En 2008, Naomi Klein ressortait des tiroirs de l’Histoire les expériences (infructueuses) menées à partir de chocs électriques et de privation sensorielle pour « ré-initialiser », réécrire la mémoire et extirper les secrets de patients internés en hôpital psychiatrique. Ces techniques permettaient d’expliquer comment des élites politico-financières ont utilisé le choc de populations pour leur faire accepter des idées auparavant impensables. À l’échelle des sociétés, cette stratégie de « lavage de cerveau » a été largement développée depuis les années 1970 pour mettre en oeuvre des mesures néo-libérales qui ne bénéficient aucunement au peuple, mais bien plutôt à une infime minorité. En plongeant dans un état d’effroi un ensemble d’individus, un gouvernement peut ensuite administrer à peu près n’importe quel remède qui donnera l’illusion d’en sortir. Le serpent se mord la queue, la boucle est bouclée, le virus est sa propre antidote.
Le mois de juillet 2021 marque un tournant dans l’histoire de la stratégie du choc. Il ne s’agit plus, comme ça a, par exemple, été le cas dans le Chili de Pinochet, de mettre en oeuvre des mesures néolibérales pour « sauver » l’économie en la « libérant » de son joug protectionniste – et en l’ouvrant aux 1000 vents de la financiarisation, privatisation, et à tous ces barbarismes en ‑isation faisant éternuer des pauvres qui crachaient déjà leurs poumons alors qu’ils respirent désormais les volutes de cigares des grands propriétaires. Accroître les tentacules du profit n’est plus une priorité ; les limites commerciales à son expansion ont déjà toutes sautées, asphyxiant les individus, mercantilisant le moindre recoin de nos intimités. Contrôler les mouvements à défaut des flux de capitaux, idem. Rendre les instances de pouvoir garantes de tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue – apprentissage, jeu, communauté, échange.
L’état de léthargie dans lequel nous sommes plongés depuis l’élection de Macron et évidemment encore plus depuis le surgissement de la folie Covid-1984, nous pousse à croire qu’il n’existe pas d’autre solution pour « retourner à la normale » que celle assénée par le Prince et ses chiens de garde médiatiques. Les voix dissonantes sont rares, même dans les rangs des opposants habituels. On devrait être d’accord pour se faire injecter de manière forcée un sérum inconnu pour se prémunir d’un virus invisible au pouvoir létal relativement faible. Il est utile de répéter : il ne devrait pas y avoir de problème à ce que le refus de l’insémination d’un corps étranger dans nos chairs, sous couvert que c’est pour « notre bien », nous fasse potentiellement perdre toute vie (sociale). Et on réitère encore dans l’espoir de faire s’écarquiller un peu plus les yeux, à défaut de créer le sursaut que la nouvelle cause pourtant ailleurs dans le monde : on devrait accepter sans broncher la transgression de notre enveloppe corporelle par un instrument médico-technocratique rempli d’un liquide élaboré par des firmes capitalistes dont les activités de destruction de la nature et de globalisation des échanges sont à l’origine de l’épidémie, qui en profitent largement et passent en prime pour les sauveurs de l’humanité, parce qu’un autoritarisme mondial mis en place par les deux institutions précédentes (la science et la finance) nous assène qu’on en a besoin.
En cas de refus, on serait donc mis au ban de la société, de nos semblables, empêchés de vivre tout simplement. Il s’agit de ne pas laisser le ras-le-bol, la peur et l’impuissance guider notre soumission à leurs ambitions de contrôle. En d’autres mots, ne pas laisser la lassitude faire de chacun de nous les sbires du totalitarisme. L’obligation de se faire vacciner du Covid-19 est le viol public, célébré en grande pompe, de notre souveraineté physique. Si on veut qu’un minimum d’espace de liberté à partir duquel les autres pourraient éclore subsiste encore, nous devons nous saisir de toute notre humanité pour ne pas nous fragmenter un peu plus, et faire respecter notre droit inaliénable de décider ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas. Si nous le laissons en pâture cette fois-ci, la porte sera alors ouverte à n’importe lequel de leurs désirs. Si on considère que ce n’est pas encore le cas, est-on d’accord pour qu’on nous impose avec qui on peut se reproduire, quels enfants on doit engendrer, comment on doit naître et comment on doit mourir ?
Du pareil au même : tuer ou empêcher de vivre
Nous vivons dans des États totalitaires, asservis aux ordinateurs miniatures dont les ondes irradient nos organes génitaux et dont les applications rongent nos capacités sociales, en plus de la majorité de notre temps. Aucun des États fascistes ou communistes ou impérialistes du XXème siècle n’auraient pu rêver d’un tel niveau de contrôle et de domination. La conséquence pour la majorité des individus, c’est la soumission et l’obéissance. Certes, ceux qui sont convoqués comme dissidents ne sont pas directement assassinés ou emprisonnés (quoique), mais ils sont empêchés de vivre. Quelle est la différence au fond ? II ne faut pas se méprendre sur les termes du débat. Si, par la répression et le contrôle, un humain ne peut plus se réunir avec d’autres et pratiquer, de fait, tout ce qui fait de lui un humain, en plus de ce qui lui permet tout simplement d’accéder aux ressources nécessaires à la vie, alors empêcher de vivre équivaut, littéralement, à l’assassinat politique. Le sang en moins. Comme les barquettes de viande lyophilisées du supermarché en étaient le présage, on a évacué la violence du regard. Elle est là mais elle échappe à la vue. De manière similaire, elle est contenue, et pourtant invisible, dans les prix cassés des vêtements fabriqués par les femmes asiatiques. Si on savait encore ce que coûte la violence politique et la souffrance qu’elle occasionne, si l’ignorance ne régnait pas en maître en plus d’être valorisée, nul doute que les comportements seraient différents.
Déconnectés des autres, séparés de notre milieu naturel, le besoin vital pour une sécurité minimale normalement assuré par une vie en communauté selon des règles choisies n’est plus rempli. La toxicité des inégalités pourrit toute possibilité d’instaurer une confiance de groupe. Alors, nos besoins minimaux attaqués de toutes part, on se réfugie pour vivre dans des bulles imperméables, que symbolisent très bien les voitures, vaisseaux de métal étanches aux chocs, bruits et engageant le mouvement infini qui annule la possibilité de la contemplation. Les cœurs brisés par une recherche inassouvie de relations profondes et d’une vie qui a du sens nous font nous renfermer et nous rendre absents à la responsabilité de nos actions. Une couche bien épaisse de pensée positive pour dissimuler le vide, et le tour est joué. Naturellement pourtant, nous savons encore que deuil et tristesse sont des moyens d’accès à plus d’empathie, à un gonflement de l’amour porté au monde. Au niveau sociétal, nous les anesthésions à coups d’antidépresseurs et nous nous refermons. Dans cette perspective, ne plus avoir de cœur semble être la réponse adéquate à avoir le cœur brisé.
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
– Antoine de Saint-Exupéry,Le Petit Prince
Le lavage de cerveaux a été total. Le modelage des comportements parfait. Résultat d’un mélange efficace entre un milieu carcéral et une terreur travaillée à l’intérieur des corps, le tout associé à un ennui profond. Rien de mieux pour que la clé de sortie puisse être forgée à partir de n’importe quel matériau. Elle est ensuite tendue du bout des doigts par les bourreaux à l’origine de l’enfermement. Le Graal, le vaccin contre un virus invisible qui empoisonne les vies depuis plus d’un an, ne peut être que célébré et applaudi par des individus qui n’en peuvent plus.
Comme l’amour, la peur rend aveugle. Aveugle à ce qu’on ne peut pas être libéré par la main qui nous a asservi sans continuer à y être, au moins philosophiquement, entièrement soumis. Car la société qui a occasionné une telle « libération » n’en restera pas là. Elle continuera à assouvir son désir de puissance, son besoin d’assujettir ses membres pour exister, à d’autres niveaux. Contrôle de nos esprits par la machine, contrôle de nos mouvements par les frontières, contrôle de nos corps par la techno-médecine. Que nous reste-t-il pour exercer notre humanité ? Notre liberté ? Que nous reste-t-il pour vivre tout simplement ? Dans quels recoins peuvent encore s’exercer et apparaître le plaisir et le bonheur quand la peur domine les relations ?
De la peur ne peut naître rien qui perdure. De la peur naissent des comportements, bons ou mauvais, qui y restent totalement assujettis puisqu’elle les a enfantés. Il en émerge, quelque soit le besoin irrépressible de retourner à une homéostasie, à un état de stabilité à partir duquel peuvent se développer librement désirs, envies, amour. Être maintenu en état d’alerte est le propre d’une bombe qui peut exploser au moindre instant.
C’est peut-être cette opportunité dont il faut se saisir : explosons. Plutôt que de nous laisser contaminer par la répression, contaminons-nous volontairement du virus de la rébellion et de la résistance que les camarades zapatistes sont venus insuffler à l’Europe en cet été 2021, quelques 500 ans après la conquête de leurs terres, la colonisation de leur continent, l’annihilation de leur culture et le massacre d’une grande partie des leurs.
À qui profite le crime ?
Le capitalisme du désastre qui oriente la part économique de la vie et s’infiltre insidieusement dans tous les autres aspects de l’existence, ne tire profit que de la destruction. Destruction de la Terre et des humains qu’elle porte. La marche inéluctable du Progrès nécessite le pillage de toutes les ressources et de l’énergie animale, Homo sapiens compris. La Nature et ses êtres sont réduits à peau de chagrin : heureusement, technocrates, ingénieurs et gouvernements existent pour les « préserver » en les mettant sous cloche, constituant un « patrimoine » commun en voie de disparition. Impossible d’engager des relations physiques : pas de problème Internet et ses tentacules sont là pour y remédier. On n’oublie pas que les appareils qu’il nécessite sont le fruit du travail des petites mains sous-payés et des corps désincarnés des mineurs. Impossible d’acheter sa nourriture : aucun souci, des esclaves exploités par les mêmes multinationales que ceux qui permettent à Internet d’être omniscient, omnipotent et tout-puissant, la cultiveront à crédit quand d’autres crève-la-faim la délivreront à la porte de chacun. La société nous rend malade : peu importe, la science médicale et son réseau infini d’élites qui assènent que la science est le seul véritable mode de connaissance de la réalité, sont là pour notre salut.
Une population contrôlée est une population qui n’a plus de libre-arbitre, qui est esclave des pulsions, envies, désirs et besoins de ceux qui la dominent. Qui la saignent et attendent en plus d‘être remerciés pour la pauvre Sécurité (sociale) qu’ils s’acharnent néanmoins à démanteler, vendre et moraliser selon le principe du bénéfice privé. Qui ponctionnent un fort pourcentage du gagne-pain de la grande majorité tout en reversant des millions à la minorité milliardaire suppliée de maintenir des emplois de misère, et n’en fait rien soit dit en passant.
« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »
– George Orwell, 1984
Loi de sécurité globale selon laquelle « la sécurité, c’est l’autorité », mesures sanitaires selon lesquelles « la santé, c’est l’enfermement » sont les résultats de l’institutionnalisation d’un état de guerre de tous contre tous (Hobbes) dont l’abolition aurait pourtant constituer le projet même de l’État-nation. Plus encore, l’année 2020 a été la consécration de la guerre de chacun contre soi. Ayant peur de nous-mêmes, nous ne sommes plus des monades atomisées dont les désirs s’entrechoquent les uns contre les autres, nous sommes devenus des monades qui tâchent de ne pas se toucher et tentent d’échapper à elles-mêmes jusqu’à respecter l’ordre de se jeter dans le vide pour faire cesser la douleur de vivre.
Ce n’est plus à l’État-nation qu’on octroie le pouvoir de remédier au conflit entre nous et nous-mêmes mais à la science, celle qui dicte l’unique compréhension mesurable de la réalité. La seule autorité qui nous enferme chez nous n’est pas celle qui émane de la voix d’un président mais celle qui tient à notre obéissance. Les zapatistes ont compris au moins depuis le début des années 2000 que si le gouvernement ne respectait sa part de l’accord qu’ils avaient établi ensemble alors eux le feraient de leur côté. Résultat : aucune communauté zapatiste n’accepte de subsides étatiques, ni aucune de ses fonctions régaliennes n’y a droit de séjour. L’éducation et la santé sont également le fait de chaque communauté. L’État tend à faire de chacun de nous un policier contrôlant le statut vaccinal des autres, très bien, faisons-nous nos propres policiers, sans les siens, et commençons à policer notre environnement. Qu’est-ce qui nous tient enfermés et vaccinés ? La peur de l’amende ? De l’exclusion ? Les amendes n’ont à être payées que si l’on souhaite continuer à « bénéficier » de la captivité dans laquelle ils nous maintiennent ; l’exclusion n’a lieu qu’en dehors du cadre de compréhension commun.
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux »
– citation apocryphe de Benjamin Franklin
Le mouvement historique de tentative de domination de la nature (individuelle et dans laquelle nous baignons) par l’espèce humaine a mené la domination de la majorité par quelques-uns, et aujourd’hui, de nous-mêmes par notre for intérieur. Cette dernière étape n’est pas vraiment nouvelle en fait, elle est simplement une réactualisation du péché originel, celui qui exprime que l’humanité est une plaie pour elle-même et les autres, qui doit être châtiée, et que sa seule rédemption viendra d’un effort constant opposé à sa propre nature.
Il ne s’agit pas tant d’un vaccin que d’une tentative de contrôle de nos vies dans ce qu’elles ont de plus intime : la biologie qui permet notre incarnation. Les institutions du pouvoir sont en train de tester, pas forcément de manière consciente d’ailleurs, jusqu’où elles peuvent disposer de nos corps. C’est un processus qui a démarré il y a bien longtemps, au moins depuis la chasse aux sorcières, quand ce qui reliait le travail au rythme de la terre et des astres avaient encore un sens. Quand cette connexion essentielle a été maltraitée, rejetée comme hérésie alors que les cloches de l’église sonnaient désormais les heures et indiquaient la cadence du travail, alors nos corps ont commencé à être possédés par ceux qui imposaient les règles et en tiraient un bénéfice. Plus tard, des idéologies racistes, qu’elles soient impérialistes, nazies ou esclavagistes, ont tiré profit de nos corps par la force. Aujourd’hui, il semble que la force se soit insidieusement logée et développée dans nos esprits, au point qu’on se jette volontairement dans ses bras et qu’on pleure pour qu’elle nous sauve. Ici encore, il ne faut pas se méprendre sur ce qu’est cette force ; ce n’est pas seulement le pouvoir politique tel qu’on l’identifie facilement mais la structure qui maintient l’idée que sans lui on ne comprend rien, on ne peut rien, on n’est rien. C’est l’idéologie totalitaire, qui prône qu’il n’y a pas d’autre alternative de compréhension au monde, que les choses sont ainsi parce qu’elles relèvent de la construction du meilleur des mondes, et que pour être bien, il suffit de suivre le modèle de vie courant (si tu as un problème, c’est que tu es malade).
Étienne de la Boétie publiait au XVIème siècle le Contr’Un, plus connu sous le nom de Discours de la servitude volontaire, dont la thèse est contenue en cette phrase : il n’y a d’autorité que celle à laquelle on est d’accord pour se soumettre. On pourrait ajouter « collectivement ». La multitude contre le Un. Pierre Clastres, en vivant dans la forêt paraguayenne avec les Guayakis, faisait le même constat mais l’optimisme mis à l’épreuve de la réalité en plus : on peut s’organiser socialement pour que la multitude puisse émerger et l’idéologie unique (le chef seul dirigeant avec ses sbires) n’ait pas lieu d’advenir. Les zapatistes ont suivi au cri de « Queremos un mundo donde quepan muchos mundos » (« Nous voulons un monde dans lequel puissent exister de nombreux mondes » ).
Il existe bien d’autres possibilités pour comprendre ce que nous vivons et l’intégrer sainement à nos existences. En suivant les yeux fermés les solutions offertes par un monde qui est à l’origine du problème, c’est se faire les victimes prévisibles du syndrome de Stockholm. Croire que des vaccins obligatoires sont la solution relève à ce titre d’une méconnaissance absolue de principes biologiques (et psychologiques) de base. Plus on empêche une information (qui est la définition même du virus : un paquet d’information génétique) de circuler, plus elle fera passer son message avec force et virulence. Quoiqu’il en soit laisser la possibilité aux orchestrateurs du désastre de le « résoudre », c’est donner le rôle de sauveur à l’agresseur et risquer d’être séduits par l’autoritarisme.
Le meilleur moyen de se maintenir en bonne santé, c’est d’éviter de vivre dans l’angoisse et d’avoir des liens sociaux forts. L’absence de stress et un environnement bienveillant sont les seules garanties pour un système immunitaire performant, c’est-à-dire pour la construction de saines barrières plutôt qu’une ouverture total de l’esprit et, corrélativement, du corps, liée au désespoir et à la recherche d’un réconfort quoiqu’il en coûte. C’est ce que disait le psychiatre George Vaillant après avoir étudié une cohorte d’hommes étasuniens de leurs 20 ans jusqu’à leur mort ; il concluait que le facteur le plus mortel passé 50 ans, c’est l’absence de relations profondes avec d’autres êtres humains, non les pathologies ni encore les addictions. Qu’on tende à mieux vivre ou à vivre plus longtemps, Covid ou pas, la réponse la plus appropriée n’est pas une guerre contre un virus mais un monde où on peut former des liens plus significatifs.
Alizé Lacoste Jeanson
Juillet 2021
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