par Francis Goumain.
Tout le monde sait que la télévision manipule, mais il n’est pas facile de voir concrètement comment parce qu’il y a rarement de mensonge éhonté, la manipulation réside plutôt dans le choix de l’histoire qu’on veut raconter, dans le choix de ceux à qui on donne la parole, de ceux à qui on tend le micro et qui savent bien qu’ils n’ont pas intérêt à dire autre chose que ce qu’il est convenu de dire, dans la mise à l’écart des faits qui pourraient venir troubler l’image qu’on veut créer dans la tête du téléspectateur, bref, dans la pose d’œillères qui font que le téléspectateur peut passer à côté de la tour Eiffel sans la voir.
C’est ainsi que le 11 juin 2019, FR3 Limoges passait cette vidéo sur le camp de détention de l’administration Pétain pendant l’occupation.
Et puis, c’est surtout que la tentation d’exposer une preuve de la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs est trop grande, en sorte qu’on pourrait même bientôt entendre parler de ce camp au niveau national.
Dans ce reportage, on explique que le camp a hébergé 450 juifs en transit pour Drancy, que les gardiens du camp étaient Français (doit-on comprendre : contrairement aux détenus ?), on donne la parole à deux « chercheurs » de l’AJPN, attention dans le sigle, « J » veut dire « Juste », il s’agit de l’Association des Justes et Persécutés pendant la période Nazie, on tend le micro à la mairesse qui, bien entendu, parle avec tout le tact convenu d’un « sac à dos un petit peu lourd à porter ».
La vidéo, c’est important, est diffusée un 11 juin, parce que, comme c’est dit dans la vidéo, le camp a été libéré par le maquis, à la date du 11 juin justement, mais cette date n’est pas précisée, pourquoi ? Peut-être parce que c’est le lendemain de la tragédie d’Oradour-Sur-Glane, le 10 juin 1944.
C’est ce qui s’appelle passer à côté de la tour Eiffel sans la voir, ainsi donc, le lendemain d’Oradour, située à 30 km environ à l’ouest de Limoges, à 45 km de Saint-Paul-d’Eyjeaux, la résistance était capable de libérer un camp dans un secteur dans lequel on nous dit que les Allemands pouvaient se promener les mains dans les poches.
C’est troublant, mais il y a plus, la mairesse qui évoque un sac à dos lourd à porter n’en parle pas, mais après la guerre, il y a eu une tragédie dans ce camp, d’une dimension assez comparable à Oradour, des milliers de prisonniers de guerre allemands remis aux Français par les Américains y ont été détenus, pour du travail forcé, à 900 calories par jour et ils sont tombés comme des mouches.
Rendons justice à la mairie, son site, qui visiblement n’intéresse pas FR3, parle en détail de la situation des prisonniers de guerre Allemands, la mairie reconnaît une centaine de morts, mais dans un livre publié en Allemagne de Claus Nordbruch, Der deutsche Aderlass, paru en 2001 on trouve en légende d’une photo le petit texte intéressant suivant :
Au camp de Saint-Paul d’Eyjeaux 17 000 détenus livrés aux Français par les Américains sont morts dans les quelques semaines qui ont suivi leur arrivée.
Voici une copie du passage de la version traduite en anglais, on note l’erreur sur l’orthographe d’Eyjeaux.
Bien sûr, ce n’est pas pour le sort de ces prisonniers que FR3 parle d’une mémoire encombrante, d’une page sombre de l’histoire française longtemps occultée et difficile à assumer, mais c’est peut-être bien pour ça qu’on hésite à parler de ce camp, un camp dans lequel jamais aucun candidat à la présidentielle ne se rendra jamais, même si 450 juifs y ont été détenus en transit pour Drancy.
En attendant, le chiffre de 17 000 Allemands morts à Saint-Paul-d’Eyjeaux circule en Allemagne, et c’est peut-être justement pour faire contrepoids à Oradour.
À la lecture de ce qui précède, certains préfèreront remettre leurs œillères, on retrouve là toute la force de la manipulation dominante, quelques autres iront peut-être jeter un œil sur les deux annexes que nous proposons ci-dessous : en annexe 1 un extrait du site de la mairie d’Eyjeaux sur les prisonniers Allemands et en annexe 2, pour comparaison, une description de la situation des travailleurs étrangers en Allemagne, du moins, telle que vue par les Allemands.
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Annexe 1 :
Partie du site de la Mairie de Saint-Paul parlant de la situation des prisonniers de guerre allemands, le site nous a été signalé par la mairie, qu’elle en soit ici vivement remerciée. Elle n’est toutefois pas du tout à l’origine du présent article, cela va sans dire, mais vu la sensibilité du sujet, il vaut mieux le dire deux fois qu’une : non la mairie n’est en rien associée à cet article, voici d’ailleurs le début de sa réponse à nos questions : « Pour répondre à vos questions, à défaut de savoir qui vous êtes et pourquoi vous nous posez des questions plutôt déjà bien documentées ».
Histoire – Mairie de Saint-Paul
Le Dépôt 121 de P.G.
Le dépôt de prisonniers de guerre de l’axe n°121 de Saint-Paul-D’Eyjeaux
Peu après la libération du Camp de Séjour surveillé (C.S.S) du régime de Vichy par les F.T.P le 11 juin 1944, les infrastructures sont réutilisées pour des prisonniers de guerre allemands. Les premiers sont ceux capturés lors de la libération de Limoges le 21 août 1944. Le camp d’internement devient le dépôt de prisonniers de guerre de l’axe n°121. Ce sera le seul dépôt de prisonniers de guerre de l’Axe de la Haute-vienne.
Quelques images de la libération de Limoges :
Le 2 octobre 1944 un rapport au consul de Suisse fait état de la présence de 116 allemands dont 7 femmes et 275 russes dont 7 femmes et 5 enfants (les « russes » sous uniforme allemands sont essentiellement des soldats originaires d’Europe centrale enrôlés de force dans l’armée allemande. À la fin des hostilités ils seront remis à l’Union soviétique).
Le camp verra ensuite ses effectifs rapidement grossir car la France réclame dés la fin 44 des prisonniers de guerre (P.G.) à titre de compensation et le gouvernement incite régulièrement les particuliers et collectivités à faire appel à cette main d’œuvre.
Sur les 700 000 prisonniers de guerre allemands détenus en France fin 1945, un peu plus de 200 000 ont été capturés sur le territoire français, les autres ont été faits prisonniers en Allemagne et transférés en France entre mai et octobre 1945 par les autorités alliées (Au lendemain de la capitulation du Reich, les alliés font prés de 11 millions de prisonniers préférant se rendre aux occidentaux plutôt qu’aux Russes. Des camps improvisés sont alors établis en plein air, dans des conditions souvent épouvantables).
Le nombre de P.G. au dépôt 121 est très variable car la plupart des prisonniers aptes au travail sont constitué en « Kommandos » de travail accompagnés de gardiens à l’extérieur du camp pour des périodes plus ou moins longues. La plupart travaille dans l’agriculture mais aussi dans l’industrie, les travaux publics et tous les secteurs requérant de la main d’œuvre. L’effectif présent peut donc varier de plusieurs centaines à quelques milliers de détenus.
La catastrophe sanitaire se précise à l’été 45. Le nombre de détenus augmente, Les conditions d’hygiène sont aussi sommaires que sous Vichy, les soins médicaux insuffisants et la sous-nutrition générale. Beaucoup de prisonniers, comme avant eux les détenus du camp d’internement, prennent le teint jaune lié à la carotène de leur alimentation majoritairement constituée de carottes, et surtout d’un foie carencé. D’après les sources officielles, un prisonnier toucherait en moyenne 1 600 calories par jour en août 1945 mais on peut douter de la véracité de ce chiffre. Le chiffre réel est probablement plus proche des 900 calories journalières évoquées par un médecin militaire allemand détenu au dépôt 121 (Stabsartz Hoffmann, source Archives départementales de la Haute-Vienne). La situation devient si alarmante que la situation des P.G. Est évoqué dans la presse :
« Comme on parle aujourd’hui de Dachau, dans dix ans on parlera dans le monde entier de camps comme… Notre correspondant cite celui de Saint-Paul- d’Egiaux (sic). Mais il apparaît que ce jugement est valable pour beaucoup des camps ou des dépôts français de prisonniers de l’Axe ». (source Jacques Fauvet, Le Monde du 1° octobre 1945)
L’Écho du 13 Octobre 1945
Une visite du préfet au dépôt 121 tente de relativiser, mais une note des renseignements généraux de Limoges du 12 octobre 1945 signale que « de nombreux prisonniers de guerre allemands en provenance du camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux sont employés à Limoges à divers travaux… La maigreur et la faiblesse de ces prisonniers suscite parmi la population des commentaires assez acerbes à l’égard des autorités qui les ont en charge » (source : Archives départementales 87). Population pourtant peu encline à sympathiser avec l’ancien occupant.
Rapport du commissaire de la République suite à une inspection du camp le 26 novembre 1945 (extrait). Archives départementales 87
La situation n’est pas propre au camp de Saint-Paul. En effet la majorité des prisonniers de l’axe présents en France ont été rétrocédé par les américains ou britanniques, eux même submergés par un nombre de prisonniers beaucoup plus élevé que prévu. La guerre se poursuivant, les alliés auront le plus grand mal à assumer la charge que représenteront les millions d’allemands faits prisonniers. Beaucoup sont dans un état sanitaire et nutritionnel déplorable. Ces prisonniers avait été réclamé par la France à titre de main d’œuvre pour la reconstruction à venir. Mais du fait de l’état dans lequel se trouve le pays, il lui est en réalité bien difficile d’accueillir un si grand nombre d’hommes. Pour mémoire l’article 4 de la Convention de Genève de 1929 stipule que la puissance détentrice doit pourvoir à l’entretien des prisonniers. En Octobre 1945, la commune de Saint-Paul décide d’acheter un terrain contigu au cimetière pour enterrer les P.G. Décédés : « L’assemblée exige que la parcelle soit clôturée le plus tôt possible pour éviter les risques d’accident par les tombes creusées à l’avance » (séance du conseil municipal du 7 octobre 1945) ce qui semble confirmer que l’on ne se fait guère d’illusions. Ainsi est créé ce qui deviendra dans la mémoire populaire « le cimetière des allemands » rapidement couvert de petites croix. La Mairie enregistre une centaine de décès d’août à octobre 1945. Le pic de septembre suggère une épidémie (Typhus probablement, comme dans beaucoup de camps de prisonniers à cette époque). Le plus jeune P. G., Rudolf Naschbandt, est âgé de 17 ans lors de son décès le 10 septembre 1945, et Fritz Brockerman, un des plus âgé, décède le lendemain, 11 septembre, à l’age de 50 ans. La question du ravitaillement ne sera pas résolue avant 1946 mais l’hébergement, l’habillement et l’équipement des prisonniers font aussi défaut. Il ne faut cependant pas oublier que la pénurie alimentaire fait alors partie du quotidien des Français. À cette époque de la guerre, au bilan humain s’ajoute un très lourd bilan économique et une grande partie de la France souffre de la faim et du rationnement. Rappelons qu’un civil français, à la même époque reçoit environ 1500 calories journalières. À partir de 1947, les rapatriements vers l’Allemagne commencent et le camp ferme, cette fois définitivement, ses portes en 1949 (Les derniers prisonniers partent en 1948). Il faudra attendre les années 60 pour que les sépultures du cimetière allemand soient relevées et dirigées vers le cimetière militaire allemand de Berneuil. L’ancien « cimetière des allemands » est maintenant inclus dans l’extension du cimetière.
Pour en savoir plus :
• « Un Million De Prisonniers Allemands En France (1944-1948) » par Valentin Schneider, 2011, Éditions Vendémiaire.
• « Les Prisonniers De Guerre Allemands – France, 1944-1949 – Une Captivité De Guerre En Temps De Paix », par Fabien Théofilakis, 2014, Editions Fayard.
• Archives départementales de la Haute-Vienne, fond 186 W 1/135
• Site internet sur la Mémoire des camps de P.G.A
• Documentaire sur l’utilisation de la main d’œuvre captive des prisonniers de guerre allemands en France après la guerre. Documentaire auquel a participé Anne-Laure CHARLES à partir de ses travaux sur la citadelle de Besançon : « Quand les Allemands reconstruisaient la France ». 52 mn.
Annexe 2 :
Le travail en Allemagne des étrangers « invités », extrait du livre de Claus Nordbruch, « Der deutsche Aderlass », paru en 2001.
Une digression : les travailleurs étrangers en Allemagne
Quelle est donc la réalité des faits en ce qui concerne les travailleurs étrangers qui ont effectué des « travaux forcés » sous le Troisième Reich ? D’abord, il est parfaitement exact qu’il y avait un recours à la main d’œuvre étrangère déjà en temps de paix. Même avant 1937, il était d’usage de faire venir des saisonniers, 100 000 environ. Ils venaient principalement d’Italie, de Hongrie, de Yougoslavie, de Pologne, de Hollande, d’Autriche et Tchécoslovaquie, quelques milliers venaient aussi de Belgique et de France. Ils venaient parce que les salaires allemands étaient substantiellement plus élevés que dans leur pays. Par exemple, un « travailleur invité » tchèque gagnait entre 60 et 70 Reichsmarks par semaine en Allemagne, l’équivalent de 2 500 couronnes par mois, soit plus que la rémunération d’un jeune professeur à l’Université de Prague.
Le recours aux travailleurs étrangers a fortement progresser durant la guerre et se divisait en deux composantes: ceux qui venaient de leur plein gré et ceux qui ont été enrôlés de force. Les multiples sources, aussi bien privées qu’officielles, montrent que les travailleurs étrangers étaient généralement bien traités et que la plupart étaient venus d’eux-mêmes.
« C’était le meilleur moment de ma vie »
Les délits, assez rares, étaient pénalement sanctionnés (pour le viol, c’était la peine de mort). Pour le reste les travailleurs étrangers souffraient comme les civils Allemands des conséquences de la guerre, principalement les bombardements sur les villes et les expulsions. Les relations avec la population étaient généralement bonnes, voire souvent chaleureuses. Le directeur de l’Institut de Recherche en Histoire Contemporaine d’Ingolstadt, le Dr. Alfred Schickel, parle « d’innombrables petites marques de considération allant des cadeaux d’anniversaire à l’invitation à des fêtes de famille ou à des fêtes de la vie locale, en passant par les soins en cas de maladie ». Schickel relève qu’à la cessation des hostilités, ces contacts et relations ont décidé nombre de travailleurs à ne pas rentrer dans leur patrie soviétique et à démarrer une nouvelle vie à l’Ouest.
Les prisonniers de guerre étaient logés dans des camps, de là, le matin, ils étaient emmenés sous escorte vers leurs divers postes de travail et ramenés le soir. Par contrat, ce sont les employeurs respectifs qui devaient assurer l’alimentation quotidienne des travailleurs. De plus, il était prévu des règles quant à la rémunération de chaque homme pour chaque jour de travail, la somme était versée par l’employeur à l’administration du camp.
Car en effet, tous les travailleurs étrangers étaient payés pour leurs prestations! C’est un fait souvent oublié. Paul Kleinewefers, membre honoris causa de l’Université de Karlsruhe et membre du conseil de surveillance (Aufsichtsrat) d’une entreprise de travaux publics de Krefeld, apporte certaines précisions : « la paie des travailleurs étrangers que nous employons, des Français et des Hollandais, était établie comme pour les travailleurs Allemands. Le taux de rémunération était légèrement en dessous de ceux des ouvriers qualifiés, sachant que les travailleurs étrangers étaient pour l’essentiel, non qualifiés ou semi-qualifiés. L’hébergement se faisait comme pour les ouvriers d’un chantier, dans des camps ou dans de grandes salles de réception d’auberges aménagées à cette fin, certains Français disposaient même de logements privés. Les camps pour travailleurs étrangers n’étaient pas gardés, les Français et les Hollandais pouvaient aller et venir comme ils voulaient ».
Les travailleurs étrangers pouvaient envoyer de l’argent à leur famille par virement (Überweisungsauftrag), de plus, ils bénéficiaient de congés – en général 14 jours par an. Il est particulièrement significatif que l’écrasante majorité des travailleurs étrangers revenaient en Allemagne après leurs vacances dans leur pays d’origine. Le traitement exemplaire et l’attention accordée aux travailleurs étrangers ne ressortent pas seulement de quantité de déclarations, de documents et de photographies, « mais davantage encore du fait que dans les rares cas où des défaillances apparaissaient, il y était rapidement remédié.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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