Faux-fuyant et vrais fuyards à Bagram
• Une fois de plus, les États-Unis démontrent leur incomparable capacité à fuir à très grande vitesse en abandonnant tout derrière eux, matériels et alliés, après vingt ans de présence sanglante et totalement inutile en Afghanistan. • Certains y verraient un remake de Saigon-1975, mais entretemps le Pentagone a fait d’énormes progrès dans l’art technologique de décamper dans la dynamique d’une couardise sans la moindre gêne. • Au Pentagone, en effet, on a d’autres chats à fouetter : apprendre aux forces les rudiments du wokenisme et la stratégie-LGTBQ. • Il est préférable d’en rire puisque les larmes sont réservées aux victimes d’un passé complètement réécrit par les intellectuels-woke plutôt qu’aux centaines de milliers de morts (pour faire court) qui ont marqué la guerre en Afghanistan. • Personne n’égale la puissante armée des États-Unis dans l’exercice de la lâcheté, de la trahison et de la fuite toute honte bue, bue et re-bue jusqu’à plus-soif. • Le bloc-BAO peut être fier de persister, comme nous-mêmes braves Européens, à considérer les USA comme inspirateur, et aspirateur vers le Trou Noir.
7 juillet 2021 – Les États-Unis ayant choisi comme armes de combat le wokenisme et la LGTBQ dernier modèle, Kaboul suit Saigon dans la poubelle de l’histoire de la modernité-tardive, mêlés à d’autres noms comme, par exemple, Bagdad ou Tripoli. La “Long War”, ou GWOT (“Great War On Terror”) qui devait, en 2001, durer des siècles sinon l’éternité comme l’avaient promis les Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz & Cie, agonisent en déroutes piteuses et de haute technologie symbolisées par l’extraordinaire départ dans la nuit, sans avertir personne, en coupant l’électricité, des forces (?) US de leur plus grande base dans le pays, à Bagram, à éà kilomètres de Kaboul (voir plus loin le rocambolesque retrait, qui fait paraître héroïque la fuite de Saigon de 1975) :
« Les Américains ont quitté la base aérienne de Bagram en Afghanistan après près de 20 ans de présence, en coupant l'électricité et en s'éclipsant dans la nuit sans prévenir le nouveau commandant afghan de la base, qui a découvert le départ des Américains plus de deux heures après leur départ, selon des responsables militaires afghans. »
« “Nous avons entendu des ‘rumeurs’ selon lesquelles les Américains avaient quitté Bagram… et finalement, à sept heures du matin, nous avons compris que c’était confirmé” a déclaré mardi à l'Associated Press le nouveau commandant de la base, le général Mir Asadullah Kohistani. L'électricité avait été coupée et les Américains étaient partis depuis plus de deux heures lorsque les nouveaux gardiens de la base sont arrivés vendredi… »
Le Directeur Général du Conseil Russe des Affaires Internationales Andrei Kortunov, a expliqué à Tass, avec le sérieux rationnel de l’expert qui peine à cacher la couardise-bouffe, la triste situation de l’hyperpuissance, ainsi mise à nue par la déroute presque organisée comme un film-catastrophe d’Hollywood, – et désormais éclatante comme un symbole de plus de la Chute :
« A mon avis, la situation évolue selon un scénario défavorable pour les États-Unis. Les tentatives de s’appuyer sur certaines forces opposées aux talibans, notamment dans le nord de l'Afghanistan, s’évaporent en fumée. Tant qu’à présent, la situation évolue vers une défaite humiliante des États-Unis et de l’ensemble du contingent de l'OTAN présent sur place”, a souligné l'expert.
» “Selon toute apparence, l'offensive des talibans se déroule beaucoup plus rapidement que prévu”, a-t-il ajouté.
» Au fur et à mesure que les talibans progressent, il est de plus en plus probable qu'un “changement radical de pouvoir” aura lieu en Afghanistan et “qu’il n’y aura pas de gouvernement de coalition, les talibans entrant tout simplement à Kaboul et s'emparant du pays”, a déclaré Kortunov.
» “Les États-Unis n'ont pas réussi à trouver un compromis avec les talibans, qui se considèrent comme les gagnants de cette guerre. Le gouvernement de Kaboul et le groupe des talibans ne sont pas encore prêts à faire des concessions considérables. La date du retrait des troupes américaines a été annoncée. En ce sens, les États-Unis ont perdu leur levier d’influence sur les Talibans qu'ils avaient auparavant’, a noté l’expert. »
Bagram figurera donc avec Saigon, dans la longue liste des grandes heures de l’armée US, qui allaient jusqu’ici du Bois-Belleau à Guadalcanal, à Tarawa, à Bastogne et au débarquement d’Inchon en Corée en 1950. La puissance militaire US a ainsi basculé, parfait mouvement d’inversion, de la liste des victoires à celle des défaites humiliantes ; au plus, on dirait qu’elle a gagné en puissance et en lourdeur mécaniques, en lenteur et en complexité technologiques, en arrogance d’un hybris dévoyé et en illégalités diverses, en inculture triomphante et en bêtise bureaucratique. Effectivement, elle est mûre pour le wokenisme et les légions des LGTBQ.
La déroute trouillarde et forcenée de Bagram s’est passée il y a quelques jours et le récit qui en ressort sonne comme un fantastique symbole d’un non moins fantastique simulacre qu’on ne cesse de faire sonner aux sourdes oreilles des assemblées moutonnières de l’OTAN et de l’UE, exaltant la puissance US qui protège la liberté comme la torche de la Grande Statue éclaire le monde depuis près d’un siècle pour nous montrer désormais ses villes laissées aux émeutes de fortune…
Mais l’électricité fut brusquement coupée à Bagram dans cette nuit de jeudi dernier, et le récit poursuit la citation faite plus haut de la surprise des chefs locaux des troupes gouvernementales afghanes… Avec un allié comme les Ricains, pas besoin d’ennemi, les amis !
Lisez le compte-rendu (à partir d’un long récit de AP) du “transfert” de la base de Bagram des forces US à leurs alliés des forces du gouvernement afghan. On hésite entre la gravité de la tragédie et les circonstances de son aspect bouffe [tragédie-bouffe] qui émaillent désormais tous les actes de l’américanisme :
« … Cette décision [de retrait US] a pris les forces afghanes locales tellement au dépourvu que rien n’a pu être fait contre des pillages qui ont immédiatement eu lieu dès que la base non sécurisée a été désertée par les forces US.
» Le commandant afghan de la région n'avait entendu que des “rumeurs” sur le départ imminent des Américains de l'aérodrome, mais il a vite compris que c’était déjà un fait accompli.
» C'est alors que la scène suivante, presque incroyable, s’est déroulée, mettant fin à la plus longue guerre de l'histoire des Etats-Unis :
» “Avant que l'armée afghane ne puisse prendre le contrôle, la base aérienne, situé à une heure de route à peine de la capitale afghane Kaboul, a été envahi par une petite armée de pillards, qui ont saccagé baraquement après baraquement et fouillé dans des tentes de stockage géantes avant d'être expulsés, selon des responsables militaires afghans.
» ”‘Au début, nous avons pensé que c'était peut-être des talibans’, a déclaré Abdul Raouf, soldat dans l’armée afghane depuis 10 ans. Il a dit que les Américains ont appelé une fois qu’ils se trouvaient à l’aéroport de Kaboul pour quitter le pays et ont simplement dit ‘Nous sommes à l’aéroport de Kaboul’.”
» Cela s’est passé il y a plusieurs jours, mais on ne l'apprend que maintenant. Un soldat afghan cité par AP a déclaré : “En une nuit, en partant comme ils l’ont fait, ils ont perdu toute notre bonne volonté établie durant les 20 dernières années”.
» D’autres détails sont rapportés :
» “L’obscurité soudaine [due à la coupure de l’électricité] a été comme un signal pour les pillards. Ils sont entrés par le nord, franchissant la première barrière, saccageant les bâtiments, chargeant dans des camions tout ce qui n'était pas cloué au sol.
» ”Lundi, trois jours après le départ des Américains, les soldats afghans ramassaient encore des piles de déchets, dont des bouteilles d'eau vides, des canettes et des boissons énergétiques vides laissées par les pillards.” »
La question se pose désormais du sort de la base de Bagram, qui devrait être le principal objectif stratégique des talibans, à partir duquel ils pourraient directement menacer Kaboul. Les chefs militaires afghans, revenus de leur surprise et revenus à Bagram, font contre très mauvaise fortune bon cœur en affirmant qu’ils pourront tenir :
« Malgré le brusque départ des États-Unis, le général Kohistani a insisté sur le fait que l’armée afghane serait en mesure de tenir la base malgré une recrudescence des succès remportés par les talibans sur le champ de bataille. Encore ne parle-t-on pas des 5 000 prisonniers détenus à Bagram, dont la plupart sont supposés être des talibans ou des associés, et qui n'hésiteraient probablement pas à se battre contre l’armée qui les a gardés enfermés.
» Nombre d’entre eux ont passé des années dans cette prison sur la base d’allégations ténues, souvent formulées par des accusateurs espérant échapper eux-mêmes à la torture ou à l’emprisonnement. Le fonctionnement de l’établissement a été confié aux Afghans en 2012, mais cela n’a rien changé à l’évocation effrayante que le nom a pour beaucoup de ceux qui vivent encore à proximité. »
Et pour clore cet incroyable chapitre de la déroute et de l’abandon de Bagram par “la plus puissante armée du monde” (et de loin), sans combattre, sans avertir personne, comme des traîtres et des voleurs, quelques détails des restes du festin laissé par les vermines. On voit que le souci du détail, la tentaculaire connerie de la bureaucratie moderniste-tardive du Pentagone (et des fidèles alliés de l’OTAN, plus LGTBQ que jamais), sont à leur zénith, brillant de mille feux malgré la coupure de l’électricité, – et que le dernier à partir “tire la chasse”…
« Les Américains n’ont cependant pas tout à fait laissé “rien” derrière eux. Lundi, le général Kohistani a montré aux journalistes une installation “de la taille d'une petite ville” qui avait été utilisée exclusivement par les États-Unis et l’OTAN pendant l’occupation. Le “rien” laissé derrière eux comprenait 3,5 millions de petits objets, tous soigneusement enregistrés par l'armée américaine, a-t-il déclaré, – “petits objets” signifiant même poignées de porte, vitres de fenêtres, plats cuisinés et autres détails.
» Ils ont également laissé des voitures et des véhicules blindés trop grands pour être transportés, – mais sans clés pour les démarrer, – et ont fait exploser les munitions restantes pour les armes qui n’ont pas été laissées à l’armée afghane. »
Pendant ce temps, les autres puissances se mettent en position ; pas celles de l’OTAN, bien entendu, qui n’ont nulle position à faire valoir, sinon prendre la poudre d’escampette comme c’est la règle dans toute basse-cour. Voyons donc la Russie et la Chine :
• Poutine a « confirmé que Moscou était prête à fournir au Tadjikistan le soutien nécessaire après sa conversation téléphonique avec le président tadjik Emomali Rahmon… [Cela] indique que la situation critique de ce pays membre de la Communauté des États indépendants (CEI) (dont les membres représentent plus de 240 millions de personnes en Eurasie) s'est aggravée après que plus de 1 000 soldats du gouvernement afghan se sont réfugiés dans le pays pour se protéger des forces talibanes, ce qui a amené le Tadjikistan à mobiliser 20 000 réservistes pour renforcer sa frontière avec l'Afghanistan. »
• La Russie se prépare à tenir son rôle qui est celui de travailler pour sécuriser comme elle le peut la région, en présence prochaine d’un Afghanistan qui passera selon toute probabilité sous domination talibane. Elle doit profiter du vide laissé pour l’instant par les États-Unis, ce vide impliquant pour un temps une absence d’initiative de subversion contre la Russie, l’alternative naturelle de l’activisme des USA lorsqu’ils ont essuyé une bonne raclée ; mais les raclées étant de plus en plus “bonnes”, le vide ne cesse de grandir et la subversion est à mesure.
• Les Chinois, de leur côté, jouent leur jeu habituel, complémentaire du russe : proposer des aides financières et des investissements. Pour l’Afghanistan dés-américanisée, c’est une première initiative de $62 milliards « pour l’intégrer au bloc commercial “Belt and Road” afin d'améliorer la vie de son peuple fatigué par la guerre »… Tout cela dépendant évidemment de la situation et de la position des talibans.
Vingt ans après…
D’une certaine façon, Rumsfeld est mort à temps, la veille de la déroute de Bagram, s’épargnant le spectacle obscène et grotesque de l’immonde poudre d’escampette. C’est lui qui avait inauguré le 7 octobre 2001 la “Longue Guerre” sinon la “guerre éternelle”, en lançant ses B-52 sur l’Afghanistan, façonnant une victoire ultra-rapide sur terre de seigneurs de la guerre afghans, cruels et corrompus, subventionnés par les fonctionnaires et les tortionnaires la CIA ; l’ensemble si humaniste écrasant irrésistiblement les talibans à la satisfaction des foules féministes-LGTBQ comme une victoire de la modernité sur l’obscurantisme. Rumsfeld le philosophe du “unknown unknowns” se plaignait courant novembre 2001 après l’écrasement du pays par les B-52 (118 bombes de 250 kilos chacun) de « manquer d’objectifs ».
La modernité n’était pas encore tardive, s’imaginaient les dirigeants américanistes, – elle l’est désormais, tardive, rouillée, réduite dans la poussière laissée par les GI’s détalant en bon ordre, comme des hordes de lapins trouillards, obéissant aux ordres comme des robots transhumanistes de Google et de Facebook.
RIP Rumsfeld car il en est ainsi… Bagram et sa chute ignoble forment un acte symbolique de grand poids, d’un poids énorme, qui marque de son empreinte dérisoire et furieuse le naufrage continué du Pentagone, anciennement “Moby Dick” devenue “Titanic”, et de Washington D.C. sous Biden et le reste. La communication se chargera de monter un spectacle pour cette société qui ne croit plus un mot du dialogue de la pièce et devant une salle vide : « Le porte-parole militaire américain, le colonel Sonny Leggett, a insisté auprès de ceux qui se sont plaints que “le transfert des nombreuses bases” était en cours depuis l'annonce par le président Joe Biden, à la mi-avril, du départ des États-Unis du pays. Il a ajouté que les Américains “avaient coordonné leur départ avec les dirigeants afghans“, selon l’AP. » (“Pas au courant”, disent les Afghans.)
Le Pentagone se retrouve dans ses murs, assurés de l’obésité de sa bonne consciences, sans rien voir de ce degré franchi de plus dans l’effondrement du “Trou Noir” postmoderne que représente le destin de l’américanisme. Cet aveuglement est essentiellement due à l’incapacité d’un monstre systémique comme le Pentagone, bouffi de bureaucratie, à distinguer la finesse et l’ampleur des effets de ce qu’est un symbole. Or, Bagram est sans le moindre doute destinée à devenir un symbole ; symbole d’une guerre de l’impuissance, symbole d’une inhumanité totale dans la conduite de cette sorte de conflit.
L’événement-Bagram devient un symbole effectivement comme le fut Saigon-1975, le 30 avril 1975, avec les images de ces gens (les Vietnamiens pro-US) embarquant à bord des hélicoptères sur le toit de l’ambassade US ; avec les hélicoptères posés sur les porte-avions au large de Saigon, et qu’on jette à la mer pour laisser de la place à d’autres qui arrivent.
Le symbole Saigon-1975 fut un formidable accélérateur de la crise intérieure US. Jusqu’alors, cette crise s’était concentrée autour du scandale du Watergate et du départ de Nixon ; à partir du 30 avril 1975 et de ce que hurla soudain ce symptôme de l’humiliation des USA, au travers d’une communication impitoyable, la crise devint générale, s’élargissant à la mise en cause de la CIA, à la crise de l’armée (“the hollow Army”, structurellement dévastée par le conflit vietnamien), à la crise de toute la communauté de sécurité nationale. La susdite crise devint une crise de confiance aboutissant à l’élection de l’improbable Jimmy Carter.
(On notera que, cette fois, pour la déroute de Bagram, le Pentagone a pris la précaution d’accoucher de son symbole de nuit, en coupant l’électricité, – différence d’avec Saigon. Donc, pas d’images pour l’instant, mais des détails croustillants… Et puis, ce n’est peut-être qu’un début, il faudra voir ce qui se passera à Kaboul, du côté de l’ambassade US, lorsque les talibans prendront Kaboul, ce qui paraît être dans la feuille de route de cette terrible “guerre de vingt ans” en Afghanistan.)
Il faut attendre que l’humiliation terrible de Bagram-2021 inévitablement prise comme symbole de l’humiliation des USA, s’ajoute à une crise intérieure infiniment plus grave que celle d’un homme (Nixon) et d’un scandale (le Watergate, d’ailleurs fabriquée), avec les troubles intérieurs du wokenisme, une présidence chancelante entre un président sénile et une direction déchirée, un parti démocrate pris de folie. C’est-à-dire qu’on se trouve devant la perspective d’une nouvelle accélération de la Grande Crise dont la matrice est la crise de l’américanisme, cette fois avec en supplément une interrogation profonde à la fois de la politiqueSystème des guerres extérieures, à la fois des capacités militaires d’ores et déjà profondément secouées par la purge insensée imposée par le wokenisme.
Ils auront, le 11 septembre prochain, à fêter le vingtième anniversaire. Il n’y aura aucune cérémonie à Bagram.
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org