Pedro Castillo est désormais le nouveau chef d’état de la République du Pérou. Elu en mai 2021 face à la droite libérale et populiste représentée par Keikou Fujimori, l’orientation politique du nouveau président, où l’antilibéralisme s’épouse à un catholicisme conservateur assumé et à un patriotisme paysan, a de quoi étonner.
Un pays très diversifié
Immense pays d’Amérique latine, le Pérou est à l’image de sa morphologie, très diversifiée. Celle-ci est divisée entre une grande façade océanique, qui représente le 10% du territoire mais où se concentre le 60% de la population, l’arrière-pays andin, qui représente le 30% du territoire et où vit le 30% de la population, et l’immense forêt amazonienne, fortement dépeuplée (10% de la population sur un territoire qui représente le 60% du territoire national).
L’histoire du pays est marquée par une forte immigration asiatique et européenne, de sorte que l’on peut considérer le Pérou comme étant l’un des pays les plus diversifiés d’un point de vue ethnique. Parmi les Asiatiques péruviens, la diaspora japonaise représente une communauté très nombreuse et puissante (environ 80.000 personnes), tandis que parmi les descendants d’Européens, on y trouve principalement les Espagnols, les Italiens, les Allemands, les Français et les Grecs. Plusieurs présidents péruviens ont été issus de cette immigration, comme Pedro Pablo Kuczynski Godard, d’origines polonaises, et Alberto Fujimori, d’origines japonaises, et Ollanta Humala, d’origines italiennes.
Son histoire après l’indépendance voit le Pérou protagoniste d’un grand nombre de conflits armés, contre la Bolivie, l’Equateur et la Colombie outre que contre une éphémère tentative du Royaume d’Espagne de récupérer ses colonies entre 1865 et 1866. Comme beaucoup de pays d’Amérique latine, le Pérou aussi connaîtra une longue série de dictatures militaires, plus ou moins proches des États-Unis, et de coups d’État.
Malgré son immense diversité territoriale et culturelle, le Pérou se présente comme un pays très centralisé. Les richesses et les décisions se concentrent à Lima, la capitale, une mégalopole de presque neuf millions d’habitants. La corruption dans le pays est endémique ; globalement, le système politique est l’expression d’intérêts oligarques qui n’ont eu de cesse de s’attaquer aux ressources naturelles de l’arrière-pays, participant amplement à maintenir les populations indiennes, qui pourtant représentent la moitié de la population, dans la misère.
Cette prédation libérale et les régimes militaires qui les ont accompagnés, furent la cause principale de la fondation du mouvement marxiste-léniniste-maoïste Sentier Lumineux. Très implanté dans la selva andine, il fut fondé en 1970 par un professeur universitaire de philosophie et militant, Abimael Guzman, et devint rapidement un mouvement de lutte armée. Depuis, on décompte autour de 70.000 les morts dus à la guérilla entre Sentier Lumineux et l’État, avec des massacres des deux côtés : villages brûlés par les groupes militaires et paramilitaires, assassinats de personnalités religieuses de la part des communistes, expropriations forcées, tortures.
Un parcours d’exception
C’est en un pays aux profondes fractures socio-économiques que nait et grandi Pedro Castillo. Fils de paysans illettrés et troisième d’une fratrie de neufs enfants, il est originaire d’un hameau près du village de Puña, dans le nord du pays. Dès son plus jeune âge, il fit partie des « rondas », groupes d’autodéfense locaux contre le brigandage, notamment celui de Sentier Lumineux, particulièrement répandu dans la zone. Il a étudié la pédagogie et l’éducation à l’université de Trujillo, sur la côte, dont le diplôme lui a permis d’exercer pendant vingt-cinq ans le métier d’instituteur dans son village natal. Catholique pratiquant, il s’est marié en 2000 avec la compagne avec qui il est en couple depuis l’adolescence.
Enseignant dans l’une des régions les plus pauvres et arriérées du pays (mais riche en mines d’or et grande productrice de café, le tout entre les mains d’entreprises étrangères et de quelques oligarques), Castillo était un inconnu lorsqu’il entame une immense grève des instituteurs. Elle durera trois mois, avec 200.000 participants, ce qui fragilisera la position et l’image du président libéral-conservateur Pedro Pablo Kuczynski. Le mouvement aura partiellement gain de cause, dont l’augmentation des salaires et des moyens supplémentaires.
Engagé dans un mouvement de centre-gauche depuis le début des années 2000, Pérou possible, il le quitte en 2017. Il sera successivement choisi par une Assemblée nationale des représentants des professeurs comme candidat à l’élection présidentielle de 2021. Il est approché par plusieurs partis politiques, et il accepte enfin de se présenter sous l’étiquette du parti marxiste-léniniste Pérou libre, mais sans y adhérer.
Pedro Castillo est élu au deuxième tour face à Keiko Fujimori, fille de l’ancien président Alberto Fujimori, actuellement incarcéré pour crimes contre l’humanité et corruption, et représentante de la droite libérale, soutenue par les oligarchies économiques du pays et les médias nationaux, outre que par le prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa.
Catholique et antilibérale
Son élection a surpris les Péruviens eux-mêmes. Analysant le vote du premier et du deuxième tour, on s’aperçoit que ce sont les régions rurales qui on le plus porté ce candidat hors du système politico-économique du pays. Sur dix-huit candidats, il était l’un des huit à ne pas avoir été cité dans des scandales de corruption. Son programme électoral comprenait en cas de victoire une nouvelle Constitution, la réforme des retraites, la nationalisation de l’industrie du gaz, investissements massifs de l’État dans l’éducation, la santé et l’agriculture. Ces positions en matière économique et osiclae lui a attiré les sympathies des masses déshéritées par la politique libérale du pays, dont l’économie est l’une des plus dynamiques d’Amérique latine, mais où les retombées économiques se concentrent entre les mains d’une élite rapace et fortement corrompue. Résultat : l’oligarchie péruvienne avait, à l’issue des résultats du premier tour, commencé à exfiltrer leurs fortunes à l’étranger, craignant une « vénézuelisation » du pays.
Pourtant, Castillo n’a rien d’un socialiste primaire et populiste : si la lutte contre la corruption endémique du pays doit nécessairement passer par une politique antilibérale, il est également vrai que les entreprises privées doivent, dans la vision de Castillo, être protégées. Autrement dit, le nouveau président du pays semble s’engager dans la voie d’un souverainisme économique, limitant la vente des biens de l’État à des entreprises étrangères afin de promouvoir une économie interne fortement concurrencée par les importations. Castillo semble plutôt faire partie de ces nouveaux leaders qui d’une manière ou d’une autre tente de construire un monde multipolaire, en opposition à une visions de la planète interconnectée autour du pouvoir des États-Unis, comme cela fut théorisé par les néoconservateurs américains des années 90 et leurs courtisans européens. Cela semble inscrire Pedro Castillo dans la droite-ligne de chefs d’État antimondialistes, souverainistes, socialistes et patriotes du type de Thomas Sankara, Evo Morales et Hugo Chavez
Si ses politiques antilibérales lui ont attiré des sympathies auprès des couches sociales les plus défavorisées, ses positions sur les questions sociétales ont de quoi étonner, et l’éloignent définitivement des gauches occidentales libéral-libertaires. Originaire d’un hameau reculé, l’entrée de sa demeure affiche un crucifix et une icone du Christ en version pasteur. Il a renoncé au salaire présidentiel complet, ne retenant que l’équivalent du salaire comme instituteur, poursuivant ainsi une vie parcimonieuse, éloignée du train de vie fastueux des élites du pays d’où sont sortis tous les présidents précédents. Ce point est essentiel, car permet de déceler une cohérence entre ses projets en tant que président et ses valeurs les plus profonds. Catholique pratiquant, il s’est à plusieurs reprises déclaré opposé au mariage homosexuel, aux théories du genre, à l’euthanasie et à l’avortement. En matière de sécurité publique, il est pour la reconduite à la frontière des immigrés ayant commis des délits (message à peine voilé aux centaines de milliers de Vénézuéliens qui ont franchi la frontière péruvienne depuis la présidence de Nicolas Maduro), pour la création de groupes d’autodéfense sur le modèle des ronderas, et pour la mise en place d’ateliers dans les prisons afin que les détenus soient impliqués dans l’entretien de leurs propres prisons.
Au vu de ses prises de positions, il est alors facile de comprendre pourquoi les médias occidentaux de gauche, en général si gourmands de victoires électorales progressistes, d’opposants en carton et de révolution colorées, se sont totalement désintéressés à l’élection de Pedro Castillo. Nous pouvons légitimement penser que cela aurait été différent si Castillo avait, dans son programme, inséré la légalisation des drogues légères ou le mariage pour tous, préambules nécessaires pour accéder au cercle très fermés des « Justes » et des « Fréquentables » (et peu importe si le pays est dépecé et vendu aux enchères). Cela preuve une fois de plus que les gauches occidentales se positionnent comme levier des économies néolibérales et du processus de mondialisation calquée sur le modèle états-unien et postmoderne, et qu’elles ont opportunément abandonné les couches sociales les plus défavorisées, les troquant avec les minorités agissantes des grandes métropoles mondialisées, berceau de leur électorat.
Seul le temps montrera si Pedro Castillo sera en mesure de tenir ses engagements et de se montrer légitime et cohérent.
Maxence Smaniotto
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