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Oui, le droit peut être manipulé
Éric Dupond Moretti, qui décidément n’en rate pas une, a répondu à ceux qui critiquaient la décision du Conseil constitutionnel « validant » pour l’essentiel la loi concernant l’instauration du pass sanitaire : « Contrairement à leurs convictions le droit, lui, ne peut être manipulé ». C’est simplement risible. Un étudiant de première année le sait, le droit a plusieurs sources dont une des principales est précisément la jurisprudence. C’est-à-dire l’interprétation et l’application de la Loi par le juge Et dans ce domaine, depuis une trentaine d’années celui-ci s’en est donné à cœur joie.
En particulier le Conseil constitutionnel qui n’a plus rien à voir avec celui prévu initialement par la constitution du 4 octobre 1958. Initiant une évolution qui a complètement déséquilibré le système législatif institutionnel dans notre pays. Grâce tout d’abord à l’élargissement de la saisine voulue par Giscard, puis la mise en place de la théorie du « bloc de constitutionnalité » sorte de fourre-tout juridique soumettant le contrôle de la loi souverainement adoptée par le Parlement à l’application de normes issues de ce fourre-tout évoluant au gré des circonstances. Normalement le contrôle de constitutionnalité devrait être limité à l’examen de la conformité de la loi au texte même de la Constitution.
C’est ainsi qu’on a vu récemment le principe de « fraternité » de la devise de la République faire son apparition dans ce fourre-tout afin de permettre de dépénaliser l’aide aux trafics de migrants ! Dans le système français toute loi votée par le Parlement et faisant l’objet d’un recours parlementaire, ne peut être promulguée par le président de la République qu’après la « validation » par le Conseil constitutionnel. Celui-ci, avec la considérable augmentation de son champ d’intervention et de ses possibilités d’interprétation a récupéré dans les faits une partie importante du pouvoir législatif. Ce n’était pas encore assez, puisqu’une révision constitutionnelle, en créant la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet désormais aux citoyens de contester la constitutionnalité d’une loi a posteriori de sa promulgation et parfois fort longtemps après.
Nommés par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, les membres du Conseil ne sont pas choisis sur la base de critères de compétences juridiques. Ce sont bien évidemment des critères politiques qui président à ces choix. La présence de Robert Badinter à Laurent Fabius en passant par Roland Dumas, Jean-Louis Debré, Michel Charasse, Lionel Jospin, Alain Juppé etc. le démontre abondamment. Il n’y a pas de procédure véritablement contradictoire dans la préparation des décisions et dans les faits, le poste d’un secrétaire général omnipotent étant toujours occupé par un de ses membres, le poids du Conseil d’État y est considérable.
Cette institution est ainsi amenée à peupler en amont les cabinets ministériels de ceux qui rédigeront les textes soumis au Parlement. D’autres de leurs collègues les examineront ensuite au Conseil constitutionnel, quand d’autres encore, directement au Conseil d’État cette fois-là, le feront pour les décrets, dans le cadre du contrôle de l’activité réglementaire du pouvoir exécutif ! La boucle est bouclée et ainsi, la production normative dans notre pays est essentiellement entre les mains d’une petite caste issue de l’ENA, les postes de responsabilité étant soigneusement choisis là aussi sur des bases éminemment politiques.
Alors on va contredire le Garde des Sceaux et confirmer que l’arrêt rendu par le conseil constitutionnel le 5 août est bien une décision d’abord et avant tout politique. Prétendre le contraire est se moquer du monde.
Un cheval liberticide, une alouette de respect des principes
Il y a près de 20 ans, dans un ouvrage qui n’a pas laissé une trace indélébile dans la littérature française, Laurent Fabius nous avait informé de certains de ses goûts culinaires et en particulier celui de la salade de carottes. On constate à la lecture de la décision relative au passe sanitaire qu’il apprécie aussi le « pâté d’alouette ». Dont la recette a été incontestablement respectée avec un cheval de validation des principales mesures de coercition et une alouette de petites censures marginales. Avant d’examiner le résultat, il faut quand même rappeler que le texte de loi a été adopté par une Assemblée nationale croupion issue des élections législatives de 2017 intervenues en conséquence de l’arrivée irrégulière de Emmanuel Macron à l’Élysée. Véritable chambre d’enregistrement où la majorité est occupée par un parti politique représentant moins de 10% des électeurs inscrits à l’échelle du pays comme l’ont démontré les élections intermédiaires.
En fait, le travail de notre Cour suprême pour apprécier le dispositif adopté par le Parlement imposait l’utilisation d’un curseur. Les libertés publiques fondamentales comme celle d’expression, d’inviolabilité de la personne, de libre circulation etc. peuvent faire l’objet de restrictions par la loi dès lors qu’un intérêt général et collectif le nécessite. Mais il est indispensable de démontrer que ces limitations sont strictement proportionnées à l’intérêt public poursuivi. En l’occurrence, le Conseil constitutionnel devait se livrer un arbitrage entre les impératifs de la protection des libertés publiques et ceux issus de « l’objectif de protection de la santé publique » qu’il a inventé ex-nihilo par une décision intervenue en 1991 ! Pour avoir suivi certains méandres du Conseil d’État dans l’appréciation de l’activité réglementaire du gouvernement depuis un an et demi, on pouvait difficilement ne pas prévoir le résultat. S’appuyant imprudemment sur « l’état des connaissances scientifiques » et démontrant la faiblesse de sa culture des libertés, il a placé le curseur largement du côté sanitaire au détriment des garanties qu’une société démocratique doit à ses citoyens. Soyons clairs, l’auteur de ces lignes lui-même vacciné est favorable à la généralisation du vaccin, mais pour autant, le système mis en place repose d’abord et avant tout sur le diptyque de la surveillance et de la punition. S ’agissant de ce régime qui a désormais les traits d’un système autoritaire et antidémocratique, et compte tenu de ses précédents on peut malheureusement s’attendre au pire.
Les quelques annulations qui parsèment la décision ne changent en rien la philosophie globale du dispositif voulu par Emmanuel Macron. Prenons l’exemple de la question des licenciements en cas de refus de vaccination. On sait que finalement le Parlement avait renoncé à faire de ce refus un motif de licenciement. Mais l’avait maintenu pour les contrats de travail à durée déterminée (CDD) ! Doctement le conseil nous a dit que « le législateur avait institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail ». Magnifique ! Les CDD vont se voir appliquer le même traitement que les CDI c’est-à-dire qu’on pourra les suspendre sans rémunération. Pas vacciné, vous ne pourrez plus vous acheter à manger. Cela constitue à l’évidence une obligation vaccinale à peine déguisée, et il aurait été intéressant que le Conseil constitutionnel s’exprime sur le point de la vaccination obligatoire. Cette censure est une simple diversion.
Surveiller… et surtout punir
Concernant l’obligation faite à toute personne faisant l’objet d’un test positif à la Covid-19 de se placer de son propre chef à l’isolement sous peine de sanctions pénales (!) était tellement énorme, qu’il n’a pas été possible d’échapper à l’annulation, mais si l’on lit l’arrêt entre les lignes on voit bien bien que sont fléchées les rédactions qui le permettraient. « D’autre part, l’objectif poursuivi par les dispositions contestées n’est pas de nature à justifier qu’une telle mesure privative de liberté s’applique sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire ». Si l’on comprend bien, il suffira que les professionnels qui ont réalisé les tests aient l’obligation d’en transmettre les résultats au préfet celui-ci prenant la mesure d’isolement. Et ça passera crème.
Comme a été avalisée la passion macronienne du pénal s’exprimant dans la situation faite aux exploitants d’établissement recevant du public. Qui sont tenus contrôler la détention par leurs clients d’un « pass sanitaire ». Sous peine d’encourir un an d’emprisonnement, 9 000 euros d’amende et une fermeture administrative, c’est-à-dire purement et simplement une mort sociale. Il y a dans le texte une violation du principe de spécialité qui permet une caractérisation suffisamment précise du champ de l’infraction. Comment constater l’abstention, autrement que par le contrôle des clients dans l’établissement. Ce qui normalement serait insuffisant pour caractériser la faute de l’exploitant ? Quant à la violation du principe de proportionnalité, la simple lecture des peines encourues en démontre l’énormité. Tout ceci n’a pas contrarié ce que l’on appelle improprement « les sages ».
Pour atténuer la portée des mesures liberticides, le Conseil constitutionnel prend tranquillement pour argent comptant la date du 15 novembre comme fin du système. C’est une plaisanterie, puisqu’à cette date il sera loisible à Emmanuel Macron de faire saisir son Parlement godillot pour obtenir une prolongation. Et pourquoi pas jusqu’à l’élection présidentielle en prévoyant, expressément cette fois-ci et non pas par le rejet de l’amendement Son-Forget, l’obligation du passe sanitaire pour rentrer dans les bureaux de vote.
Le rejet populaire massif des mesures macroniennes qui voit les foules importantes se mobiliser en pleine période des congés d’été, des juristes éminents, des intellectuels, des personnalités politiques respectables s’engager, a constitué une surprise. Certes il charrie parfois le pire avec une montée de l’irrationalité et de la pensée magique qui trouvent grâce aux réseaux des champs d’expression importants. Il ne faut cependant pas s’arrêter à ce phénomène somme toute minoritaire. On peut tout à fait être favorable au vaccin et même partisan de la mise en œuvre d’une stratégie massive, mais être opposé à l’effet d’aubaine et aux dérives liberticides. Car c’est bien ce qui caractérise ce mouvement que le rejet de l’actuel président de la République et de son système. Dont la haute fonction publique d’État qu’elles soit administrative ou judiciaire fait partie, et constitue un de ses éléments actifs.
Les mesures pour lutter contre le Covid sont d’autant plus mal acceptées qu’elles émanent d’un pouvoir arrivé de façon illégitime au pouvoir et perçu comme tel dès l’origine. Et qui a accumulé tous les ratés possibles, les accompagnant à chaque fois de mensonges éhontés.
Lutter avec rigueur contre la pandémie, oui. Le faire sous la direction de Emmanuel Macron, non.
source : https://www.vududroit.com
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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