terrestre eurasien. Le Pipelineistan était au cœur de la stratégie chinoise – du pétrole du Kazakhstan au gaz du Turkménistan. Certains se souviennent peut-être même de l’époque où Hillary Clinton, en tant que secrétaire d’État, parlait avec lyrisme d’une nouvelle route de la soie propulsée par les États-Unis.

Maintenant, comparez cela au Manifeste sur le multilatéralisme de Xi, à Douchanbé huit ans plus tard, rappelant comment l’OCS « s’est avérée être un excellent exemple de multilatéralisme au XXIe siècle » et « a joué un rôle important dans le renforcement de la voix des pays en développement ».

On ne saurait trop insister sur l’importance stratégique de ce sommet de l’OCS qui se tient juste après le Forum économique oriental (FEE) de Vladivostok. Le FEE se concentre bien sûr sur l’Extrême-Orient russe et fait essentiellement progresser l’interconnexion entre la Russie et l’Asie. Il s’agit d’une plaque tournante absolument essentielle du Grand partenariat eurasien russe.

Une flopée d’accords se profilent à l’horizon, allant de l’Extrême-Orient à l’Arctique et au développement de la route maritime du Nord, et impliquant tout, des métaux précieux et de l’énergie verte à la souveraineté numérique, en passant par les corridors logistiques entre l’Asie et l’Europe via la Russie.

Comme l’a laissé entendre Poutine dans son discours d’ouverture, c’est là tout l’enjeu du partenariat pour la Grande Eurasie : l’Union économique eurasiatique (UEE), les Routes de la soie, l’initiative de l’Inde, l’ANASE et, désormais, l’OCS, se développant en un réseau harmonisé, géré de manière cruciale par des « centres de décision souverains. »

Si la Route de la soie propose une très taoïste « communauté d’avenir partagé pour le genre humain », le projet russe, conceptuellement, propose un dialogue des civilisations (déjà évoqué pendant les années Khatami en Iran) et des projets économico-politiques souverains. Ils sont, en effet, complémentaires.

Glenn Diesen, professeur à l’université du sud-est de la Norvège et rédacteur en chef de la revue ‘Russia in Global Affairs’, fait partie des très rares universitaires de haut niveau qui analysent ce processus en profondeur. Son dernier livre raconte remarquablement toute l’histoire dans son titre : « L’Europe en tant que péninsule occidentale de la Grande Eurasie : les régions géoéconomiques dans un monde multipolaire ». Il n’est pas certain que les eurocrates de Bruxelles – esclaves de l’atlantisme et incapables de saisir le potentiel de la Grande Eurasie – finiront par exercer une véritable autonomie stratégique.

Diesen évoque en détail les parallèles entre les stratégies russe et chinoise. Il note comment la Chine « poursuit une initiative géoéconomique à trois piliers en développant un leadership technologique via son plan Chine 2025, de nouveaux couloirs de transport via son investissement de plusieurs milliards de dollars dans les “Routes de la soie”, et en établissant de nouveaux instruments financiers tels que des banques, des systèmes de paiement et l’internationalisation du yuanLa Russie poursuit de la même manière la souveraineté technologique, dans la sphère numérique et au-delà, ainsi que de nouveaux couloirs de transport tels que la route maritime du Nord à travers l’Arctique, et, aussi, de nouveaux instruments financiers. »

L’ensemble du Sud mondial, surpris par l’effondrement accéléré de l’Empire occidental et de son « ordre unilatéral fondé sur des règles », semble désormais prêt à avancer sur ce nouveau chemin, pleinement affiché à Douchanbé : une Grande Eurasie multipolaire entre pays égaux et souverains.

Pepe Escobar

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