Il faudrait être vacciné d’un vaccin occidental pour exercer certaines activités et, pour entrer dans certains lieux, présenter avec le pass sanitaire une attestation de vaccination, de rémission du virus ou de test négatif. Qu’ils crussent ou non à la létalité du coronavirus ou à l’inefficacité des traitements, qu’ils estimassent adaptés ou néfastes les protocoles médicaux appliqués depuis des mois, quoi qu’il en soit toute une partie de la population française était déjà hostile à des degrés divers aux restrictions de nos libertés sous un motif d’urgence sanitaire (confinements, couvre-feux, port du masque, jauges, distanciation, etc.). Mais cette opposition s’est soudain durcie devant l’obligation vaccinale et le pass sanitaire. Une large frange de la population se sent aujourd’hui discriminée et opprimée.
Éduqués depuis des décennies dans la mémoire de la Shoah, les Français ont cette référence bien présente à l’esprit. C’est donc tout naturellement que certains ont comparé la situation à celle vécue sous la dictature « nazie », spécialement par les juifs d’Europe entre 1933 et 1945.
Cette comparaison s’est exprimée sur les réseaux sociaux puis lors de la manifestation nationale du 17 juillet dernier par des images, toujours plus parlantes que de longs discours. Macron et d’autres politiciens ont ainsi été représentés avec la moustache caractéristique d’Adolf Hitler. On a vu l’étoile jaune détournée, où « Juif » était remplacé par « Non vacciné ». Et l’image de l’entrée du camp d’Auschwitz a été détournée avec la formule du portail Arbeit macht frei (« Le travail rend libre ») remplacée par « Le pass sanitaire rend libre ». Etc.
Des poursuites pénales pour contestation de l’existence de crime contre l’humanité auraient été envisagées par les parquets et par les associations de lutte contre l’antisémitisme, notamment par la LICRA. Les uns ou les autres ont pris position publiquement. J’ai personnellement été amené à me prononcer très tôt et à plusieurs reprises sur la licéité de ces mêmes images. Pour ma part j’en ai déconseillé l’usage. Je les avais trouvées trop confuses pour un domaine où le moindre doute peut prêter le flanc à des interprétations malveillantes. Mais mon avis n’importe pas. Ce sont les prises de position autorisées que je souhaite analyser ici, si tant est que cela me soit encore permis. Je crois que cela aura la vertu de clarifier les choses.
I. Ridicule, abject, mais pas négationniste
En réalité, l’opposition au pass sanitaire l’emporte sur la question du vaccin. Le passe sanitaire est déjà en soi une insupportable mesure de contrôle des populations, mais en outre sa quasi-généralisation équivaudra à une discrimination pour ceux qui y seront réfractaires et pour les non-vaccinés. C’est ce sentiment d’être discriminé par le pass sanitaire qui a cherché à s’exprimer.
Jean-Yves Camus ne s’y est pas trompé ; il dit bien qu’« il s’agit (avec ces images) d’expliquer (…) que celles et ceux qui demain ne seront pas vaccinés ou qui ne respecterons pas les mesures sanitaires sont en fait les nouveaux juifs, les nouveaux parias de nos sociétés » [1]. L’étoile jaune qui a circulé sur Internet et dans les manifestations portait bien la mention « non-vacciné » [2], ce qui signifie que celui qui n’aura pas son pass sanitaire en règle sera porteur en négatif d’une étoile jaune, synonyme de proscription.
Avec le statut spécial, la discrimination et les restrictions, l’étoile jaune amène l’arrestation puis la déportation dans un camp. L’image d’Auschwitz a donc suivi naturellement. Le problème c’est que, passée la limite de l’entrée du camp, à filer la métaphore cela conduit au four crématoire.
Le lendemain de la première manifestation, celle du samedi 17, lors d’une cérémonie au square des Martyrs juifs à Paris, Joseph Szwarc, rescapé de la rafle du Vel’ d’Hiv’, a dit avoir vu en particulier dans cet usage répandu de l’étoile jaune « une vague outrancière, antisémite et raciste ». « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela m’a ému, les larmes me sont venues. » « Je l’ai portée l’étoile, moi », a-t-il expliqué [3]. Alain Jakubowicz, président d’honneur de la LICRA, a dit que l’amalgame que font ces gens entre leur situation et la Shoah est simplement ridicule et abject [4]. Mais il a estimé qu’il n’y avait pas négation de la Shoah, au contraire. Selon lui, ces gens disent bien que « la Shoah a existé, c’était très grave », ils ajoutent simplement ensuite « nous sommes victimes au même titre ». Par conséquent ils s’inscrivent dans une logique contraire de l’idéologie négationniste. Ils ne nient pas mais affirment la Shoah. La seule question que Jakubowicz examine ensuite concerne la relativisation, la banalisation ou la minimisation qui résulterait de cette comparaison. Mais puisque d’après la Cour de cassation cette minoration doit être « outrancière », et que selon lui en l’occurrence elle ne l’est pas, Jakubowicz conclut que la contestation, même implicite, n’est pas constituée.
II. Antisémite, fou ou imbécile
Et puis, quelques jours plus tard, le 24 juillet, ce sont sur France Info Arno Klarsfeld, membre du conseil d’État et de l’association Fils et filles de déportés juifs de France, et dans Le Journal du Dimanche Francis Kalifat, président du CRIF, qui ont pris des positions convergentes l’une de l’autre mais curieusement différentes de celle de Jakubowicz et de Jean-Yves Camus [5]. Ils ont fait de la situation une lecture inversée. Kalifat comme Klarsfeld fils ont prêtés aux « antivax » (comme ils disent, ce qui met l’accent sur le vaccin) d’assimiler au sort des juifs celui des vaccinés et des porteurs du pass sanitaire. Ce n’est pas le cas en réalité, nous l’avons vu. À ma connaissance dans les images incriminées l’étoile jaune n’est jamais assimilée au pass sanitaire ou au vaccin [6]. Les étoiles jaunes que l’on a vues sur Internet ou dans les manifestations portaient bien toutes la mention « non vacciné ». Supposer le contraire ne correspond donc pas à la réalité. Néanmoins c’est exclusivement sur ce cas fictif du porteur d’une étoile jaune avec indiqué « vacciné » que raisonnent Klarsfeld fils et Kalifat. Ils distinguent ensuite entre les antisémites et les imbéciles.
Les antisémites ce sont ceux qui, quel que soit le degré et la réalité de leur crainte devant le vaccin, seraient, toujours d’après Klarsfeld fils et Kalifat, parfaitement conscients que la souffrance subie par le peuple juif est unique. Par conséquent, en comparant leur situation à celle des juifs, ils banaliseraient la Shoah. Ce serait même leur principal objectif. Ils saisiraient l’occasion d’une manifestation contre le pass sanitaire pour se rendre coupables de cette banalisation. C’est là, autrement dit, leur négationnisme. Même si cette catégorie « d’antivax » se garde bien de douter explicitement du meurtre de six millions de juifs au moyen des chambres à gaz, dans la banalisation la négation est implicite. Klarsfled fils y reconnait « des antisémites qui cherchent à relativiser la souffrance des juifs ». Il rattache à cette catégorie « les cas psychiatriques ». C’est ainsi que, contrairement à Jakubowicz, ces deux auteurs pensent que l’infraction est constituée.
Quant à ceux qui croient sincèrement à un nouveau complot génocidaire parfaitement comparable au précédent, « qui ont, parfois de bonne foi, souvent par ignorance ou bêtise, le sentiment de subir une discrimination de même nature » (Kalifat) que celle subie par les juifs, Klarsfeld fils voit en eux « des imbéciles ». Mais, dirais-je pour ma part, s’ils font référence à la Shoah c’est donc en tant que « lanceurs d’alerte ». Ils pensent éviter que le drame ne se reproduise. Ils ont peut-être d’ailleurs de bonnes raisons de s’inquiéter, qui sait ?
Et lorsque les autorités françaises, qu’elles soient politiques, sanitaires ou morales, sont outrées, parce que le confinement, le vaccin, les tests, les couvre-feux, les interdictions via le pass sanitaire ont pour seul but de sauver des vies, ils répondent, parce qu’ils ont bien appris leurs leçons d’histoire : « Mais les Allemands ne disaient pas autre chose, ne faisaient pas croire autre chose aux populations juives. » Lorsqu’à leur arrivée à Auschwitz ils les faisaient se déshabiller, ils leurs faisaient croire que c’était pour lutter contre le Typhus, parce que le pou qui transmet cette maladie se niche dans les vêtements, alors qu’en réalité ils récupéraient des vêtements dont elles n’auraient plus besoin. Et ils allaient même jusqu’à dire que les chambres à gaz et le Zyklon B c’était pour la désinfection des vêtements tandis que les douches aussi c’était pour l’hygiène. Plus jamais ça. Comme Jakubowicz, Kalifat et Klarsfeld fils reconnaissent donc à ces « imbéciles » de n’être pas négationnistes.
…et pervers
Pour finir, il faut indiquer que Kalifat et Klarsfeld fils avaient commencé leur argumentation avec une hypothèse qui me parait doublement fictive. Non seulement ils supposaient un manifestant porteur d’une étoile jaune avec marqué « vacciné », mais ils envisageaient qu’il soit convaincu (comme eux le sont sans doute) que le pass sanitaire et le vaccin « sauvent des vies ». Dans son for interne, il croit ou il sait que le vaccin et le pass sanitaire sauvent des vies. Et pourtant il compare son sort à celui d’un juif que le port de l’étoile jaune va mener au four crématoire, comme les « 6 millions de juifs partis en fumée dans les crématoires nazis ». On se demande ce que cette personne fait dans les manifestations « antivax ». Mais c’est bien le cas qu’envisage Kalifat pour poser le caractère incomparable du pass sanitaire et de l’étoile jaune. Même idée chez Klarsfeld fils. L’hypothèse est parfaitement absurde. D’ailleurs ils ne s’y attardent pas et envisagent très vite l’hypothèse dont nous avons parlé précédemment.
Conclusion
Après avoir dit tout cela, reste une chose à noter. C’est que les populations israéliennes hostiles aux restrictions sanitaires en Israël ont eu les mêmes réactions que nos « imbéciles », nos « fous », nos « pervers » et nos « antisémites ». En revanche, cela n’a pas soulevé, à ma connaissance, de réaction de la part du CRIF. On me dira que c’est normal, un Français comme Francis Kalifat ne va pas se mêler des affaires intérieures d’un État étranger. Mais je me demande s’il n’y a pas quelque chose à creuser de ce côté-là. Après tout, la France, sa population et son État ont fait plus que collaborer dans le génocide de six millions de juifs. Et que l’on ne nous raconte pas d’histoires. Lorsque les Français dénonçaient les juifs, ils savaient très bien qu’ils les envoyaient dans les camps de la mort. Alors ?
Alors n’inversons pas les rôles. Notre gouvernement actuel est tout juste au-dessus de tous soupçons, il est un ami d’Israël et il protège les juifs de France. Mais sa population ? Peuple coupable qui se laisse si vite entraîner par la frange antisémite de son intelligentsia. N’est-ce pas de la part d’un bourreau une offense supplémentaire à sa victime que de se revendiquer de la souffrance qu’il lui a infligée ? N’est-ce pas cumuler odieusement les deux qualités de coupable et de victime, et priver le juif de tout statut humain possible ?
Je crois que ces Français réfractaires au vaccin et au pass sanitaire n’ont pas encore bien assimilé les leçons de l’Histoire. S’ils ont besoin de s’identifier à quelqu’un, qu’ils s’identifient plutôt aux Palestiniens. Après tout eux aussi sont sur leur terre ancestrale, attachés à leurs racines millénaires, et victimes d’une oppression étrangère depuis près d’un siècle. Voilà une métaphore qui me semble parfaitement adaptée. D’ailleurs chacun sait depuis Netanyahou que le génocide est une idée palestinienne, tout comme c’est une idée française (Drumont, Maurras, etc.). Les non-vaccinés qui refusent le pass sanitaire seront relégués dans des zones, ils ne passeront plus les check-points et seront traités comme ils le méritent. En terroristes.
Damien Viguier
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