L’étymologie sémitique du mot « arabe » est « mixte », étant donné que pour la plus grande partie de son histoire, la région arabe a été un lieu où les peuples de différents continents venaient vivre ensemble.
Le sionisme n’a pas de place pour une juive arabe comme moi.
L’État d’Israël nous a conditionnés à voir comme impossible l’intersection de « juif » et « arabe » – alors même que ma famille maintient cette identité depuis des générations.
À chaque fois que je me retrouve dans une manifestation de gauche contre l’occupation, il y a toujours quelqu’un tenant une pancarte qui dit : « Les juifs et les Arabes refusent d’être ennemis ».
Cette phrase est devenue, d’une certaine façon, le socle de l’idéologie de gauche promouvant la coexistence en Israël/Palestine. Mais quand je vois cette phrase, je me sens immédiatement désorientée. De quel côté suis-je ?
Si je suis sur le côté juif, est-ce que je perds l’identité arabe à l’intérieur de moi ? Est-ce que je peux m’identifier comme une Arabe, alors même que je jouis des privilèges d’une citoyenne juive israélienne ? Qui a décidé d’opposer une ethnie à une religion ?
La colonisation agit sur nos esprits pour déformer notre compréhension de l’identité et perpétuer son agenda propre. À cause de cela, mon identité a été une grande source de confusion interne, qu’il m’a pris des années à déballer et à démêler.
Récemment, j’ai commencé à comprendre comment ce dialogue interne avec moi-même représente un dilemne politique né dans la colonisation de la Palestine.
Je m’identifie comme juive arabe. Ma famille a vécu à Jérusalem pendant plus de 10 générations et les autres cités de mes ancêtres incluent Alep en Syrie, Baghdad en Iraq et Shiraz en Iran, ainsi qu’un petit village dans le Kurdistan.
J’ai grandi dans des traditions et des cultures principalement syro-palestiniennes. Ma grand-mère était une peintre féministe, passionnée de cinéma et de littérature. Mon grand-père était un imam, expert dans l’art du maqamat, un cadre mélodique arabe unique, et qui récitait les prières dans la tradition syro-hiérosolymitaine.
Ma famille priait en hébreu et en arabe, avec un fort accent qui roulait sur nos langues quand nous prononcions les bénédictions juives. J’ai grandi avec [le chanteur arabe] Mohamed Abdel Wahab et avec les piyyouts du Shabbat, les poèmes liturgiques juifs, chantés ensemble. Jusqu’à la génération de mes parents, l’arabe était le langage dominant dans ma famille.
Dans notre foyer juif traditionnel, observer notre héritage et notre culture syro-palestiniens se faisait facilement. La judéité et l’arabité s’accordaient parfaitement – il n’y avait pas de contradiction. Mais hors de notre maison, ma religion et ma culture étaient en conflit.
L’État d’Israël m’a conditionnée à voir l’intersection de « juive » et « arabe » comme non-existante, ou impossible, même alors que les juifs arabes ont vécu pendant des années à cette intersection. J’ai appris que pour appartenir à la société israélienne et participer au projet sioniste, j’avais à rejeter des parties de moi-même – les parties arabes.
Le sionisme enseigne que les « Arabes » sont les ennemis des juifs, et ce faisant, il a complètement fragmenté mon identité. Ces subtils changements se sont accumulés graduellement pour subvertir mon identité originelle. Cela a créé une dissonance entre la réalité que je vivais intérieurement et le narratif attendu du projet colonial, à l’extérieur.
Je me retrouve constamment à devoir choisir entre ma judéité et mon arabité. Est-ce que je fais partie de la vaste communauté juive, étant donné que je suis sa foi et ses coutumes ? Ou est-ce que j’appartiens à la communauté arabe, dont les traditions culturelles et les styles de vie sont plus en résonance avec les miennes ?
Le sionisme a créé un système de castes raciales, plaçant les juifs d’origine européenne, connus sous la dénomination d’ashkenazes, au-dessus de tous les autres. Les communautés juives qui étaient arabes ou ressemblaient aux communautés arabes étaient catégorisées comme des Mizrahim, juifs orientaux, et traitées comme inférieures.
Non seulement nous avons été dépouillés des foyers de nos ancêtres depuis des milliers d’années, mais à l’avénement de l’État nouvellement fondé d’Israël, les immigrants miszrahim ont fait l’expérience d’un racisme brutal et ont été placés dans les ma’abarot, les camps de transit.
Il y a d’innombrables exemples du racisme continu de l’État d’Israël envers les Mizrahim. Dans les années 1950, les autorités israéliennes ont kidnappé des milliers de bébés mizrahim, et les ont placés illégalement en vue d’une adoption dans des familles ashkénazes sans enfants. On a dit aux parents que leurs enfants étaient morts.
À peu près au même moment, un médecin israélien confirmé a soumis à des radiations expérimentales des milliers d’enfants juifs arabes, contre la teigne, une infection de la peau non mortelle, et on a découvert plus tard que ce traitement provoque des cancers et d’autres maladies.
La vision d’une « libération juive » sous le sionisme n’incluait clairement pas tous les juifs, et ne traitait pas tous les juifs en égaux. Le sionisme européen était ancré dans une attitude impérialiste coloniale qui visait à créer un pays européen en Palestine.
Cela ne signifiait pas seulement une guerre contre les communautés palestiniennes autochtones sur ces terres, mais aussi une guerre culturelle contre les identités et les traditions des juifs arabes. L’arabité elle-même est devenue ennemie de l’État, et tout ce qui ressemblait à l’arabité devait être rabaissé, masqué ou détruit.
C’est une identité compliquée à maintenir parce que, d’un côté, je jouis des privilèges juifs de la part de l’État ; de l’autre côté, je dois haïr ma part arabe pour devenir une part intégrante de la société israélienne.
Il n’y a pas de place pour l’arabité dans le sionisme. Je dois réprimer, effacer et cacher mon style de vie arabe et m’assimiler aux notions européennes de judéité. Sous un tel système de castes raciales, vous ne pouvez jamais vous intégrer, peu importe à quel point vous vous assimilez.
Il y a quelques semaines, j’ai décidé de partager l’histoire de ma famille sur Instagram. J’ai posté des photos de famille et des anecdotes sur la lignée de mes ancêtres – mais aussi sur mes façons de lutter avec mon identité.
Le post d’origine s’est depuis multiplié dans sa propre communauté internationale, intersectionnelle. Des milliers de followers de diverses identités et de différentes ethnies ont partagé leurs histoires et leurs luttes avec leurs propres identités. C’est devenu un lieu de solidarité et d’avancée en commun vers la guérison.
J’ai été particulièrement émue par les histoires de musulmans des pays arabes partageant leur sentiment de perte et leur chagrin après le départ des communautés juives de leur pays d’origine.
C’est en partie pourquoi la culture arabe est centrée sur l’hospitalité et l’accueil des étrangers. Nous étions un lieu de bras ouverts, acceptant les voyageurs et les réfugiés avec amour et attention.
Pourtant avec les puissances impérialistes européennes qui ont construit des frontières et des murs pour séparer les pays et les communautés, nous avons perdu notre chemin.
Je choisis de m’identifier comme juive arabe parce que cela met à bas les murs qui entourent l’identité que le sionisme a créée. Cela brise le cadre colonial et crée la possibilité d’un narratif différent. Pour moi, c’est essentiel dans l’évolution du discours.
Hadar COHEN
source : Aurdip via : http://mcpalestine.canalblog.com/archives/2021/09/17/39132732.html
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir