
par Pepe Escobar.
Les unes après les autres, les villes sont passées du contrôle du gouvernement à celui des Taliban, mais la fin de partie en Afghanistan n’est toujours pas claire.
Les négociations du toujours insaisissable processus de « paix » afghan reprennent ce mercredi à Doha par l’intermédiaire de la troïka élargie – États-Unis, Russie, Chine et Pakistan. Le contraste avec les faits accumulés sur le terrain ne pourrait être plus frappant.
Dans une attaque éclair coordonnée, les Taliban ont soumis pas moins de six capitales provinciales afghanes en seulement quatre jours. L’administration centrale de Kaboul aura bien du mal à défendre sa stabilité à Doha.
La situation ne fait qu’empirer. De façon inquiétante, le président afghan Ashraf Ghani a pratiquement enterré le processus de Doha. Il a déjà parié sur la guerre civile – de la militarisation des civils dans les principales villes à la corruption généralisée des chefs de guerre régionaux, dans l’intention de créer une « coalition de volontaires » pour combattre les Taliban.
La prise de Zaranj, la capitale de la province de Nimruz, a été un coup majeur des Taliban. Zaranj est la porte d’accès de l’Inde à l’Afghanistan et, plus loin, à l’Asie centrale via le Corridor international de Transport Nord-Sud (INSTC).
L’Inde a payé pour la construction de l’autoroute reliant le port de Chabahar en Iran – la plaque tournante clé de la version indienne des Nouvelles Routes de la Soie, en perte de vitesse – à Zaranj.
L’enjeu est un passage frontalier vital entre l’Iran et l’Afghanistan et un corridor de transport entre le sud-ouest et l’Asie centrale. Or, les Taliban contrôlent actuellement le commerce du côté afghan. Et Téhéran vient de fermer le côté iranien. Personne ne sait ce qui va se passer ensuite.
Les Taliban mettent méticuleusement en œuvre un plan directeur stratégique. Il n’y a pas encore de preuve tangible, mais une aide extérieure très bien informée – les services de renseignements de l’ISI pakistanais ? – est plausible.
D’abord, ils conquièrent les campagnes – une affaire pratiquement réglée sur au moins 85% du territoire. Ensuite, ils contrôlent les principaux postes de contrôle frontaliers, comme avec le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Iran et Spin Boldak avec le Baloutchistan au Pakistan. Enfin, il est question d’encercler et de prendre méthodiquement les capitales provinciales – c’est là où nous en sommes.
L’acte final sera la bataille pour Kaboul. Elle pourrait vraisemblablement avoir lieu dès septembre, dans le cadre d’une « célébration » tordue des 20 ans du 11 septembre et du bombardement américain du Talibanistan de 1996-2001.
Ce blitzkrieg stratégique
Ce qui se passe dans le nord est encore plus étonnant que dans le sud-ouest.
Les Taliban ont conquis Sheberghan, une région fortement influencée par l’Ouzbékistan, et n’ont pas tardé à diffuser des images de combattants en tenue volée posant devant le palais Dostum, désormais occupé. Abdul Rashid Dostum, seigneur de guerre notoirement vicieux, est l’actuel vice-président afghan.
L’analyse de ce groupe de réflexion chinois montre comment l’échiquier en mouvement est suivi. Les Chinois sont parfaitement conscients de la « pression militaire sur Kaboul » qui s’exerce parallèlement à l’offensive diplomatique des Taliban, mais préfèrent insister sur le fait qu’ils « se présentent comme une force agressive prête à prendre le contrôle du régime ».
La realpolitik chinoise reconnaît également que « les États-Unis et d’autres pays n’abandonneront pas facilement l’opération en Afghanistan avant de nombreuses années, et ne seront pas disposés à laisser l’Afghanistan devenir la sphère d’influence d’autres pays ».
Cela conduit à une prudence caractéristique de la politique étrangère chinoise, avec pratiquement un conseil aux Taliban de ne pas « être trop grands », et d’essayer « de remplacer le gouvernement Ghani d’un seul coup ».
Comment éviter une guerre civile
Doha est-il donc mort ? Les acteurs de la troïka élargie font ce qu’ils peuvent pour le sauver. Des rumeurs font état de « consultations » fébriles avec les membres du bureau politique des Taliban basé au Qatar et avec les négociateurs de Kaboul.
Le point de départ sera une réunion ce mardi entre les États-Unis, la Russie, les voisins de l’Afghanistan et l’ONU. Mais avant cela, le porte-parole du bureau politique des Taliban, Naeem Wardak, a accusé Washington de s’ingérer dans les affaires intérieures afghanes.
Le Pakistan fait partie de la troïka élargie. Les médias pakistanais s’emploient à souligner combien l’influence d’Islamabad sur les Taliban « est désormais limitée ». Un exemple est donné de la façon dont les Taliban ont fermé le principal poste frontière de Spin Boldak – en fait un refuge pour la contrebande – en demandant au Pakistan d’assouplir les restrictions en matière de visas pour les Afghans.
Il s’agit là d’un véritable nid de vipères. La plupart des chefs talibans de la vieille école sont basés au Baloutchistan pakistanais et supervisent ce qui entre et sort de la frontière depuis une distance sûre, à Quetta.
L’absence de l’Iran et de l’Inde à la table des négociations constitue un problème supplémentaire pour la troïka élargie. Ces deux pays ont des intérêts clés en Afghanistan, notamment en ce qui concerne son nouveau rôle pacifique espéré en tant que centre de transit pour la connectivité entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud.
Dès le départ, Moscou a souhaité que Téhéran et New Delhi fassent partie de la troïka élargie. Impossible. L’Iran ne s’assied jamais à la même table que les États-Unis, et vice-versa. C’est le cas actuellement à Vienne, lors des négociations du JCPOA, où ils « communiquent » via les Européens.
New Delhi, pour sa part, refuse de s’asseoir à la même table que les Taliban, qu’elle considère comme un proxy terroriste pakistanais.
Il est possible que l’Iran et l’Inde soient en train de se mettre d’accord, et cela comprendrait même une position étroitement liée sur le drame afghan.
Lorsque le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a assisté à l’investiture du président Ebrahim Raïssi la semaine dernière à Téhéran, ils ont insisté sur une « coopération et une coordination étroites » également sur l’Afghanistan.
Ce que cela impliquerait dans un avenir proche, c’est une augmentation des investissements indiens dans l’INSTC et le corridor de la Nouvelle Route de la Soie Inde-Iran-Afghanistan. Mais cela ne risque pas d’arriver avec les Taliban qui contrôlent Zaranj.
Pékin, pour sa part, s’efforce d’accroître sa connectivité avec l’Iran via ce que l’on pourrait décrire comme un corridor aux couleurs de la Perse, intégrant le Tadjikistan et l’Afghanistan. Cela dépendra, une fois encore, du degré de contrôle des Taliban.
Mais Pékin peut compter sur un embarras de richesses : Le plan A, après tout, est un Corridor économique Chine-Pakistan (CECP) étendu, avec l’Afghanistan annexé, quel que soit le pouvoir à Kaboul.
Ce qui est clair, c’est que la troïka élargie ne façonnera pas les détails les plus complexes de l’avenir de l’intégration de l’Eurasie. Cette tâche incombera à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui comprend la Russie, la Chine, le Pakistan, l’Inde, les « stans » d’Asie centrale, l’Iran et l’Afghanistan en tant qu’observateurs actuels et futurs membres à part entière.
L’heure est donc venue de l’ultime test pour l’OCS : comment parvenir à un accord de partage du pouvoir quasi impossible à Kaboul et éviter une guerre civile dévastatrice, accompagnée de bombardements impériaux de B-52.
source : https://asiatimes.com
traduit par Réseau International
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