Les récits de Biden resteront des fantasmes, qui ne peuvent être mis en œuvre dans la réalité. En d’autres termes, ils ne peuvent être mis en œuvre sans déclencher une guerre majeure au Moyen-Orient – une guerre qui menacerait l’existence même d’ « Israël ».
Par Alastair Crooke – Le 13 juillet 2021 – Source Al Mayadeen
Lorsque le président israélien sortant a rencontré Biden dans le bureau ovale le mois dernier, tous les « récits porteurs » de l’Establishment mondial étaient exposés : l’« ordre mondial » imposé par les États-Unis, le renforcement de l’alliance arabe anti-iranienne, le blocage de la poussée nucléaire iranienne, l’arrêt du développement de l’arsenal militaire iranien – et l’Iran « ne réussira jamais à se doter d’une arme nucléaire sous « mon » mandat (c’est-à-dire celui de Biden) » .
Cela semble difficile. Cela résonne chez nous, comme si les États-Unis dirigeaient le monde « depuis le front ». Mais tout cela, ce n’est que du bruit, car l’équipe Biden ne peut, en fait, mettre en œuvre aucun de ces récits. Ils restent des fantasmes, qui ne peuvent être mis en pratique dans la réalité : c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être mis en œuvre sans déclencher une guerre majeure au Moyen-Orient – une guerre qui menacerait l’existence même d’« Israël ».
L’ordre mondial s’est effondré et ses « valeurs » n’appellent plus d’émulation ; l’Iran ne peut plus être forcé à entrer dans une « boîte de restriction nucléaire » – et comment Biden pourrait-il garantir (sans une guerre régionale majeure) qu’il n’y aura pas d’« arme » iranienne durant sa présidence ? Il en va de même pour les autres enjeux régionaux : les États-Unis vont « donner le coup d’envoi » d’une solution à deux États pour les Palestiniens, et Assad doit être tenu pour responsable du « massacre de son propre peuple ».
Comment Biden garantirait-il un État palestinien ? Et, au-delà de la transformation de la Syrie en un désert de fumée, comment va-t-il forcer les Syriens à abandonner leur dirigeant ?
Nous touchons là au cœur du dilemme du Moyen-Orient : la région s’est transformée au cours des quatre dernières années ; le monde prend de nouvelles directions, mais rien de tout cela ne peut être abordé – aucune de ces vérités n’est directement « regardée dans les yeux » dans le discours occidental, en raison du caractère sacré de ces schibboleths éculés. Et puisqu’il est impossible d’en parler, ou d’y réfléchir de manière critique en Occident, la capacité de la région à aller de l’avant est gravement atténuée.
Voici le problème : lorsque l’Establishment a finalement évincé Trump – et que sa « nouvelle normalité » a été proclamée – nous (le monde) étions déjà complètement déboussolés en vivant une réalité dans laquelle les faits n’avaient plus aucune importance, où des choses qui ne se sont jamais produites ont néanmoins eu lieu officiellement. Et d’autres choses qui se sont évidemment produites, ne se sont jamais produites – pas officiellement, du moins. Il s’est avéré que ces dernières n’étaient pas fondées sur la « science », et qu’elles méritaient donc d’être condamnées comme étant de l’extrémisme de droite, des théories du complot, des « fake news » ou autre chose, bien que les gens sachent qu’elles ne sont pas fausses. Et ils pouvaient le voir.
Il ressort clairement du récit de Biden que « ses maîtres » ne veulent absolument pas réfléchir aux nouvelles réalités stratégiques de la région, ni les aborder. Ils n’ont que faire d’un examen approfondi de ces nouvelles circonstances. Ils veulent, au contraire, aller dans la direction opposée à la pureté épistémologique. Ils cherchent à générer un grand nombre de réalités contradictoires, c’est-à-dire non seulement des idéologies contradictoires, mais aussi des réalités qui s’excluent mutuellement, qui ne peuvent pas exister simultanément et qui, bien sûr, ne servent qu’à embrouiller davantage les gens.
L’objectif est de « dévaloriser » toutes les valeurs nationales restantes, d’affaiblir la cohésion nationale – car son objectif logique n’est pas de créer une nouvelle idéologie ou un nouveau récit (il n’en a pas besoin), mais plutôt de prolonger un ordre unique, mondial et mercantile.
Bien sûr, même la Maison Blanche a toujours besoin de son « récit ». Mais le but, ici, de tout récit de l’Establishment, est de tracer une ligne Maginot, une frontière idéologique défensive, entre « la vérité » telle que définie par les classes dirigeantes et toute autre « vérité » qui contredit leur propre récit.
Les « classes dirigeantes » accréditées (telles que celles qui dirigent Bruxelles et travaillent au Congrès) savent que leur succès dans le monde est, en grande partie, le fruit de leur enthousiasme pour les récits officiels. Et leur espoir collectif est que l’adoption du « récit correct » leur assure un espace sûr et durable. D’un côté de cette « ligne Maginot », il y a donc la sécurité et un certain avancement, mais de l’autre côté, il y a la stigmatisation sociale et professionnelle, et la fin d’une carrière.
C’est là que réside le nœud du problème. Le Moyen-Orient (comme d’autres régions) est prisonnier de ce carcan de récits délibérément absurdes. Jusqu’à ce que le méta-récit d’un ordre mondial, soutenu par les « muscles » américains – et le récit subordonné d’un « avantage » israélien garanti sur le monde musulman, se fracture enfin, la région semble condamnée à une crise durable.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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