La couverture frappe d’abord par le titre, du Laferrière tout craché, dans sa précision et le choix des mots, car traité dans un tel contexte nous incite à penser à « traite des Noirs » puis à un cessez-le-feu, ce qui n’est pas faux car l’auteur y désamorce bien des polémiques encombrantes et inutiles en donnant d’amusants exemples de racismes noirs.
Dany, dont on a publié récemment un texte à la suite de l’assassinat du président haïtien[i], a écrit au moins trois livres grand-format, peuplés de ses petits dessins, le plus beau consacré aux peintres haïtiens, dont il fait une promotion aussi assidue que justifiée vu la richesse du sujet. Sa propre illustration ci-contre évoque de façon saisissante Strange fruit, chanson-clé apparue en 1937 avec paroles et musique d’un Juif-Américain dont les parents d’Europe de l’Est avaient échappé aux lynchages, aux pogroms polonais puis nazis : Abel Meeropol. Rappelons que cet auteur-compositeur, juif d’origine russe par son père et professeur de lycée, vivait dans le Bronx aux États-Unis. Membre du parti communiste, il avait adopté les deux enfants du couple Ethel et Julius Rosenberg exécutés en 1953 par les États-Unis sous une accusation fort controversée d’avoir traîtreusement livré des plans secrets de la bombe atomique à l’URSS. Lire notre article bien informé par notre amie Honey Dresher[ii].
Cette chanson-clé est aussi le Haupthema du film le plus récent de Lee Daniels, United States vs Billie Holiday, passé inaperçu moins à cause de la pandémie qu’à cause des critiques qui l’ont malmené, telle celle du Globe & Mail canadien qui a titré « manipulative drama ». D’ailleurs puisqu’on parle de manipulation, la plupart des médias ont jugé bon d’en raccourcir le titre jugé trop vrai mais insultant pour la grande puissance. Sans doute parce que Daniels appuie son biopic en insistant, comme leitmotiv, sur la charge politique de l’admirable chanson Strange fruit. La chanteuse refusait de la discarter de son répertoire, malgré les pressions du FBI et de J. Edgar Hoover qui la considérait comme anti-américaine, vu qu’elle accusait le sud pour ses pratiques de lynchage encore courantes dans les années 30 et probablement aussi à cause de son auteur communiste; mais depuis quand une artiste devrait-elle modeler son répertoire selon les vœux d’agences gouvernementales racistes systémiques?
Dany Laferrière ouvre son livre remarquable par un hommage artistique à Bessie Smith et le termine par ces images d’une justesse dévastatrice sur Billie Holiday et Nina Simone :
Entendre claquer le fouet et le silence qui suit avant le long gémissement qui rythme le blues de Billie et Nina, ces filles aux yeux froids et à la bouche pleine de sang.
Les APLP présentent maintenant deux pages extraites de ce livre édité par Boréal qui nous parlent de l’Afrique discriminée et colonisée, en s’attaquant, pour la première, à la politique canadienne raciste de Harper, malgré la présence comme gouverneure générale de Michaelle Jean nommée tout juste avant le début de son règne conservateur, puis, pour la seconde, à la sinophobie ambiante dans tout l’Occident, qui n’avale vraiment pas que la Chine soit sur le point de devenir première puissance mondiale[iii] :
1-Je me souviens de la manière dont le premier ministre Harper avait traité l’ancien président du Sénégal. Arrivé aux douanes canadiennes où pas un officiel n’était présent. Les agents d’immigration lui ont manqué de respect. Et Harper, d’ignorer la courtoisie pour se cacher derrière les règles. Imaginons si le Sénégal avait fait un pareil affront à un ancien premier ministre canadien. Il est vrai qu’un chef d’état africain qui arrive en Amérique du Nord vient sûrement demander quelque chose et que quand un chef d’État nord-américain va en Afrique, c’est pour prendre quelque chose.
2-Ça me fait rire quand l’Occident dénonce la présence de la Chine en Afrique : « Ces gens sont des rapaces qui vont tout détruire sur leur passage. Ils ne font aucune différence entre le bien et le mal, entre la démocratie et la dictature. Tout ce qui les intéresse ce sont leurs propres intérêts. Quand ils auront tout pris, ils iront ailleurs. Et s’ils sont chez vous, c’est pour ne pas utiliser leurs propres réserves. L’esclavage est de retour, vous verrez. » Comme si l’Africain était un enfant qui ignore que lui seul peut veiller à ses intérêts comme il n’en a pas la force il se donne au plus offrant.
C’est simple, tu n’as qu’à offrir mieux que la Chine.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal