par Thomas Scherr
Des millions de vies touchées dans le monde
A maintes reprises, les gouvernements des Etats influents «punissent» d’autres Etats. Les «punitions» consistent souvent à interdire le commerce de certains produits ou à restreindre les exportations et les importations. Cela peut concerner des denrées alimentaires, des médicaments, des transactions financières ou des pièces techniques. Mais quel est l’impact de ces mesures, appelées «sanctions», sur la population?
Il est assez courant d’apprendre par les médias que des «sanctions» ont été imposées à tel ou tel pays. Après une brève justification semblant parfois assez plausible, cette information disparaît rapidement de l’actualité quotidienne. Mais comment se présentent ces «sanctions» et quelles en sont les conséquences?
Mesures coercitives contre un autre Etat
Les sanctions entre Etats ne sont pas sans poser de problèmes, même si les définitions et les explications données semblent relativement inoffensives. Par exemple, on peut lire sur un site Web: «Les sanctions sont des mesures coercitives prises par plusieurs Etats à l’encontre d’un autre Etat si ce dernier a violé ses obligations que lui impose le droit international ou ne remplit pas les obligations qu’il a assumées. L’exécution des obligations découlant du droit international au moyen de sanctions est particulièrement importante dans les organisations internationales – la Société des Nations et l’ONU – pour le maintien de la paix, pour la localisation des conflits armés. Ou encore, dans un article d’un dictionnaire économique, on peut lire à propos des sanctions: «Mesures politiques de punition d’un certain comportement ou d’une certaine action (renforcement négatif). Souvent sous la forme de décisions ou de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies ou par l’UE dans le cadre de la Politique étrangère ou de sécurité commune (PESC). Une sanction est la base d’un embargo».
L’ONU n’est pas seule à imposer des sanctions
Les sanctions ne sont pas seulement imposées à des Etats individuels par des institutions de droit international, mais aussi par des Etats ou des groupes d’Etats, même sans la légitimité des Nations Unies. Cependant, l’opinion publique continue de penser qu’il s’agit de mesures «justes», liées aux intentions pacifiques de l’ONU. Peu importe qui impose les sanctions, elles sont souvent très problématiques lorsqu’elles touchent les populations. Elles ont des conséquences morales et matérielles.
L’Iran est un Etat qui est depuis longtemps concerné par des «sanctions». Depuis 1979, ce pays, comptant plus de 85 millions d’habitants, a fait l’objet de diverses sanctions de la part de différents Etats et organisations. D’abord par les Etats-Unis et leurs alliés, puis par l’ONU pour avoir violé le Traité de non-prolifération nucléaire. Outre la question de savoir si les sanctions sont «appropriées», ou qui est autorisé et capable d’en juger, les graves effets sur la population civile devraient également être au centre de l’intérêt public à l’avenir.
Iran: des personnes innocentes sont punies
Les mesures punitives prises contre l’Iran étaient très sévères. Elles ont touché l’ensemble de la population iranienne, y compris les enfants, les malades, les personnes âgées, les jeunes et, surtout, les personnes déjà les plus pauvres. L’interdiction d’exporter des médicaments, des équipements techniques, des prêts et d’autres biens et services a des conséquences dangereuses pour la vie.
Un exemple: la question se pose de savoir pourquoi un citoyen iranien, ou une personne qui vit en Iran, n’est plus autorisé à recevoir des médicaments vitaux de l’étranger. Cette personne n’a rien à voir avec l’occupation de l’ambassade américaine en 1979 ou avec l’enrichissement de l’uranium iranien. L’interdiction d’exporter des médicaments menace directement la vie de personnes innocentes.
Un autre exemple montre comment l’ensemble de la population devient une victime des sanctions économiques: étant donné que les entreprises automobiles, par exemple, ne peuvent plus se procurer de pièces de rechange à l’étranger, beaucoup de ces entreprises, avec leurs nombreux employés, ont été conduites à la ruine. Des entreprises d’autres secteurs ont également dû mettre la clé sous le paillasson en raison des sanctions économiques, licencier des employés et abandonner les familles à leur sort.
Les sanctions touchent principalement des personnes non impliquées. Elles menacent les existences et privent des millions de personnes de leurs perspectives d’avenir. Toutefois, les sanctions telles que celles prises à l’encontre du peuple iranien ne sont pas un cas isolé.
Syrie: population prise en otage
Quelle que soit le jugement que l’on porte sur les dix années de conflit en Syrie, les «sanctions» à l’encontre de la population de ce pays – dans lesquelles l’UE et donc la Suisse (voir ci-dessous) sont également fortement impliquées – touchent en premier lieu une population civile appauvrie et gravement endommagée par la guerre.D’abord, le pays a été dévasté par la guerre (qui, contrairement à ce que prévoit le droit international, n’a toujours pas été déclarée terminée). Le maintien des «sanctions» par les Etats-Unis et l’Union >Européenne empêche désormais activement une reconstruction nécessaire et urgente.Ici aussi, la question se pose de savoir de quel droit la population vivant sur place est prise en «otage». Pourquoi des millions d’existences sont-elles détruites? Les médecins et les enseignants n’obtiennent plus de salaires et les bâtiments scolaires et les hôpitaux ne peuvent être rénovés. L’argent manque parce que l’économie continue d’être délibérément paralysée par les «sanctions». L’Etat syrien manque de recettes fiscales même pour les tâches les plus urgentes. Ces sanctions ne touchent pas le gouvernement, mais la population. Elle est appauvrie et affamée, et les personnes les plus fortes fuient vers l’Europe.
Hausse des prix des denrées alimentaires
Les sanctions se sont transformées en un moyen de lutte visant principalement la population. Ainsi, les opinions sur le gouvernement vénézuélien sont très divergentes. Mais que l’on pense ou non que le gouvernement est légitime, la question se pose: quel crime est censé avoir commis un petit agriculteur qui doit nourrir une famille de plusieurs personnes pour ne plus recevoir de diesel pour sa moissonneuse? Et que dira la population vénézuélienne déjà éprouvée si les prix des denrées alimentaires augmentent rapidement cette année encore à cause de cela?
Prendre une population en otage pour des actions dont elle n’a peut-être même pas connaissance est tout simplement injuste et inhumain. Des experts internationaux en matière de droits de l’homme, tels que l’ancien haut fonctionnaire des Nations Unies Alfred de Zayas, ont affirmé à plusieurs reprises que ces sanctions constituent une injustice criante. Elles violent les droits de l’homme et le droit international et ne touchent de toute façon que les personnes les plus pauvres. «Les sanctions frappent toujours les mauvaises personnes: surtout les pauvres», titre Christian Müller dans Infosperber du 7 juin. Il pose la question suivante: «Les Etats-Unis et l’UE savent-ils ce qu’ils font lorsqu’ils imposent des sanctions?»On peut supposer que les populations des Etats-Unis et de l’UE ne le savent pas – leurs gouvernements et leurs fonctionnaires le savent.
«Moins drastique qu’une action militaire»
Il est affligeant de constater que les gouvernements des Etats occidentaux utilisent les «sanctions» comme un outil politique, même en dehors de l’ONU. Ces sanctions se font finalement au détriment de millions de personnes innocentes qu’ils n’ont jamais vues et qui ne leur ont jamais fait du mal.
La perversion de cette façon de penser apparaît clairement lorsque l’«échec» de ces mesures est discuté publiquement dans la presse. En même temps, on note l’enjeu: «Elles [les sanctions économiques] sont souvent moins radicales que les actions militaires. Elles peuvent constituer un signal de soutien à l’opposition, à un coût relativement faible.» L’appauvrissement, les décès prématurés et la paupérisation dans les pays touchés n’ont pas été pris en compte dans ce calcul.
Il est pervers de torturer la population jusqu’à ce qu’elle se «rebelle»
Derrière la politique de sanctions se cache l’idée que les habitants d’un pays étranger doivent être contraints de destituer ou de renverser leur gouvernement et que ce n’est qu’alors qu’ils seront à nouveau soutenus. Si l’on transpose cette idée barbare à sa propre situation, la perversion devient particulièrement claire: un gouvernement d’un Etat étranger est mécontent d’une décision de «mon» gouvernement. Le gouvernement étranger décide de commun accord avec d’autres gouvernements de nuire à notre pays – jusqu’à ce que notre gouvernement cède ou soit renversé par nous.
Il est évident que de cette manière, sous les termes ronflants de «droit» et de «démocratie», d’autres intérêts que ceux prévus par la Charte des Nations Unies sont imposés. Le droit international, qui s’est développé au cours des 500 derniers siècles, est complètement perverti, notamment lorsque les «sanctions» sont imposées au nom de gouvernements démocratiquement légitimés.
Qui «punit» au nom de qui?
Enfin, la question reste posée: qui se permet d’affamer les personnes sans défense, de les priver de médicaments ou de les plonger dans la pauvreté?
Même s’il est vrai que des gouvernements démocratiquement élus décident d’une «sanction» ou la rejoignent – car avec leur signature, il lui confèrent sa «légitimité» –, ce sont généralement des groupes de pression puissants et organisés en réseaux internationaux qui sont à l’origine de ces décisions. Leurs motivations ont rarement quelque chose à voir avec la «justice». Le plus souvent, ils sont motivés par de banals avantages financiers personnels ou par des intérêts de pouvoir politique. Toutefois, par leurs activités, ils se rendent responsables de la misère de millions de personnes.
Les sanctions sont un acte de guerre
Les sanctions sont donc des mesures bellicistes «bon marché» en dessous d’une guerre «chaude». Il semble que l’idée de maintien de la paix de la Charte des Nations Unies de l’époque fondatrice se soit perdue et que les sanctions soient utilisées à tort comme une méthode de guerre bon marché. Mais à l’avenir, pour rester honnête, ne devrait-on pas considérer les sanctions comme des actes de guerre?
Le droit international humanitaire a fait prendre conscience au monde entier qu’une population civile doit être protégée dans des situations similaires à la guerre et qu’elle dispose de droits de protection bien définis. Ces droits doivent pouvoir être invoqués également en cas de sanctions.
Il est inacceptable qu’au XXIe siècle, des personnes innocentes et sans défense deviennent les victimes d’une politique de force égoïste sous couvert d’actions «justes» et au «nom de la communauté des Etats».
Repenser les sanctions
«Depuis 1990, la Suisse participe de manière autonome aux sanctions non militaires de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Avec son adhésion à l’ONU, la mise en œuvre des mesures coercitives non militaires édictées par le Conseil de sécurité de l’ONU est devenue contraignante pour la Suisse en application du droit international.»
Parallèlement, la Suisse participe toutefois aussi à des sanctions décidées en dehors de l’ONU. «En 1998, la Suisse a participé pour la première fois à des sanctions économiques en dehors de l’ONU, à savoir contre la République fédérale de Yougoslavie, après que l’UE a imposé de telles sanctions.» Officiellement, cette participation unilatérale est succinctement énoncée: «Un soutien à des sanctions de portée internationale est dans l’intérêt de la politique étrangère de la Suisse, qui est orientée vers le respect du droit international et des valeurs humanitaires. La solidarité avec la communauté des Etats et la nécessité d’agir efficacement contre un contrevenant sont également des éléments de décision dont le Conseil fédéral tient compte.»
Déjà à l’époque, cette position était extrêmement discutable. La politique internationale de sanctions pratiquée de nos jours n’est plus adaptée à cette vision. Même s’il s’agit d’un exercice d’équilibre en matière de politique économique et de neutralité pour représenter la position d’un petit Etat au niveau international et résister à l’énorme pression des intérêts étrangers, notre pays risque ainsi de perdre sa crédibilité au niveau international. La politique de sanctions actuelle doit être reconsidérée, et pas seulement en Suisse.
illustration: Par le biais des sanctions, l’Occident empêche activement la reconstruction de la Syrie. Cela revient à poursuivre la guerre par d’autres moyens. (Photo keystone/EPA/Mohammed Badra)
source:https://www.pointdevue-suisse.ch/
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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