par Tasio Retortillo Merino.
Un matin récent, dans le contexte d’une publication que j’avais posté sur les manipulations sémantiques opérées par les idéologues de la Droite mercantilo-industrielle, quelqu’un m’avait conseillé de m’intéresser à un auteur du nom de Pablo Servigne. Je voudrais commenter ici l’article de wikipedia qui lui est consacré. Dans un premier moment, ma réaction est plutôt enthousiaste : je vois des expressions comme « critique du darwinisme social, anti-productivisme, critique de l’idéologie de la croissance économique » qui correspondent à des idées que je juge très saines et pertinentes pour améliorer notre existence sur Terre. Puis on me dit qu’elles ont été regroupées sous le terme de « collapsologie » pour que cette connotation peu vendeuse évite qu’on ne puisse les travestir en des notions creuses favorisant telle ou telle niche commerciale. OK, je reprends ma lecture à froid quelques heures après.
À titre anecdotique, nous apprenons d’entrée que ce monsieur, l’un des fondateurs de la collapsologie, donc, a joué un rôle crucial dans la mise au point des programmes de la politique écologiste officielle. Pour de la contre-culture et du contre-pouvoir, ça commençait un peu mal. Mais j’avais encore bon espoir de me tromper, les choses n’étant pas noires ou blanches.
« Il est invité par l’ancien eurodéputé Yves Cochet à rédiger un rapport pour le groupe des Verts/Alliance libre européenne au Parlement européen sur l’avenir de l’agriculture en Europe. Ce rapport qui évoque la possibilité d’un effondrement imminent des systèmes alimentaires industriels en Europe, a été présenté publiquement au Parlement européen de Bruxelles le 17 octobre 2013 ».
Ainsi rentrais-je dans le vif du sujet, les idées pures et dures, de cette « collapsologie » : sur mes gardes, mais sans envies particulières de faire encore l’étalage de ma méfiance.
La première chose qui m’interpelle c’est leur concept de « résilience ». La « résilience » nous disent-ils, c’est l’attitude qui permet de changer la société. Ha : boycott = résilience ? Mais si tu regardes « résilience », tu te topes avec une notion de la psychologie clinique en rapport avec les traumatismes. Après, il ne faut pas s’étonner que les gens aient peur de boycotter les merdes que la publicité leur fait désirer, s’ils doivent pour cela se considérer comme traumatisés… C’est peut-être une grille interprétative féconde en psychologie sociale, mais pas forcément positive en politique… Et puis, une notion de la psychologie, en dehors du cadre de la psychologie, ça devient de la moraline, et il ne faut pas s’étonner que ça énerve certaines personnes. Peur, énervement… je commençais déjà à me poser la question de savoir si l’on veut ici nous rapprocher du changement par l’auto-responsabilisation, ou plutôt nous en éloigner.
Ensuite viennent quelques points qui derrière des apparence de modération ne font en fait que répandre certaines bases de l’idéologie dominante dont :
– un monde binaire, dans le cadre du (mal nommé) manichéisme existentiel servant à diviser les esprits : « Toutefois, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne ne nient pas l’existence de la compétition qui est aussi indispensable pour poser des limites, un territoire ou lors de la reproduction ». Histoire de ne surtout pas s’attaquer à la source de l’individualisme, et encore moins de cautionner des « extrémismes » du genre « tout est amour », on ne sait jamais, des fois que le nombre de religieux sincères ou de hippies de bonne foi augmente ; ou qu’un grand nombre se mette à découvrir le mysticisme pour lequel nous sommes tous Un et toute compétition illusoire et irrationnelle. Parce que ça, ce serait un réel danger pour la civilisation mercantilo-industrielle.
– l’utilitarisme anglo-saxon : « Les deux montrent enfin que l’altruisme et l’entraide sont des éléments de cohésion sociale qui se développent spontanément chez les humains. Par exemple, les situations de catastrophes naturelles sont des évènements générant des comportements d’entraide, d’auto-organisation et de calme ». La coopération existe et est dominante, MAIS attention c’est parce qu’elle est utile à notre survie biologique. Histoire que l’on ne découvre pas trop le pouvoir de la gratuité. Pour une critique du darwinisme social, ça semble plutôt cuit.
L’article termine en présentant très sommairement deux critiques (supposément les défenseurs du système dominant) de la collapsologie. Malgré une exposition rapide et bâclée dans l’article de wikipedia, les deux critiques sont pertinentes.
La première dit que « bien qu’ils puissent s’appuyer au départ sur des données recueillies sérieusement, ces discours paraissent davantage relever du prophétisme que de la science ». En effet si la météorologie (qui est la discipline scientifique écologique – dans le sens scientifique du terme – la plus simple) se trompe souvent sur des prévisions portant sur quelques jours, imaginez quel sera le niveau de certitude en ce qui concerne des hypothèses concernant l’état global d’une planète entière avec tous ses aspects, dans dans des dizaines ou centaines d’années.
La seconde critique « officielle » s’exprime ainsi : « Alternatives économiques estime également que Servigne est trop ignorant de l’état actuel de la recherche en sciences sociales et qu’il établit de nombreux parallèles discutables comme celui entre l’effondrement d’une société et la disparition d’un être vivant ». En effet si la comparaison prétends à plus qu’une métaphore ou une analogie facilitant la compréhension de certains aspects communs entre les deux, elle ne me semble alors pas pertinente.
J’ai voulu ne pas en rester à des impressions, et suis parti sur la page de la notion centrale autour de laquelle gravite cette histoire de collapsologie : « l’effondrement environnemental » : wikipedia.orgRisques_d’effondrements_environnementaux_et_sociaux
Là nous apprenons que : « Alors que les effondrements de civilisations du passé ont été géographiquement limités à celles-ci, les analyses actuelles envisagent un bouleversement systémique qui pourrait être mondial. Elles n’envisagent pas nécessairement la fin de l’humanité mais plutôt celle de la société industrielle ».
Donc, en fait, ce qui est ici réalisé, c’est l’assimilation de la fin de la société industrielle à un événement absolu (car se produisant partout) et violent (car je remarque que le mot le plus récurrent est ici « effondrement » et qu’un effondrement doux que je sache ça n’a pas trop d’autre sens que poétique). Si l’on glisse dans les esprits que la fin de l’industrie, c’est absolument violent, il ne faut pas, là encore, s’étonner que les gens soient rétifs au changement.
Voilà que ça se concrétise un peu plus loin, dans la définition de l’effondrement en question : « un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».
Enfin, ça fait plus que devenir concret, ça empire : non seulement la fin de l’industrie est un événement absolument violent, mais la raison de sa violence résiderait dans le prétendu fait que, sans l’industrie, et bien nous n’aurions pas de services publics et pas de loi : ce serait le chaos. Pris dans l’autre sens, ça présuppose que toute notre organisation collective est causée par et dépend de l’industrie. Mais c’est grave ça quand-même, comme manipulation.
Je continue cet article et je constate que les « collapsologues » semblent également se faire l’écho de certaines thèses sinistrement reliées à la matrice intellectuelle de la Droite et de sa justification idéologique des inégalités socio-économiques :
– la théorie de la surexploitations de matières premières critiques. Si l’on exploite trop, c’est qu’il n’y a pas assez de ressources pour tout le monde. Cela nous fait sentir privilégiés malgré nous, et c’est dans la nature humaine de vouloir conserver ses privilèges par peur du manque. La vérité que l’on veut ainsi noyer depuis longtemps, c’est que l’on n’exploite pas trop, mais mal. Nous sommes dans le cas où l’on exploite les ressources d’une façon qui permette de générer des fortunes privées colossales à partir du rationnement artificiel et criminel de ressources qui pourraient en fait s’avérer bien plus vastes que ce qui est sous-entendu ici. Mais l’abondance ne génère pas de conflits sociaux jouant sur la peur de manquer, qui à leur tour font stagner les inégalités ayant des causes politiques et économiques en focalisant l’attention sur des prétendues causes matérielles, physiques.
– ensuite Malthus, encore lui : « La croissance démographique, si elle se poursuivait de façon exponentielle, entraînerait une surpopulation. Cette surpopulation était déjà redoutée par Thomas Malthus au XVIIIe siècle, qui la théorisa notamment en prônant la restriction démographique. D’après l’Institut national d’Études démographiques, la population mondiale devrait atteindre un maximum à 10,9 milliards d’habitants un peu après 2100 ».
Cela fait littéralement des siècles que la gouvernance mercantile mondialiste de Droite nous paralyse avec cet argument qui fonctionne de la même manière que le précédent, en jouant sur la peur de manquer afin d’intimider notre capacité de développer notre responsabilité individuelle, alors qu’un tel développement constitue le but affiché des discours de la collapsologie. Au passage, de mémoire, j’ai en tête certaines spéculations d’après lesquelles la Terre, si les ressources sont gérées honnêtement et intelligemment, pourrait accueillir 50 millions d’humains ayant un niveau de vie agréable.
Encore un peu plus loin mes craintes se retrouvent finalement fondées : « Les phénomènes sous-jacents, qui selon ces théories pourraient conduire à un effondrement civilisationnel, s’appuient sur diverses études scientifiques et dont la réalité et la gravité est prise en considération par de nombreux organismes publics, parmi lesquels le Club de Rome, le GIEC, des autorités militaires internationales, la Banque mondiale et le Forum de Davos ».
Là à la limite le rideau tombe et l’on pourrait arrêter le commentaire. On nous dit clairement qui est derrière la collapsologie. Notez que toutes mes remarques précédentes ont été faites avant de tomber là-dessus. Je ne veux pas dire par là que je suis très intelligent, mais plutôt que le style et l’odeur des manipulations de la Droite mercantile se répète ; la répétition étant la marque d’un plan.
Cette phénoménale entreprise de création de confusion intellectuelle déborde bien-sur des auteurs qui ont crée le néologisme « collapsologie », et les précède. D’autre part, il se peut tout à fait que certains penseurs adhèrent à ces idées avec une bonne foi exemplaire, sans se rendre compte des implications concernant l’origine et la forme particulière de leur diffusion.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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