par Edouard Husson.
Depuis le discours présidentiel du 12 juillet 2021, beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment de ne plus vivre dans un régime politique de liberté. On entend parler de dictature et certains font même référence, de manière pas toujours appropriée à la période de la Seconde Guerre mondiale. Il faut donner raison au bon sens populaire : nous ne sommes plus en démocratie. Mais comment désigner la nouvelle forme politique dans laquelle nous vivons ? Dictature, tyrannie, totalitarisme : peut-on employer de tels mots ? Oui, à condition de bien comprendre quels sont les leviers du pouvoir moderne : mondialisme, capitalisme de surveillance, nudge, fascisme gris, passons en revue les différentes facettes d’une confiscation des libertés qui n’est pas que française.
Quoi ? Nous serions en dictature ? Mon cher, vous êtes ridicule. Vous voyez bien que vous avez toute liberté pour traiter Emmanuel Macron de dictateur. Vous n’y êtes pas. ça c’est la version gentille. La version méchante de la bien-pensance, c’est ce qu’on trouve actuellement dans le journal Libération, la réduction des manifestants contre le passe sanitaire à un ramassis d’antisémites et de gens d’extrême droite.
Précisément, direz-vous, la reductio ad Hitlerum permanente depuis des décennies, l’amalgame entre nation et nazisme, le recours systématique aux termes populisme, complotisme, fachosphère etc… sont insupportables. Pourquoi tomber dans l’excès opposé, consistant à traiter Macron de dictateur ?
En réalité, nous devons sortir des stéréotypes. Au pays de Etienne de La Boétie (1530-1563,portrait ci-contre), l’auteur du magnifique « Discours de la servitude volontaire », et de Raymond Aron (1905-1983), courageux pourfendeur des totalitarismes à une époque où il était à la mode d’aimer l’URSS, on devrait savoir que la tyrannie avance souvent masquée.
La relation ambiguë des Français à la liberté
Alexis de Tocqueville (1805-1859) faisait remarquer la difficulté des Français à dégager une idée claire et, surtout, une pratique de la liberté. Pour lui, la quête de liberté est en permanence entravée, en France par le souci non moins ancré d’égalité (au moins formelle). Et pour rester dans une réflexion libérale, on remarquera que l’État a souvent utilisé, depuis la Révolution, l’aspiration à l’égalité pour étendre son domaine d’intervention dans les affaires privées, aux dépens de la liberté civique.
On incrimine la longue tradition monarchique française. Mais force est de constater que les rois de France disaient « mes peuples » quand ils parlaient des Français et qu’ils ont encouragé depuis le Moyen-Age les libertés communales. Dans L’Ancien régime et la Révolution, Tocqueville souligne le contraste entre les innombrables limites au pouvoir des rois et la centralisation accélérée qui a commencé avec la Révolution.
On reproche aussi à Charles de Gaulle d’avoir forgé une « monarchie républicaine ». Pourtant, c’est le système politique républicain, revigoré après mai 1968, qui l’empêcha de faire la grande réforme de la régionalisation et de la décentralisation. Après le départ du général, ce même système républicain s’est empressé de rogner progressivement les pouvoirs réels du président : cohabitations, passage au quinquennat, recours très rares au référendum. Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron, chacun à leur manière, ont beaucoup gesticulé, avec de moins en moins d’efficacité à chaque nouveau président; en revanche, la période 2007-2021 est marquée par une poussée de centralisation sans précédent.
Et ce qui différencie Emmanuel Macron de ses prédécesseurs, c’est qu’il semble maîtriser les mécanismes à l’œuvre.
De quoi le macronisme est-il le nom ?
On se rappelle comment, après l’explosion de Beyrouth, le 4 août 2020, Emmanuel Macron s’est rendu au Liban et a mis en demeure les élites politiques du pays de ramener l’ordre et la prospérité. D’ultimatum en conférence internationale sur sur le financement du pays, qu’a obtenu le président français ? La situation dramatique d’un pays ravagé par la corruption d’une partie des élites, les rivalités entre les grandes puissances et l’inflation a-t-elle changé ? Jugé à l’aune de tous ces chefs d’État français qui l’ont précédé pour entretenir des relations historiques entre les deux pays, Emmanuel Macron a lamentablement échoué. Mais tel n’était pas l’objet de son déploiement d’activisme. Nicolas Sarkozy se jugeait encore comptable envers le peuple français ; François Hollande avait encore un peu de mauvaise conscience sociale. Emmanuel Macron lui n’a plus de lien affectif avec la France, son histoire, ses institutions, son peuple. La France n’est qu’un tremplin, une scène à partir de laquelle le président français entend se faire sa place dans la nouvelle aristocratie internationale qui se constitue progressivement, depuis 1945, au travers de la gouvernance mondiale en construction. Évidemment, il lui faut être réélu ; mais il semble mieux parti que ses deux prédécesseurs, paradoxalement, car il a décidé de jouer à fond du levier de la gouvernance mondiale – à travers l’Union européenne et l’ordre sanitaire international.
Emmanuel Macron est le plus terrifiant des chefs d’État qui ait jamais gouverné la France parce qu’il est le premier qui n’éprouve rien pour son propre pays. Il évite de retourner en Amiens qui l’a vu grandir ; il a supprimé l’ENA, qui a fait sa formation et sa carrière ; il ne jure que par la « souveraineté européenne » et décrit ses compatriotes comme des « Gaulois réfractaires », « des gens qui ne sont rien » etc… Et, depuis le début de la crise sanitaire, il ne se préoccupe pas de soigner les Français mais d’accélérer, grâce à des politiques sanitaires aussi rationnelles sur le papier qu’inefficaces en réalité, l’insertion de la France dans un gouvernement mondial ; ou plutôt son intégration au noyau des décideurs qui, il en est convaincu, administreront le monde de demain avec quelques principes simples : vaccination obligatoire, pass numérique polyvalent, crédit social pour sélectionner les membres de l’élite, suppression des frontières pour détruire les nations par l’immigration, normes environnementales draconiennes, monnaie purement numérique gérée par une seule banque centrale etc…
Ce qui nous menace, ce n’est pas une dictature exercée sur les Français par un Français à la fois patriote et anti-démocrate ! Ce n’est pas un nouveau bonapartisme ni même un boulangisme ou un populisme autoritaire façon latino-américaine. C’est la destruction de la République et une liquidation de la nation au profit d’une immense construction impériale éventuellement constituée de quelques sous-ensembles mais administrée à coups de téraoctets, le plus souvent à des milliers de kilomètres des administrés.
Emmanuel Macron a saisi l’occasion de la crise sanitaire pour acquérir les leviers qui lui permettront de neutraliser la question de sa réélection. Elle sera acquise par défaut, parce que les adversaires politiques croient que jouent encore les règles de la République. Et parce qu’ils sont incapables d’analyser ce qui se passe.
Le fascisme gris
J’appelle « fascisme gris » le système de pouvoir qui se met en place dans les pays occidentaux et dont Emmanuel Macron entend être le premier bénéficiaire en France :
• Comme le fascisme historique, le système qui se met en place est fondé sur l’alliance entre les grandes entreprises, les grandes fortunes, la haute fonction publique, les élites culturelles, politiques, militaires, les grands médias, pour confisquer le pouvoir à leur profit. Joël Kotkin a raison de souligner ce qui le différencie du néo-maoïsme de Xi Jingping. En Chine, l’État est aux commandes, en Occident ce sont de très grandes entreprises qui donnent le la.
• Fondé sur le potentiel de contrôle maximal des outils numériques, il repose sur ce que Shoshana Zuboff appelle capitalisme de surveillance.
• Ce néo-fascisme est fondé comme le nazisme sur une ambition prométhéenne de contrôle de la démographie – transposé à l’échelle mondiale. Ses penseurs analysent les défis environnementaux selon les termes d’une version à pleine modernisée de « l’espace vital ». La planète doit être aménagée pour une minorité de « seigneurs » ayant accès aux technologies du transhumanisme pour acquérir l’immortalité tandis que le reste de la population doit être soumis au contrôle des naissances et à des logiques mortifères de décroissance. Si l’on pense que j’exagère, j’ai entendu de mes propres oreilles Jeffrey Sachs expliquer dans un cadre universitaire que la terre se porterait mieux avec 250 ou 300 millions d’humains seulement.
• Plus proche, cette fois, du modèle mussolinien que de la référence hitlérienne, ce néofascisme met en scène des guerres « théâtrales » – qu’il a d’ailleurs autant de mal à gagner que l’Italie des années 1930, comme le montre le fiasco afghan.
• Ce néofascisme est allé au bout de la mutation entamée après 1945 : de nationaliste, il est devenu internationaliste, de raciste il est devenu antiraciste. Ses milices se disent « antifa » mais dès qu’on les laisse faire elles emploient une violence de rue stratégiquement pensée au service du pouvoir, et qui débouche immanquablement sur un désir d’ordre dans les populations – selon une mécanique dont Mussolini l’ancien homme d’extrême gauche, avait expérimenté le succès.
• Dans le cas français, ce néofascisme affirme la suprématie de la technocratie européenne sur la nation selon un modèle pensé en pleine Collaboration.
• Ce néo-fascisme est gris comme le « pouvoir gris » dont il a tiré à l’origine sa puissance électorale. Il s’est imposé dans des populations vieillissantes, en flattant le désir de stabilité de la rente et de monnaie forte, aux dépens de l’investissement, de l’éducation et des jeunes générations.
• Ce néo-fascisme est gris parce qu’il veille à rester indéfinissable, en termes de régimes politiques, nie son essence dictatoriale et conserve autant que possible, les apparences de la démocratie.
• Ce néofascisme possède « cinquante nuances de gris » car il s’installe au bout de la révolution sexuelle soixante-huitarde. Et il prospère au sein d’élites fascinées par le sado-masochisme. Christian Grey est le symbole archétypique de l’élite mondialiste et le contrat qui le lie à la jeune Anastasia Steele – un contrat sans cesse remis en cause et reformulé par le renforcement de la pulsion dominatrice de Grey – est le symbole parfait de la manière dont les élites mondialistes conçoivent le gouvernement des peuples. Le passe sanitaire en est une transposition au domaine de la santé.
Le grand problème des débats sur le basculement de régime que nous vivons, c’est qu’on n’a pas en tête la modernité du fascisme – comparé au communisme – largement fondé sur la coopération volontaire des administrés aux politiques de coercition et la sélection d’une élite complice dont on flatte les pulsions individualistes au service de la cause. Tout ce que nous a appris la réflexion sur le totalitarisme, depuis presque un siècle, c’est que ce dernier est d’autant plus efficace qu’il est indirect et se vêt des atours de la liberté.
Dire non au NUDGE de plus en plus violent qui nous opprime
Le système de domination dont nous parlons est puissant. Sans que cela ait été fait consciemment, les mondialistes britanniques ont pris leur revanche sur ce qui avait été leur première vraie défaite – le Brexit – en enfermant la Grande-Bretagne de Boris Johnson dans l’ordre sanitaire de la lutte contre le COVID 19. De manière tout à fait consciente, cette fois – et avouée – le fascisme gris américain s’est mobilisé pour annuler la réélection quasi-acquise de Donald Trump. Joe Biden incarne d’ailleurs la version la plus sénile de ce néofascisme.
On pourrait multiplier les exemples pour montrer comment on assiste à une généralisation de la technique du nudge, cette incitation indirecte et contraignante empruntée à l’économie comportementale. L’instauration du passe sanitaire obligatoire pour certains lieux et certaines catégories telle qu’Emmanuel Macron l’a mise en place lors de son discours du 12 juillet, relève de cette technique. Évidemment le processus est condamné à se durcir et déraper comme le montre le cas australien où le gouvernement devient de plus en plus enfermiste en poursuivant l’objectif illusoire du « zéro Covid ».
Qu’est-ce qui pourra bien faire obstacle à la dynamique de destruction de la démocratie mise en place par une élite occidentale qui s’est révoltée contre les peuples et qui fait sécession ? Il y a bien entendu des limites à la réussite de ce système, internationalement parlant. La rivalité avec la Chine néo-maoïste est de plus en plus flagrante, jusqu’au sein des grandes instances internationales. Quelques nations resteront libres – on voit la résistance des peuples d’Europe centrale à l’ordre européen ; la Russie, l’Inde et, sans doute le Japon refuseront de se plier aux injonctions qui leur sont faites.
Mais ce système est ainsi fait qu’il ne peut en fait qu’imploser de l’intérieur – s’il doit être détruit. Internationalement parlant, il peut très bien vivre, en effet, de connivence avec l’islamisme, dans une sorte de « guerre froide » avec la Chine et les quelques grandes nations libres, en organisant de temps en temps des interventions militaires à moitié « théâtrales » et à moitié mues par des intérêts économiques. En revanche, il peut être sérieusement remis en cause de l’intérieur :
• Il est très frappant, d’une part, de voir comment l’opposition au passe sanitaire devient un mouvement international, présent dans de nombreux pays. Et le danger pour le fascisme gris est la mobilisation de membres de l’élite au côté des peuples révoltés. Le Brexit a constitué un précédent. Une étude récente du MIT faisait ressortir combien le discours des anti-dictature sanitaire s’appuie sur une information fondée et scientifiquement étayée. Les manifestations du samedi en France sont la première occasion depuis longtemps où l’on voit les classes sociales se mélanger à nouveau.
• La force des opposants, dans chaque pays, vient de ce que le mouvement national et la liberté sont en train de se réconcilier alors que depuis cinquante ans on les opposait ou on les forçait à vivre séparément.
• Le numérique peut être utilisé de manière décentralisée et pour l’autonomisation de l’individu afin de répondre à son instrumentalisation tyrannique par les États et les entreprises. Le risque que court le fascisme gris, c’est qu’il y ait suffisamment de geeks et de hackers renouant avec l’esprit libertaire d’origine de la révolution informatique et qui décident d’attaquer les systèmes informatiques mis en place par la caste au pouvoir.
• On observe actuellement, pour s’opposer au pass sanitaire, non seulement la mobilisation dans la rue de plusieurs centaines de milliers de personne chaque semaine mais aussi un réveil de la société civile, des réseaux d’entraide. Le nombre de chaînes Telegram ou Signal qui se sont fondées pour échanger les bonnes pratiques et les informations est impressionnant.
• Enfin, n’oublions pas le facteur humain ! Non seulement les infrastructures numériques de l’élite sont à la merci de cyberattaques bien pensées mais, n’en déplaise au Monsieur Homais de l’intelligence artificielle (le docteur Laurent Alexandre) l’avenir n’appartient pas à une minorité suffisante d’hyper-diplômés mais à ceux qui sauront passer sous le radar de la surveillance numérique, organiser des réseaux a-technologiques ou quand ils utilisent une technologie moderne les accompagner d’esprit de finesse, d’imprévu et du sang froid que donnent la mémoire et l’expérience humaine.
• Le système qui s’est mis en place a le défaut des structures impériales: ceux qui commandent sont de plus en plus loin de ceux qu’ils veulent administrer. Ils perdent le contact avec le terrain. Et à la différence des structures impériales classiques, le fascisme gris dispose certes de forces de l’ordre mais les armées nationales lui échappent encore en grande partie – comme l’a montré l’épisode des tribunes de militaires français au printemps.
• Il y a, enfin, un défi éducatif à relever. La caste au pouvoir sort d’institutions éducatives où l’on pense de manière de plus en plus stéréotypée depuis trente ans. Il s’agira de créer de nouvelles institutions et de faire émerger une nouvelle élite.
Dans tous les cas, les raisons d’espérer et les failles du système qui se mettent en place sont nombreuses.
source : https://lecourrierdesstrateges.fr
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International