par Vladimir Tchernine
Du 17 au 19 septembre les Russes vont élire leurs députés à la Douma ! De toute évidence l’événement est pris très au sérieux par l’État russe et par « Russie Unie » appelée communément « le parti du pouvoir ». Depuis deux mois on en parle beaucoup dans la presse et à la télévision en incitant les citoyens à se rendre aux urnes. Je vais donner quelques chiffres, même si c’est pas du tout le but de ce petit exposé car mon dada c’est l’ambiance.
L’État ne lésine pas sur les moyens, le gouvernement a dépensé pour ces législatives 21,4 milliards de roubles et même en convertissant (1€= 86.15045 roubles) ça fait un joli paquet ! Juste pour comparer en 2016, ce n’était que 10,6 millards de roubles. Covid oblige, une partie non négligeable de cette somme ira à la protection contre la « pandémie » (gants, masques, gel désinfectant, écrans-séparateurs, eau, verres en plastique et tout le toutim) ça parait un peu superficiel mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un plus grand pays du monde avec 11 fuseaux horaires et pour toutes les régions, de Sotchi à Vladivostok, donc ça fait une somme !
Mais passons à l’ambiance. Je suis assidument les émissions quotidiennes consacrées exclusivement aux futures élections. Déjà toutes les chaines fédérales consacrent une part importante de leurs programmes d’infos aux déplacements des chefs des partis dans les régions, à la campagne, dans les usines et sur les chantiers des nouvelles lignes RER à Moscou.
Mais c’est sur VGRTK, l’énorme holding fédéral public comparable à France Télévisions, que se passent les choses les plus intéressantes. Vous allez me dire que c’est une chaine d’Etat et que, comme chez nous, ce sont toujours les mêmes promesses non tenues des candidats, la poudre aux yeux, la propagande à toutes les sauces et ainsi de suite ! Alors nous allons voir en quoi la sauce russe est différente. Pour la forme oui, tout est fait à la manière occidentale, russian touch en plus. Les représentants et chefs des partis anciens et nouveaux sont sagement assis en demi-cercle autour de l’animateur, par trois de chaque côté. L’animateur est toujours le même, c’est le fameux Vladimir Soloviev, un journaliste vedette de la chaine qui depuis au moins 25 ans crée et anime tous les talk-show phares de VGRTK. C’est lui qui fait de longues interviews avec Choïgou (le ministre de la Défense) et Poutine en personne, c’est pour dire.
Mais alors où est la différence avec nos élections ? Primo, c’est beaucoup plus vivant et je dirais passionnant à regarder qu’en France, secundo sur le plateau la plupart des partis pestent contre leurs adversaires et certains contre le Parlement actuel où Russie unie (le « Parti du pouvoir ») détient la majorité. Selon certains, ce n’est qu’un tas de vauriens qui ne pensent qu’à leurs privilèges et ne foutent rien pour améliorer le sort du peuple. Et enfin il y a un élément d’intrigue dans tout ça, on se demande jusqu’où ils vont aller avec leurs critiques le lendemain.
Chaque jour du lundi au jeudi les participants reçoivent des sujets communiqués la veille (mais ils ont droit de parler d’autre chose), les candidats se préparent, ça se passe en direct, aucune censure n’est admise, l’animateur Soloviev n’a pas droit de dire quoi que ce soit, il encaisse tout comme un grand et il y a des moments que je n’ai jamais vu ailleurs, j’en donnerai un exemple à la fin !
On parle surtout de la Russie, il n’y a pratiquement pas de discussions sur le monde extérieur, sinon quelques remarques du président de «Iabloko» le parti d’opposition, sur les dépenses militaires et la présence de l’armée russe en Syrie et dans d’autres parties du monde. Les représentants, comme je l’ai dit, sont au nombre de six et leurs prestations sont limitées à trois minutes pendant la première partie de l’émission et à quatre minutes pendant la deuxième. Le timer affiché à l’écran annonce les secondes qui passent et à dix secondes de la fin il devient sonore, pendant ces dix secondes le représentant de partie doit dare-dare rappeler aux téléspectateurs le numéro de son parti, qui lui était attribué sur la liste commune. Pour appuyer leurs dires ils tiennent à la main une petite pancarte où est écrit le nom du parti et son numéro. Les dernières secondes sont aussi utilisées pour lancer un appel vibrant à voter pour eux.
A la place d’honneur à la droite de Soloviev est pratiquement toujours assis le dinosaure de la politique russe, Vladimir Jirinovski en personne. Pourquoi je dis en personne ? Parce que si d’autres partis et formations changent de temps en temps leurs représentants, en envoyant des adjoints ou carrément des militants, lui vient personnellement défendre les couleurs du LDPR (parti libéral-démocratique russe) qu’il a fondé en 1990. A cette époque, je travaillais comme chroniqueur à Nulle part ailleurs à Canal+, et j’avais fait quelques sujets sur lui en pensant que sa carrière ne serait pas longue, je ne donnais pas cher de sa peau et comme vous voyez, je me suis trompé énormément. « Ma mère est russe et mon père est juriste » (son surnom) commence presque toujours sa prestation par l’accusation des communistes de tous les temps en débutant par Lénine et en terminant avec son meilleur ennemi, le chef actuel du KPRF (parti communiste russe) Gennady Zuganov, un poids lourd de la politique russe, qui d’après les pronostics serait le deuxième ou le troisième en lice avec 19,5 % des votes. Il faut dire que Vladimir Jirinovski s’est calmé depuis des années et il ne promet qu’une fois sur deux de mettre en taule tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui si jamais il est élu Président. C’est devenu son numéro qui fait sourire les autres participants, qui se sentent en sécurité puisque c’est fort improbable !
En fait, d’après les dires de l’intraitable caution des élections transparentes Ella Pamfilova, la présidente de la commission des élections, cette année il y a du monde au portillon de la Douma, 13 candidats pour une place, du jamais vu ! Pendant ces débats préliminaires sur le plateau de Soloviev j’ai vu apparaitre des partis nouveaux avec des programmes bien préparés et le verbe haut pour les défendre ! En substance, j’ai bien aimé l’échange à couteaux tirés entre la représentante de « L’alternative verte » la vaillante journaliste Sofia Goudim et les anciens « Verts – (Zelenie)» tout court, représentés par un cosmonaute au visage imperturbable et au discours très mesuré. En pointant son doigt sur lui, cette belle fille lui a crié ses quatre vérités, comme quoi depuis sa création (1993) ce parti n’a rien foutu, la Russie reste un énorme dépotoir et les « Verts », cosmonaute y compris, se la coulent douce grâce à toutes les subventions d’État qui ne sont pas négligeables. Il faut dire que les participants partagent souvent leurs expériences et Sofia a annoncé avec fierté qu’elle a inscrit sur son tableau de chasse journalistique un haut fonctionnaire de sa
ville de Tcheliabinsk (en Sibérie) qu’elle a réussi à envoyer en prison ! D’ailleurs le chef de son Parti, dans un talk-show s’est vanté d’avoir vécu pendant 7 mois sur une gigantesque décharge sauvage dans les environs de Moscou, tout ça pour attirer l’attention du pouvoir. Il y organisait des meetings, des barrages des camions, en tournant des petits sujets sur toutes ces exactions écologiques et les envoyant aux chaines de télévision et en les diffusant sur les réseaux sociaux ! D’ailleurs, je suis sûr que la tête du chef d’ « Alternative verte » a servi de modèle pour le logo du Parti avec son son chat justicier
Pratiquement tous les partis critiquent plus au moins le parti du pouvoir (Russie Unie) et font des propositions dans leurs programmes sur la façon d’améliorer la vie des concitoyens lambda ! Ça va de, revenir sur la réforme des retraites très impopulaire, doubler le salaire minimum et la pension de retraite, augmenter par trois les salaires des profs et des médecins, réhabiliter les écoles et des hôpitaux partout en Russie, introduire l’impôt progressif sur les riches et ainsi de suite.
Mais personne ne mène d’attaques aussi frontales et dures que Maxime Chevchenko, président du Parti « Le Parti Russe de la Liberté et de la Justice » (ПРCC). Avec une voix qui porte il déclare que l’État Russe est en faillite permanente en accusant tous les partis qui siègent à la Douma de clientélisme et du reste de tous les péchés mortels.
Un jour, lors des dix secondes finales des ses quatre minutes attribuées, il a entamé un poème écrit par Mikhail Lermontov sur la mort de Alexandre Pouchkine, (en substance tué en duel par un français le baron Georges-Charles de Heeckeren d’Anthès, ça crée des liens, non ?). Il l’a lu avec emphase en pointant son doigt accusateur sur Soloviev.
C’était un moment de frisson, j’aimerais bien voir une chose pareille chez nous en France.
« Vous, les ambitieux, en foule autour du trône,
Les bourreaux du génie, et de la liberté !
Vous vous cachez dans l’ombre de la loi,
Devant vous, tribunaux et vérité se taisent.
Oui, mais le Tribunal divin, ô dépravés,
Le Juge redoutable, il vous attend,
Il est inaccessible au son de l’or,
À l’avance il connaît les pensées et les causes.
Alors vous pourrez bien user de calomnie :
Cela ne vous sera d’aucun secours.
Vous ne laverez point de tout votre sang noir
Tout le juste sang du Poète »
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Je vous mets ici quelques visages pour donner des repères
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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