par Annie Lacroix-Riz et Michel Aymerich.
« Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre. (…) L’utilisation à Hiroshima et à Nagasaki de cette arme barbare ne nous a pas aidés à remporter la guerre. (…) En étant le premier pays à utiliser la bombe atomique, nous avons adopté (…) la règle éthique des barbares« . Amiral Leahy, chef d’état-major particulier des présidents Roosevelt puis Truman
Article actualisé le 11/08/2019
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Je partage ci-dessous une recension de Anne Lacroix-Riz relative à un ouvrage traitant des raisons ayant présidé à l’utilisation de bombes nucléaires contre la population civile japonaise…
Rappelons le contexte. La guerre en Europe s’était terminée le 9 mai 1945 par la victoire totale des armées alliées contre l’Allemagne nazie. En effet, moins de 3 semaines plus tôt, le 21 avril 1945, les premiers soldats soviétiques étaient entrés dans Berlin, capitale du Reich. Alors que les soldats de l’Armée rouge n’étaient plus qu’à 200 mètres du bunker où il s’était terré, Hitler se suicidait le 30 avril. Le lendemain, le 01 mai, c’était au tour de Goebbels et le 02 mai 1945 le drapeau soviétique était hissé sur le Reichstag !
Cela au prix en URSS de 27 millions de morts et d’inimaginables destructions pour un citoyen français ou américain: «1700 villes et cités, plus de 70 mille bourgs et villages, 32 mille entreprises industrielles, 98 000 kolkhozes, 1876 sovkhozes. Les hitlériens dynamitèrent 65 000 km de voies ferrées, mirent hors d’usage ou envoyèrent en Allemagne 16 mille locomotives et 428 mille wagons. La richesse nationale du pays diminua de 30%.»
Avant le commencement de la guerre mondiale, les troupes soviéto-mongoles se battaient du 11 mai au 16 septembre 1939 contre les envahisseurs nippo-mandchous à Khalkhyn Gol à la frontière entre la République populaire de Mongolie et l’Etat du Mandchoukouo mis en place par les Japonais.
A l’issue de cette bataille dite de Khalkhyn Gol, l’Armée rouge fut victorieuse et repoussa les Japonais.
Pendant que les troupes s’affrontaient sur le terrain, l’Union Soviétique signait le 23 août 1939 un traité de non-agression avec l’Allemagne nazie. Les Japonais perdirent alors l’espoir que l’Armée rouge puisse être écartelée entre deux fronts. Le 15 septembre de la même année, l’ambassadeur du Japon, Togi Shigenori finissait par signer avec V. Molotov le cessez-le-feu proposé dès le 22 août 1939 par l’Union Soviétique.
Après des négociations le Japon accepte en 1940 la frontière défendue par la République populaire de Mongolie et l’URSS. Le 13 avril 1941, enfin, l’Union soviétique et le Japon signent un traité de non-agression.
Heureusement car le 22 juin était lancée l’opération Barbarossa qui vit l’Allemagne fasciste déclencher la guerre totale contre le « judéo-bolchévisme »! Tokyo n’ouvrira pas de second front en juin 1941, malgré le pacte anti-Komintern, signé le 25 novembre 1936 entre l’Empire du Japon et l’Allemagne nazie (rejoints par l’Italie le 6 novembre 1937, le Royaume de Hongrie, le 25 février 1939 et l’Espagne franquiste le 27 mars 1939).
Une fois la guerre terminée en Europe, l’Union soviétique put conformément aux engagements pris par Staline à Yalta déclencher la guerre contre le Japon militariste. «L’armée rouge envahit comme prévu, à l’aube du 9 août 1945, la Mandchourie», rappelle l’historienne Annie Lacroix-Riz, «avec «1 500 000 hommes [… et] une supériorité en tanks de 5 contre 1, et progressa rapidement.»
Le lancement des deux bombes atomiques ne peut être expliqué indépendamment de ce contexte historique. Face aux légendes inventées pour justifier l’extermination instantanée ou fulgurante (dans un premier temps car quantités d’autres victimes décèderont plus tard) de centaines de milliers de civils – bébés, enfants, femmes, hommes, personnes âgées, handicapés physiques-, il existe un «ouvrage consacré à “l’ombre d’Hiroshima” […] passionnant à un double titre, civique et scientifique» : Hiroshima’s Shadow: Writings on the Denial of History and the Smithsonian Controversy, Edited by Kai Bird and Lawrence Lifschultz, Pamphleteer’s Press, 1998, 584 P.
Le 7 août, au poste de quarantaine militaire de Ninoshima, à environ 4 kilomètres au large de Hiroshima. Beaucoup de ceux atteints de profondes brûlures dues à la chaleur de l’explosion, restent étendus ainsi sans bouger, respirant à peine, jusqu’à ce que la vie s’en aille. (Photo Masayoshi Onuka)
Annie Lacroix-Riz: « Les historiens sollicités par les deux directeurs de la publication de ce livre, spécialistes de l’histoire politique et militaire de la Guerre froide parfois depuis plusieurs décennies (Gar Alperovitz, Barton Barnstein, John Dower, Robert Messer et Martin Sherwin), se sont attelés à la tâche scientifique. Ils ont démontré dans ce livre-synthèse, archives à l’appui comme dans leurs travaux antérieurs, à quel point le mythe était creux; et comment cet acte de barbarie fut, selon une expression de 1948 (citée par R. Messer) moins “le dernier acte militaire de la Deuxième Guerre Mondiale que la première opération majeure de la Guerre diplomatique froide avec la Russie” qu’il convenait d’intimider, pour lui faire admettre qu’elle ne pourrait autant qu’elle l’espérait tirer profit de sa victoire militaire très chèrement acquise sur le continent européen (parties I et II).»
Ces crimes commis à l’encontre des populations civiles au Japon ont été parmi les plus terribles crimes motivés pour l’essentiel par l’anticommunisme (ici, sous la forme de l’anti-soviétisme), et sans doute également non dépourvu d’une dose déterminante de racisme anti-asiatique…
Des crimes anticommunistes teintés de racisme anti-asiatique succèderont. Claude Lanzmann -cinéaste, à l’origine des films « Shoah » et « Napalm »– rappelle : «La guerre de Corée a été en vérité une guerre de destruction massive. On compte 4 millions de morts civils, 500 000 soldats nord-coréens tués, sans oublier les 320 000 volontaires populaires chinois qui avaient été envoyés pour les secourir. Les Américains, le général Mac Arthur le premier, avaient un seul but : détruire la Corée, réitérant ainsi Hiroshima. Mais le président Truman refusa. »
Parmi les volontaires chinois, il y avait Mao Anying (毛岸英) le fils aîné de Mao Zedong (et de Yang Kaihui), lequel est mort le 25 novembre 1950 en Corée du Nord dans des bombardements américains.
A la guerre de Corée succèdera la guerre anticommuniste en Indochine de 1946 à 1954 et la guerre du Viêt Nam (ou deuxième guerre d’Indochine) de 1955 à 1975 occasionnant d’autres millions de morts.La liste doit être complétée par l’encouragement aux massacres épouvantables des communistes et des sympathisants du Parti communiste en 1965 et 1966 en Indonésie : «Ce furent les pires après l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale commis par les hitlériens. Le nombre des victimes se situe entre 500 000 et 3 millions de personnes assassinées. Au moins 2 autres millions furent emprisonnées ou déportées dans les camps. La liste des camps de concentration et des prisons serait malheureusement bien longue à énumérer.»
Si il est juste de remarquer que le lancement des bombes nucléaires sur les populations civiles de Hiroshima et Nagasaki fut moins «le dernier acte militaire de la Deuxième Guerre mondiale que la première opération majeure de la Guerre diplomatique froide » contre l’URSS, ayons à l’esprit que la dite «Guerre diplomatique froide» fut chaude, excessivement chaude et même à tendance exterminatrice pour les peuples et les communistes alliés à l’URSS…
Mais cela, vous ne le lirez pas dans la dite presse dite «libre»!
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Recension d’Hiroshima’s Shadow, 1999, et commentaire de la synthèse de Ward Wilson, 2007, Annie Lacroix-Riz, rappel 2019
Par Annie Lacroix-Riz, professeur émérite, université Paris 7, 6 août 2019
1° Recension d’Hiroshima’s Shadow, Kai Bird et Lawrence Lifschultz, The Pamphleteer’s Press, Stony Creek, Connecticut, 1998, 584 p.
Cet ouvrage consacré à “ l’ombre d’Hiroshima ” est passionnant à un double titre, civique et scientifique.
Civique, parce que son histoire illustre les difficultés de la pensée indépendante, et la récurrence du maccarthysme, cette “ Grande Inquisition des années 50 ”, au sein des institutions officielles ou officieuses confrontées aux rigueurs de la recherche de la vérité historique. Le Smithsonian Institute, qui voulait commémorer par vaste exposition en 1995 le cinquantenaire du bombardement d’Hiroshima, attendait des historiens sollicités qu’ils confirment les quatre “ articles de foi ” de la “ légende ” entretenue auprès du peuple américain (et des nations étrangères) depuis août 1945: 1° on aurait ainsi évité 500 000 voire un million de pertes américaines; 2° prévenu par tous les moyens les populations d’Hiroshima et Nagasaki menacées; 3° visé ces deux villes parce qu’elles étaient des “ objectifs militaires légitimes ”; 4° Truman aurait fait là un choix aussi légitime entre l’usage de l’arme atomique et “ la perspective effrayante d’une coûteuse invasion militaire du Japon ”. Ledit institut renonça à son projet quand il s’avisa que les historiens, grands noms de la science américaine, ne céderaient pas aux sirènes du vieux mythe des “ 500 000 vies américaines sauvées ”: à l’espoir de l’autocensure respectant de ce mythe succéda donc la censure.
Les historiens sollicités par les deux directeurs de la publication de ce livre, spécialistes de l’histoire politique et militaire de la Guerre froide parfois depuis plusieurs décennies (Gar Alperovitz, Barton Barnstein, John Dower, Robert Messer et Martin Sherwin), se sont attelés à la tâche scientifique. Ils ont démontré dans ce livre-synthèse, archives à l’appui comme dans leurs travaux antérieurs, à quel point le mythe était creux; et comment cet acte de barbarie fut, selon une expression de 1948 (citée par R. Messer) moins “ le dernier acte militaire de la Deuxième Guerre mondiale que la première opération majeure de la Guerre diplomatique froide avec la Russie ” qu’il convenait d’intimider, pour lui faire admettre qu’elle ne pourrait autant qu’elle l’espérait tirer profit de sa victoire militaire très chèrement acquise sur le continent européen (parties I et II).
L’ouvrage comprend également d’autres types de contributions: textes originaux ou postérieurs à 1945 des décideurs du temps, des scientifiques et autres personnalités opposés à l’usage de l’arme atomique contre des populations sans défense (III: “ les premières critiques ”); exposés précis sur les modalités de la censure et de l’annulation de l’exposition prévue (IV); témoignages déchirants de médecins et autres contemporains japonais, et bilans tirés aujourd’hui, notamment un débat de 1995 entre les maires des deux cités martyres (V); documents militaires et politiques, enfin, de juin à août 1945: notamment la pétition signée le 17 juillet par 71 scientifiques associés au Plan Manhattan (de construction de la bombe atomique), mise en garde de nature morale contre la tentation d’utiliser la bombe contre des populations civiles et comme instrument de gestion des relations internationales futures par la puissance américaine seule dotée de tels “ moyens de destruction ”.
Une réussite, et un modèle qu’on aimerait voir imité chez nous: à quand une synthèse de ce genre sur les circonstances de la défaite de 1940 ou les guerres coloniales, incluant l’analyse des entraves diverses placées devant le libre travail scientifique?
Version courte parue dans Le Monde diplomatique, janvier 1999, p. 31,
source : https://www.mondialisation.ca
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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