L’auteur est professeur à Université Laval
La composition et les activités du corps professoral de nos universités leur permettent d’accomplir leur mission, bien que leur sous-financement public les place sous l’influence d’intérêts privés et les incite même à signer des ententes de confidentialité absolue et à vendre leurs actifs. Face à la conjoncture actuelle, dominée par les impacts des changements climatiques et de l’économie capitaliste globalisée sur la société, les universités canadiennes n’adoptent pas les mêmes discours, les mêmes approches.
Deux Universités, deux philosophies
Le 23 juin 2021, l’University of British Columbia (UBC) annonçait que les activistes pour le climat de renommée internationale Naomi Klein, autrice connue à travers le monde pour ses travaux sur la justice climatique et ses critiques de l’économie capitaliste globalisée, et Avi Lewis, un documentariste canadien, se joignaient à son Département de géographie. Naomi Klein sera la détentrice d’une Chaire en justice climatique et œuvrera à promouvoir les changements sociaux, politiques et économiques urgents nécessaires pour faire face à la crise climatique.
Pendant ce temps, à Québec, l’Université Laval nage à contre-courant: (i) elle a cherché à mettre sur pied une Chaire interuniversitaire en partenariat avec GNL Québec, à laquelle des universitaires se sont opposés, (ii) elle entretient des liens opaques avec Huawei, et (iii) elle défend un partenariat controversé avec le Port de Québec, avec qui elle persiste à vouloir collaborer pour remblayer une partie de la voie maritime du Saint-Laurent pour augmenter le flot de conteneurs et les échanges commerciaux internationaux au détriment de la population locale et en faisant fi, non seulement de leur avis et de la science, mais de la réalité climatique qui commande plutôt l’inverse. Le gouvernement fédéral a finalement rejeté le projet. Mais, le projet Laurentia ayant succédé au projet Beauport 2020, également appuyé par l’Université Laval, on risque de voir resurgir, tôt ou tard, un autre projet de la sorte.
Nous avons donc deux universités canadiennes aux antipodes, avec des philosophies différentes et qui vont dans des directions diamétralement opposées. Est-ce que la réalité propre à chacune serait liée à leurs partenaires, à leurs sources de financement, au genre de liens qu’elles désirent tisser avec leur communauté ou à une perception différente des besoins réels de la société?
Une question de mission et de vision
Quoi qu’il en soit, il n’est pas trop tard pour l’Université Laval, dont l’énoncé de la mission précise qu’elle est « … ouverte sur le monde et chef de file dans la francophonie, (et) vise l’excellence en enseignement et en recherche. Référence pour ses partenaires autant que source d’inspiration, elle rassemble les forces du changement… ». L’Université Laval définit sa vision comme suit: « Une communauté mobilisée (…) pour faire émerger une culture scientifique audacieuse et ouverte, ancrée dans les défis mondiaux et résolument interdisciplinaire. Une université humaniste, investie (…) et engagée à former une relève embrassant avec conviction les grands enjeux de société. ».
À l’heure où la lutte aux changements climatiques exige une réelle transition sociétale, rapide et efficace, j’estime que l’Université Laval doit faire preuve davantage d’humanisme, de vision, d’audace et de leadership. Pour ce faire, pourquoi ne pas envisager le recrutement de professeurs qui incarnent les atouts recherchés?
Pourquoi ne pas recruter Alain Deneault?
L’un des plus grands philosophes francophones de notre époque, et prisé par les médias québécois, le chercheur d’origine québécoise Alain Deneault serait un ajout précieux à tout corps professoral universitaire. Surtout celui de la plus ancienne université catholique francophone en Amérique du Nord. Surtout en cette période de turbulences géopolitiques et économiques. Surtout en cette ère d’urgence climatique qui commande le rassemblement des forces vives du changement vers un nouveau vivre ensemble.
Auteur à succès et critique de l’économie capitaliste globalisée, comme Naomi Klein, Alain Deneault a étudié plusieurs sujets et a écrit de nombreux ouvrages liés à la finance internationale, à la mondialisation, aux sociétés transnationales et aux paradis fiscaux pour les entreprises, tous brûlant d’actualité. Ses analyses judicieuses et ses perspectives éclairantes sur la société pourraient non seulement bénéficier d’une meilleure tribune et visibilité, mais pourraient être grandement facilitées, voire bonifiées, dans un milieu comme le nôtre. Plus important, ce recrutement affirmerait l’humanisme, la vision, l’audace et le leadership dont nos Institutions publiques doivent faire preuve pour dessiner un avenir porteur d’espoir.
Offrir un poste et une tribune universitaire à Alain Deneault, un communicateur hors pair à la crédibilité et à la réputation établies, assurerait la transmission de ses connaissances et de ses réflexions à celles et ceux qui dirigeront le monde de demain, qui auront bien besoin de son esprit et de son regard critique pour naviguer dans ce monde en perpétuels changements et où les forces en présence sur notre société sont de plus en plus complexes et puissantes.
Je serais personnellement très favorable à sa venue à l’Université Laval.
Le hic…
C’est que Alain Deneault a étudié les activités des sociétés minières canadiennes en Afrique et a écrit « Noir Canada: Pillage, corruption et criminalité en Afrique », un ouvrage qui lui a valu des menaces et des poursuites-bâillons des minières Barrick Gold et Banro Corporation pour un montant total de 11 millions de dollars.
Et que, de son côté, l’Université Laval a établi un partenariat et accepte du financement de la minière Goldcorp pour la Chaire de recherche et d’innovation Goldcorp en droit des ressources naturelles et de l’énergie à la Faculté de Droit.
Voyez-vous comment le financement privé des universités peut potentiellement, indirectement et subrepticement nuire à leur mission et à la défense des intérêts de la population et du bien commun?
Proposition
Je soumets donc la proposition suivante à l’Université Laval: si vous êtes réellement libre de toute influence externe et endossez véritablement les notions de liberté d’expression, de liberté académique et de liberté universitaire, qu’attendez-vous pour offrir un poste de professeur à Alain Deneault? D’autant plus que les départements potentiellement intéressés à Alain Deneault ont probablement jugé le « contexte » défavorable à son recrutement.
L’Université Laval a besoin d’un penseur de sa trempe. Et la population a besoin de voir son chemin davantage éclairé de ses lumières, et compte sur ses universitaires pour la guider.
Puis-je suggérer de lui offrir l’un des sept postes laissés vacants par des professeur.e.s-chercheur.e.s qui ont quitté mon département (de microbiologie-infectiologie et d’immunologie) depuis 5 ans et qui, malgré le bouleversement planétaire provoqué par la COVID-19 et les autres maladies infectieuses et zoonoses émergentes, comme la maladie de Lyme, ne sont toujours pas pourvus?
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal