par Tasio Retortillo Merino.
Le droit du secret des affaires et la loi du 30 juillet 2018.
Il y a quelques jours je publiais une brève notice intitulée « Vers un brouillage total de la distinction conceptuelle entre pouvoir privé et pouvoir public », où je me contentais de donner deux liens et une exhortation au lecteur de se renseigner au sujet de ce qu’était le « droit du secret des affaires ». Je voudrais maintenant fournir ici mon propre résumé de ce dernier concept afin d’essayer de rallier les lecteurs qui seraient passés outre le premier avertissement.
Comme a mon habitude, je commençais par l’article de Wikipedia, duquel l’on ressort avec la conclusion brouillonne dans la tête que le terme « droit du secret des affaires » fait référence, en France, à diverses lois proposées entre 2004 et 2015 visant à sanctionner sévèrement la divulgation de toute information pouvant être considérée comme essentielle pour cette dernière, mais que ces projets ont été rejetés jusqu’à maintenant. La dernière version de ce texte est annulée à la demande du président de l’époque François Hollande.
Mais en 2018, de nouvelles directives européennes concernant ce sujet s’incrustent dans la loi française et redonnent vie à ce projet. Cette fois, contrairement à ce qui s’était passé durant presque vingt ans, le Conseil constitutionnel valide la loi rendant illégale toute divulgation d’une information qui « revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret » et qui n’est pas considérée comme dénonçant un acte criminel. Mais Wikipedia nous rassure, en cas de prise de connaissance d’un crime ou d’une illégalité, il serait possible d’invoquer d’autres textes de la loi française afin de garantir malgré tout la liberté de la presse ainsi que les droits des lanceurs d’alerte. Doit-on en déduire que nous sommes à présent dirigés légalement dans notre conception de la moralité, ou que nous devons accepter un monde où la la possibilité de dénoncer un danger potentiel est limitée aux dangers qui seraient illégaux ? Car c’est bien ce type de mondes qui est entrain de se construire ; et le dé-construire pourrait se révéler bien difficile.
Mais laissons à présent l’article de l’encyclopédie pour aller jeter un œil à l’article suivant : « Petit guide juridique de protection du secret des affaires ». On y apprends que parmi les données concernant la production et la commercialisation d’une création industrielle, il est actuellement illégal de divulguer publiquement (entre entres) : les fournisseurs des matériaux, les quantités produites, et les les recettes de fabrication. Dans le cadre présent d’expansion gargantuesque du pouvoir de l’industrie pharmaceutique et des critiques croissantes et incessantes qui sont orchestrées à l’encontre de ses produits depuis des décennies, nous pouvons nous faire une certaine idée de l’origine comme des conséquences de cette loi du 30 juillet 2018. Pour le moment n’importe quel citoyen informé pouvait dénoncer la présence d’ingrédients ou de procédés de fabrication potentiellement nocif pour le consommateur, même si ces derniers ne sont pas du tout considérés comme illégaux. Avec cette loi, cela bouscule et il ne sera possible de dénoncer impunément que des manquements à la loi de l’entreprise en question. Toute autre divulgation de données seront passible de demandes de dommages et intérêts ainsi que d’une amende civile pouvant aller jusqu’à 60 000 euros.
Lorsqu’on prétend examiner cette loi (legifrance.gouv.fr/37262111), il est important de comprendre qu’elle est structurée de façon circulaire et d’accepter qu’elle est formulée dans une syntaxe particulièrement tordue. Le détenteur d’une information considérée comme « secret des affaires » n’a pas le droit de divulguer cette dernière. Or, qui est considéré comme « détenteur » de ladite information ? La réponse : « L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret ». Lorsqu’on traduit ce charabia cela donne : toute personne qui n’a pas une absence de droit d’avoir cette information du fait d’avoir le produit en sa possession (légale). Donc toute personne qui a le droit d’avoir cette information du fait de son étude du produit, donc a priori tout le monde, se retrouve dans l’impossibilité légale d’exposer des données sur un produit mis en circulation qui pourraient compromettre la santé publique. Ce droit se voit réservé aux « autorités juridictionnelles ou administratives » ; et nous n’avons plus qu’à porter une confiance aveugle en ces dernières comme de bons citoyens dociles. Encore une fois, juste sous nos yeux, c’est un monde de paternalisme circulaire, formaliste et autoritaire qui vient tout juste de commencer à poser ses fondements institutionnels. La légalisation de la dictature commerçante, en somme, va de pair avec la criminalisation de l’auto-responsabilité civique.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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