L’auteur est étudiant à l’Université Saint-Paul
Le premier juillet dernier, à l’espace culturel Kwé de Québec, se tenait un rassemblement organisé par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador pour honorer la mémoire du nombre encore grandissant d’enfants ayant perdu la vie au sein du système de pensionnats autochtone.
Après des interventions par Ghislain Picard, chef de l’APNQL, ainsi que par plusieurs membres de la nation huronne-wendat et une courte marche autour du Centre Vidéotron, c’était maintenant aux « blancs » de parler.
Ian Lafrenière en a profité pour dire que le drapeau de l’Assemblée nationale avait été mis en berne, le maire sortant Régis Labeaume nous a fait part d’un poème, mais l’intervention la plus pertinente appartenait de loin à Manon Massé.
Tout juste après le discours d’un représentant du PQ vantant encore le mythe dépassé du colonialisme « amical » de la Nouvelle-France, la porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’affaires autochtones, y est allée de la déclaration suivante :
« Il est grand temps de tuer le colon en nous ! »
Bien qu’il me soit parfois arrivé d’être critique de Québec Solidaire, il est de mon avis qu’avec cette phrase, Manon Massé a pointé très clairement la direction dans laquelle doit se diriger le mouvement indépendantiste.
L’une des plus grandes épreuves qui attend le mouvement indépendantiste dans les prochaines années consiste en la confrontation du passé colonial compliqué qui nous précède et en la prise d’un pas décidé vers une indépendance dont les peuples autochtones font partie intégrante. Il ne s’agit pas de les « convaincre », de leur vendre notre projet politique avec la même ardeur avec laquelle on essaie de leur « vendre », pour ne pas dire imposer, notre mode de vie* depuis plus de 400 ans, mais bien de véritablement aligner notre mouvement à leurs enjeux.
À tort ou à raison, ils et elles ont apposé.es le concept de colonialisme sur la situation de domination des Canadien.nes-français.es, et bien que je ne sois pas ici pour débattre de la légitimité de ce terme, il nous faut toujours reconnaitre les failles de nos héros. Car plus le temps passe, plus il devient évident que l’une des plus grandes failles de ce mouvement et de son époque consiste en l’oubli (et parfois même le refus) de construire le mouvement indépendantiste en solidarité avec les luttes autochtones. « L’œil du maitre » par Dalie Giroux contient d’ailleurs un repositoire assez honteux des multiples tentatives de collaboration entre ces deux mouvements et la condescendance qui fût servie aux leaders autochtones par les gouvernements issus du mouvement indépendantiste ainsi que les relents colonialistes inconfortables de celui-ci.
Bien que ce courant décolonial ait construit les bases de l’indépendance en tant que projet fondamentalement progressiste et libérateur que nous portons encore aujourd’hui, il nous faut maintenant nous engager en une décolonisation différente. Celle de ceux qu’on appelle les land defenders (gardiens de la terre), celle de ceux qui bloquent des pipelines et des routes de bois, celle de ceux qui confrontent le gouvernement canadien et ses permis de pêche discriminatoires en la pratiquant sur un territoire qu’ils et elles occupent depuis des milliers d’années, celle de ceux qui ont défendu et ont encore à défendre leurs terres contre l’incursion d’arpenteurs et autres propriétaires de terrain de golf.
L’heure est à la reconnaissance de ces peuples pour le mouvement indépendantiste. Et pas seulement par de beaux discours et des « gestes symboliques », mais un support inconditionnel à leur droit à l’autodétermination.
Cela commence tout d’abord par une bonne dose d’écoute, de silence et d’écoute. Car une grande partie de dernières 400 années de notre histoire commune ont malheureusement été dédiés à la suppression des cultures et des points de vue autochtones. Sans pour autant les mystifier, nous nous devons de comprendre ces cultures, et je dis bien CES cultures, car il est également essentiel de ne pas voir les 11 cultures autochtones du territoire québécois de manière monolithique. Comprendre les histoires, souvent tragiques, sans non plus tomber dans la condescendance victimisante. Comprendre les points de vue, comprendre les luttes.
Mais cette écoute ne peut se faire sans humilité. Ces histoires sont crues souvent dures à entendre, car elles placent nos propres ancêtres aux bancs des accusés et mettent en évidence des inégalités qui persistent encore aujourd’hui. Dure à entendre pour un peuple qui a également souffert aux mains de l’Empire britannique, et qui en a fait une bonne partie de son récit historique, mais comme le dit Albert Memmi « … l’on n’est jamais dominé dans l’absolu, mais toujours par rapport à quelqu’un, dans un contexte donné ». Malgré l’histoire indéniable de dominations de Canadiens-français, il nous faut reconnaitre la dure et complexe réalité historique qu’il a souvent été plus profitable à l’Empire de nous donner quelques nananes pour accomplir sa besogne que de nous faire disparaitre à la manière des peuples autochtones.
Malgré tout ce que peuvent en dire les factions réactionnaires de l’indépendantisme, ce n’est pas que de « s’oublier », ou de « s’autoflageller » que de réaliser ceci, au contraire, c’est mieux se connaitre ! Loin de moi l’idée de parler en leur nom, mais je suis prêt à affirmer que la dernière chose dont les mouvements politiques autochtones ont besoin c’est bien l’autoflagellation blanche libérale dans laquelle notre premier ministre est passé maitre. Les assourdissantes sensibilités culpabilisantes blanches n’ont pas leur place au sein d’un mouvement dont l’un des objectifs premiers doit être la restauration des voix autochtones. C’est une honnêteté historique et une vraie démarche militante que l’on doit aux Premières Nations, pas des larmes repentantes vides de contenu politique.
La solidarité se doit d’être le pilier de cette démarche. Une solidarité qui les considère non pas seulement comme faisant partie intégrante de l’ensemble québécois, mais aussi comme des entités culturelles et sociales à part entière avec des « déterminations propres ». Aussi usée que puisse paraitre l’expression, tout cela doit se faire dans un esprit de « nation à nation ». Comme le souligne un certain adage militant, plus qu’être des alliés, nous devons être des complices.
Une solidarité qui d’ailleurs devrait aller de soi. En tant que mouvement qui se réclame de l’autodétermination des peuples, il est assez décevant que l’indépendantisme québécois ne se soit pas encore engagé plus significativement à l’autodétermination autochtone. Les temps de la « libération » à l’intérieur du carcan colonial eurosuprémaciste duquel nous venons à sonner. La libération, la vraie, ce fait dans la répudiation des forces historiques mêmes qui nous ont déposés sur ce contient, non pas pour le « civiliser », mais, et cela devient de plus en plus claire plus notre époque avance, dans le but de le drainer de ses ressources.
Si nous constituons véritablement un mouvement solidaire à la libération de tous et toutes, à quoi bon faire renaitre les principes d’un empire français pour qui nous n’étions que les rouages d’un comptoir commercial de seconde zone ? À quoi bon adopter la même idéologie destructrice que ceux qui nous administrent paternalistiquement depuis 262 ans ? À quoi bon reprendre le flambeau génocidaire des mains d’une Sainte-Église catholique romaine que nous avons nous-mêmes chassé de notre société ? À quoi bon reproduire les principes d’une société qui tue, exploite et détruit ?
Un changement de paradigme, voilà ce dont notre mouvement, et notre culture ont besoin. À la manière de celui qui s’est opéré dans les années 60 et qui a chassé le pouvoir autoritaire de l’Église sur notre société. Personne sauf peut-être les plus têtus des réactionnaires, n’oserait dire que la laïcisation de la société québécoise fut une mauvaise chose pour celles-ci. Les Québécois.es ne se sont pas « oubliés » en jetant le pouvoir catholique à la poubelle de l’histoire, ils, et particulièrement elles, se sont engagé.es de plein gré vers une société plus juste.
Tout comme nous avons tué l’Abbé, il nous faut tuer le colon pour finalement, après 487 ans, arriver en « Amérique ».
*« Décolonisation » est un mot familier du vocabulaire indépendantiste. C’est ce dont se réclamaient plusieurs de nos prédécesseurs.es au cours des années 60, prenant inspiration de toutes les nations qui se déliaient de leurs chaines coloniales autour d’eux, ils et elles voyaient en le Québec de l’époque une société colonisée en tandem par un capitalisme au contrôle anglophone et un conservatisme religieux à son service.
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