Pegasus ou l’ode à l’hypocrisie — Patrick LE HYARIC

Pegasus ou l’ode à l’hypocrisie — Patrick LE HYARIC

L’hypocrisie des puissances occidentales n’a pas de limites. On imagine la tournure qu’auraient pris les évènements suite aux révélations de l’affaire « Pégasus » si au lieu d’Israël c’était la Russie qui était mise en cause. Mais n’oublions pas que les clients de la société NSO Group ne font que suivre la voie tracée par les « grands » de ce monde. Retour sur un texte publié en 2013 suite aux révélations de l’ancien agent américain Edward Snowden, nous rappelant à quel point France et Union européenne restent honteusement inféodés à l’impérium nord-américain.

La mollesse des réactions des institutions européennes et du gouvernement français face à l’ampleur des révélations sur l’espionnage des institutions, des gouvernements, des entreprises, des citoyens par les services secrets nord-américains, signe une nouvelle capitulation devant l’empire. Encore qu’on puisse se demander s’il ne s’agit pas d’une coupable et inquiétante connivence au service des milieux d’affaires occidentaux. La lutte contre le terrorisme ne sert dans cette affaire que de paravent. Comment en effet qualifier autrement une simple convocation de l’ambassadeur des Etats-Unis au Quai d’Orsay ou de mielleuses paroles de protestation, régurgitées de la table du Conseil européen, tandis qu’au Parlement européen, il aura fallu s’armer de patience et de diplomatie pour obtenir une petite majorité pour voter une résolution suspendant temporairement un accord de livraison aux Etats-Unis des données bancaires de tous les citoyens européens, baptisée « SWIFT ». Aucune de ces minuscules réprobations n’a provoqué ni inquiétudes, ni sueurs froides à la Maison-Blanche. Plutôt des spasmes méprisants d’hilarité. Dans le monde étasunien, présenté comme le phare du monde libre, les services secrets déploient, en toute impunité, de grandes oreilles et de grands yeux pour surveiller les téléphones, pénétrer dans les ordinateurs de leurs ressortissants, comme dans ceux des pays dits « amis », installer des micros dans les lieux officiels de représentation de ces pays ou de l’Union européenne auprès de l’ONU à New-York. Le bâtiment du Conseil de l’Union européenne à Bruxelles n’est pas épargné, les téléphones des chefs de gouvernement ou d’état non plus.

On connaissait l’insupportable réalité décrite dans le film baptisé « La vie des autres », montrant comment l’appareil politique de la STASI surveillait les citoyens de l’Allemagne de l’Est. On découvre que les Etats-Unis ne sont pas en reste, sans que cela ne les conduise devant le « tribunal de la démocratie ». Dommage, leur président n’a-t-il pas reçu le prix Nobel de la paix ? L’action vigilante s’impose pourtant. Une telle intrusion dans la vie privée des individus est souvent le prélude à un système anti-démocratique autoritaire et totalitaire. La secrète guerre électronique qui se mène dans les coulisses du monde capitaliste risque donc de se poursuivre avec l’assentiment des dirigeants européens de plus en plus inféodés à ce qui reste de l’impérium nord-américain, à mesure que le monde occidental perd de sa prédominance sur la planète. La guerre électronique est devenue consubstantielle de la nature du système capitaliste qui porte en lui une guerre économique sans merci, dans laquelle les salariés, les assurés sociaux comme les privés d’emplois sont les fantassins et les victimes tout comme les consommateurs. Les services de renseignement nord-américains sont alliés dans leur basse besogne à ceux du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. Si elle n’était pas de totale connivence, on se demande pourquoi la Commission de Bruxelles, si pressée de dresser un procès-verbal pour un prétendu trop perçu de la compagnie maritime corse ou des agriculteurs, ne déclenche aucune procédure d’infraction à la législation communautaire à l’encontre du Royaume-Uni ? M. Barroso sait depuis la fin de l’été que les mêmes services secrets, sous-traitants de la « NSA » au Royaume-Uni ont mené une cyber attaque contre la société de télécommunications belge « Belgacom » qui a cette particularité de gérer les communications des institutions européennes. S’il n’y avait pas connivence on n’aurait pas découvert il y a quelques jours ce monsieur Barroso annonçant avec un grand sourire carnassier qu’il venait de conclure nuitamment et secrètement un accord de libre-échange commercial avec le Canada, pays qui participe aussi à cette funeste entreprise d’espionnage. Et le Conseil européen ne trouve rien à redire à la négociation d’un marché unique transatlantique qui écraserait les droits sociaux et environnementaux, alors que nos entreprises, les élus, les responsables syndicaux et sûrement les négociateurs sont écoutés. Il aurait fallu décider de rompre cette négociation. Il n’est pas trop tard pour le faire.

En vérité, celles et ceux qui ont tenté de faire croire, depuis une trentaine d’années, que la mondialisation serait heureuse, ont trompé tout le monde. C’est d’une violente guerre économique dont il s’agit. Une guerre intra-capitaliste entre gens qui fréquentent les mêmes conseils d’administration où les thèses de la « compétitivité » sont le projet ultime, les mêmes clubs, les mêmes G8 et G20, dans lesquels l’impérialisme nord-américain tente de conserver sa domination dans un monde en plein bouleversement, avec l’émergence de nouveaux pays ou continents. Dans cette guerre c’est le capital multinational qui mène la danse et les morts sur l’autel invisible des puissances d’argent se comptent par millions, privés d’emploi, de juste rémunération du travail, de retraite décente, de protection sociale, voir de manger. On ne peut faire semblant de découvrir ces enjeux. Depuis le siècle dernier, les dirigeants nord-américains dissertent sur leur volonté de disposer de l’arme énergétique ou de l’arme alimentaire. Dans son discours sur l’état de l’union en l’an 2000, le président Clinton assignait à son pays l’objectif de « modeler le monde », après qu’un plan stratégique dit « Total Information Awarness » (TIA) ait défini le projet d’assurer aux Etats-Unis la maîtrise mondiale des contenus et contenants de l’information. Depuis, ces projets ont été démultipliés. Ils se sont donnés des moyens pour contrôler les flux de marchandises dans les grands ports européens et de visiter le cœur de nos entreprises en même temps qu’ils déploient des fonds d’investissements financiers qui prennent le contrôle de certaines entreprises ou se placent en position dominante sur des métiers stratégiques.

Tous les dirigeants européens connaissent cela. Mais contrairement aux apparences, leurs hymne n’est pas « l’ode à la joie », mais plutôt « l’ode à l’hypocrisie ». Voilà qui relègue les propositions de créer « une commission » ou « d’exiger des explications » au rang de la sinistre plaisanterie. Il faut avoir le courage de rompre les négociations transatlantiques, de faire convoquer une réunion du G20 pour traiter d’un monde commun et sortir de la guerre économique et des litanies sur la compétitivité. De même, l’Union européenne ne peut rester intégrée à l’OTAN. Elle doit en sortir et demander sa dissolution. Ces inquiétants événements rappellent l’urgente nécessité de relancer l’action pour le désarmement et la paix. La France doit se doter d’une loi sanctionnant la violation du secret des affaires. L’Union européenne doit inventer une alternative à la domination sur les technologies de l’information et de la communication et créer une agence européenne chargée de la sécurité des réseaux d’information. Voilà un projet commun utile à construire en Europe au lieu de se soumettre aux quatre volontés des multinationales nord-américaines.

»» http://patrick-le-hyaric.fr/big-brother-pour-la-guerre-economique/

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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