Ce sociologue spécialisé dans l’étude des phénomènes de délinquance devenu l’un des visages de la mouvance covido-sceptique est aujourd’hui controversé au sein même de l’organisme dont il dépend.
C’est l’une des figures du « rassurisme » et aujourd’hui de la cause antivaccination. Directeur de recherche au CNRS, Laurent Mucchielli s’est engagé de plain-pied dans le débat public sur la pandémie de Covid-19, s’attirant saillies et critiques de plusieurs scientifiques et professionnels de la santé (voir encore ici, là et là). Ces derniers jours pourtant, une goutte d’eau en forme de texte a fait déborder le vase déjà bien rempli des libertés prises par le chercheur avec la simple honnêteté intellectuelle. Lui y voit simplement une « cabale » contre lui.
Mon article censuré par @Mediapart est republié également par MediAplus https://t.co/yFO8uEmleJ Merci aux innombrables soutiens reçus face à la cabale qui se déchaîne après que j’ai osé aborder le sujet tabou de la dangerosité des vaccins expérimentaux. Suite à paraître d’ici 24h
— Laurent Mucchielli (@LMucchielli) August 6, 2021
S’ingéniant depuis l’année dernière à relativiser la gravité d’une maladie qui a pourtant provoqué plus de 4 millions de morts à ce jour dans le monde (une mortalité annuelle environ cinq fois plus élevée que celle du sida sur une période comparable), Laurent Mucchielli a franchi un pas supplémentaire, la semaine dernière, en affirmant dans une note du blog qu’il tient depuis plus de dix ans sur Mediapart que la campagne de vaccination contre le Covid-19 aurait tué près d’un millier de personnes. Des propos qui lui ont valu la dépublication de son article par Mediapart pour diffusion de fausse nouvelle, un désaveu cinglant du CNRS… et le soutien, désormais, d’Etienne Chouard, Christine Boutin ou encore Gilbert Collard.
Mucchielli propose en effet une lecture particulièrement biaisée des données publiées par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui répertorie, comme elle le fait pour chaque nouveau médicament ou vaccin mis sur le marché, l’ensemble des effets indésirables qui apparaissent suite à la vaccination, sans que ces effets aient nécessairement toujours un lien avec ladite vaccination, corrélation ne valant évidemment pas causalité.
Le billet de Mucchielli a fait réagir – « il était temps » nous confie l’un de ses collègues universitaires sous le sceau de l’anonymat – le CNRS, auquel il est rattaché. Mercredi 4 août, l’organisme de recherche s’est désolidarisé publiquement des écrits du sociologue par un tweet aussi laconique que péremptoire :
« Laurent Mucchielli est sociologue au CNRS mais s’exprime à titre personnel sur la vaccination anti-Covid. Le CNRS ne peut aucunement être associé à cette prise de position. »
C’est le dernier acte en date d’une dérive amorcée le 29 mars 2020, avec la publication sur son blog d’un article intitulé « Derrière la polémique Raoult, médiocrité médiatique et intérêts pharmaceutiques ». Laurent Mucchielli y prophétisait que tout serait fini « dans 3 mois » et que les querelles d’experts « cachent non seulement quelques probables rivalités égotiques entre “grands pontes” de la médecine française […], mais probablement aussi des enjeux financiers pour l’industrie pharmaceutique et des conflits d’intérêts chez nombre de ces savants. »
Un chercheur engagé
Sociologue au Centre Méditerranéen de Sociologie (Marseille), Laurent Mucchielli, 53 ans, est un chercheur spécialisé dans les questions de violences urbaines, d’insécurité, de délinquance et de stratégies de maintien de l’ordre. Régulièrement sollicité par les médias, il y intervient le plus souvent pour remettre en perspective le niveau de violence de l’époque, insistant sur le fait que notre société est probablement l’une des moins violentes de l’histoire. Dans son livre, L’Invention de la violence (2011), il suggère que la peur de l’insécurité est entretenue et cyniquement instrumentalisée à des fins politiques.
Dans les années 2000, il relativise la recrudescence des agressions antijuives qui n’auraient selon lui rien à voir avec un « retour de l’antisémitisme » et tout, au contraire, avec l’incapacité supposée des institutions juives à prendre leurs distances à l’égard des politiques de l’État d’Israël – une position très contestée par la plupart des chercheurs spécialistes de l’antisémitisme.
En janvier 2018, lors de la publication de la première enquête de l’Ifop initiée par Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès sur le conspirationnisme dans la société française, Mucchielli semble étranger à toute complaisance à l’égard des théories du complot, écrivant par exemple sur Twitter que « développer l’esprit critique sans nourrir le conspirationnisme devient un défi pour nous tous. »
Avec l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire en mars 2020, le chercheur se met pourtant subitement à publier ses considérations sur l’épidémie de Covid-19, fustigeant le « fiasco politico-sanitaire » et promouvant la bi-thérapie à base d’hydroxychloroquine proposée par le Pr Didier Raoult. Dans un webinaire du 27 avril 2020, il déclare :
« Moi, en m’intéressant à la polémique Raoult, je suis rentré dans le domaine médical – ce qui n’est pas du tout mon champ habituel. Et j’ai découvert en particulier l’importance des laboratoires pharmaceutiques et des enjeux financiers. Je l’avais un peu déjà subodoré en travaillant sur des questions environnementales mais alors là c’est apparu plus gros que jamais, à un point que j’aurais jamais pu imaginer. […] Quiconque n’a jamais entendu parler des laboratoires pharmaceutiques, quiconque n’a jamais entendu parler de Gilead, ne comprend pas grand chose à ce qui se joue actuellement. »
Ce que Mucchielli a omis de préciser depuis, c’est que le remdésivir, la molécule commercialisée par le laboratoire américain Gilead et présentée comme un traitement possible contre le Covid-19, non seulement n’a pas été recommandé par l’OMS (elle en a même explicitement déconseillé l’utilisation), mais il se trouve que la France est l’un des seuls grands pays à ne pas avoir commandé de doses à Gilead, au contraire d’autres pays européens.
Le premier billet de blog de Mucchielli sur l’épidémie date du 29 mars 2020. Il sera suivi de dizaines d’autres. Il y relaie le texte d’une dénommée Ella Roche, présentée comme une « journaliste précaire », dans lequel est affirmé que le Pr Raoult et le traitement qu’il préconise seraient stigmatisés par tout un système.
C’est à partir de cette publication que Mucchielli commencera à défendre bec et ongle la solution du très médiatique directeur de l’IHU Méditerranée Infection de Marseille (ici, là ou encore là). En décembre 2020, il fait part de son enthousiasme pour la vidéo « Mal traités » qui fait l’apologie de supposés remèdes miracles contre le Covid-19 (dont l’hydroxychloroquine) qui tous auraient été écartés par les gouvernements, provoquant soi-disant le sacrifice de milliers de personnes. En réalité, le film brille par les fausses informations qu’il distille, ses approximations et ses relents complotistes.
Laurent Mucchielli bascule par la suite dans une dénonciation tous azimuts d’un système politico-sanitaire et médiatique coupable selon lui de manipuler l’information sur la pandémie et les traitements. Dans un webinaire organisé par les Amis du Monde diplomatique, il accuse la toute puissance de la « doxa » qu’imposeraient l’industrie pharmaceutique, l’OMS, Bill Gates, les GAFAM et les médias :
« Qui sait que aujourd’hui le premier financeur de l’OMS, c’est Bill Gates ? […] Et en soi c’est pas complotiste, c’est juste une information, c’est la vérité. »
Tant pis si, au moment où Mucchielli prononce ces mots (le 25 janvier 2021), cette information a déjà largement été diffusée dans les médias depuis plusieurs mois, comme en atteste par exemple cet article du Monde daté du… 24 juin 2020. Mais le chercheur poursuit :
« Et par ailleurs, la stratégie sanitaire de la Fondation Bill Gates, c’est pas compliqué, elle tient en un mot : “il faut vacciner la planète”. “Je suis Bill Gates, je suis votre sauveur, je suis un bienfaiteur de l’humanité, je veux vacciner tout le monde contre la maladie“. Voilà, la pensée de Bill Gates, je viens de la résumer et elle est pas beaucoup plus compliquée que ça. C’est ça le message. Et comme par hasard, quel est le fond de ce discours officiel qui nous est martelé depuis le mois de mars ? Ca consiste à dire fondamentalement : “un, nous sommes sous menace quotidienne […] d’un virus qui potentiellement peut tous nous tuer”. […] “Deuxième chose, […] on ne peut rien faire. Il n’y a pas de traitement, on ne peut pas soigner. Donc, la seule solution, c’est le confinement général”. […] Troisième élément de cette doxa : “il faut confiner jusqu’à ce que le miracle arrive”. Et le miracle s’appelle le vaccin. »
Les philippiques de Laurent Mucchielli ne sont pas tournées que contre Bill Gates, la stratégie sanitaire du gouvernement ou la doxa dominante. Selon lui, « la puissance du discours officiel […] repose également sur le fait qu’elle constitue le discours de la quasi-totalité des médias ». Et de rappeler que l’essentiel de la presse française est contrôlée par quelques milliardaires. Quid des médias relevant du service public ? Ils seraient « actuellement, on le voit bien, encore plus aux ordres », les journalistes de France Télévisions ou de Radio France étant « pour la plupart d’entre eux devenus les communicants du gouvernement » (sic).
Eté 2020, la rencontre du réseau des scientifiques « rassuristes »
Ses billets et ses différentes interventions rencontrent un écho certain auprès des sceptiques du Covid-19 et des admirateurs du professeur Raoult. Entre avril et juillet 2020, le sociologue agrège autour de lui un réseau « dissident » d’une dizaine de professionnels de la santé et de scientifiques parmi lesquels le rhumatologue marseillais Jean Roudier ou le Dr Gérard Maudrux, aujourd’hui poursuivi par l’Ordre des médecins.
A l’été 2020, Laurent Mucchielli décide de rencontrer le cardiologue Jean-François Toussaint (qui interviendra quelques mois plus tard dans le film complotiste « Hold-up ») après l’avoir entendu « dire des choses très sensées » à la télévision. Une première tribune, dont il est l’initiateur, concrétise ce rapprochement. Elle est publiée le 10 septembre 2020 par Le Parisien sous le titre « Nous ne voulons pas être gouvernés par la peur », qui sonne comme un écho à ses travaux sur l’insécurité. Les signataires y accusent en effet les autorités politiques « d’insuffler la peur à travers une communication anxiogène qui exagère systématiquement les dangers sans en expliquer les causes et les mécanismes » :
« Nous appelons également le gouvernement à ne pas instrumentaliser la science. La science a pour condition sine qua non la transparence, le pluralisme, le débat contradictoire, la connaissance précise des données et l’absence de conflits d’intérêts. Le Conseil scientifique du Covid-19 ne respectant pas l’ensemble de ces critères, il devrait être refondé ou supprimé. »
Une seconde tribune, refusée par le Journal du Dimanche, est publiée sur le blog de Laurent Mucchielli le 27 septembre 2020. Parmi les signataires, on retrouve, en plus de Jean-François Toussaint, Laurent Toubiana ou Christian Perronne, des personnalités telles que Louis Fouché ou Alexandra Henrion-Caude qui ne tarderont pas à s’illustrer par leurs engagements ouvertement conspirationnistes. Quelques jours plus tard, dans un entretien à L’Express, Mucchielli continuera à contester l’idée même d’une deuxième vague épidémique – elle fut pourtant encore plus meurtrière que la première.
En avril 2021, Mucchielli publie une étude sur la mortalité du Covid-19 co-signée par Laurent Toubiana, Pierre Chaillot et Jacques Bouaud dans laquelle on peut lire que « l’année 2020 n’a connu aucune surmortalité chez les personnes âgées de moins de 65 ans ». Plusieurs travaux viennent toutefois contredire formellement les conclusions des auteurs, comme l’étude de l’Insee qui évoque une « hausse des décès inédite » et une mortalité dont l’augmentation est « très supérieure à celle observée lors des épisodes grippaux et caniculaires sévères des années précédentes ».
Des interventions chez FranceSoir, REINFO COVID et Bas les Masques
Les sites et blogs dits de « réinformation » semblent avoir rapidement compris l’intérêt qu’ils pouvaient avoir à médiatiser la parole de Laurent Mucchielli et de ses compagnons de route en covido-scepticisme. Le sociologue marseillais intervient alors sur REINFO COVID de Louis Fouché, le Courrier des Stratèges d’Eric Verhaeghe ou encore FranceSoir.
Il rejoint également le « Conseil Scientifique Indépendant », en fait une série de visioconférences organisées par REINFO COVID, ainsi que le réseau « Bas les masques » (avec Jean-François Toussaint et Laurent Toubiana) en qualité de contributeur régulier. Lui-même se met à relayer des contenus issus de ces groupes.
Pour l’observateur du monde médiatique qu’est Laurent Mucchielli, qui participe fin avril 2020 à un débat sur le complotisme et les fake news, accepter d’intervenir sur un média comme FranceSoir nouvelle version interroge. Ce titre emblématique de la presse d’après-guerre a vu sa rédaction être intégralement licenciée à la fin de l’année 2019. Devenu courant 2020, sous l’impulsion de son propriétaire, l’homme d’affaires Xavier Azalbert, l’un des médias les plus influents de la complosphère, FranceSoir n’est pas n’importe quel site. Après avoir publié pendant des mois des contenus flattant l’imaginaire complotiste de ses lecteurs ou donnant la parole à des complotistes notoires comme Silvano Trotta, le site publie en janvier 2021 une tribune de Francis Lalanne appelant à renverser militairement le chef de l’État.
Un grand merci une fois encore à @france_soir pour m’avoir donné la parole sur ce sujet particulièrement grave. https://t.co/lbQ5c3xGIh
— Laurent Mucchielli (@LMucchielli) July 30, 2021
Sans surprise, Laurent Mucchielli est désormais repris sur des sites complotistes comme Profession-Gendarme.com [archive] ou Mondialisation.ca [archive].
Contacté par Conspiracy Watch, le sociologue n’a pas donné suite à nos sollicitations, arguant qu’il ne répond pas aux interviews qui ne lui permettent pas d’expliquer de façon complète ses « positions non-conformistes ».
Voir aussi :
Le conspirationnisme légitimé : Giorgio Agamben et la pandémie
Source: Lire l'article complet de Conspiracy Watch