Chaque année, des dizaines de milliers de macaques capturés dans le sud-est asiatique sont expédiés vers des laboratoires occidentaux. Parmi les grandes compagnies aériennes, seule Air France continue de les transporter …
Les macaques utilisés dans la recherche sont principalement des macaques rhésus et des macaques crabiers (à longue queue). Parmi les principaux fournisseurs, on trouve des pays tels que la Chine, l’île Maurice, le Vietnam, le Laos, le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines …, chacun d’eux exportant plusieurs milliers de singes chaque année. Quant aux pays destinataires, il sont essentiellement européens et nord-américains (Etats-unis, Canada, France, Angleterre, Allemagne, Espagne …)(1,2,3,4).
Dans les pays fournisseurs, les macaques sont généralement capturés par des villageois puis vendus à des fermes d’élevage. Pour ces animaux habitués à vivre en liberté, le choc est brutal. Une thèse vétérinaire écrite en 2005 décrit les différents facteurs de stress au sein de ces élevages : isolement en cage individuelle, regroupement d’individus provenant de groupes sociaux différents, séparation mère-enfant, proximité humaine, manipulations douloureuses (dont le test tuberculinique qui requiert d’insérer une aiguille dans la paupière du singe). Un stress générateur de maladies graves (infections gastro-intestinales notamment) et de taux de mortalité importants (5).
Plusieurs enquêtes menées en caméra cachée par des associations de protection animale (Cruelty Free International – ex BUAV – à l’île Maurice et au Laos en 2012, Animal Defenders International et la National Anti Vivisection Society à l’île Maurice en 2014 ou encore One Voice au Cambodge en 2016), ont permis de révéler au grand public l’enfer de ces élevages. On y voit des macaques isolés dans de petites cages sans confort (dont des ’très jeunes’ visiblement séparés de leur mère), des animaux manipulés brutalement (par le personnel sur place), des cadavres gisant sur le sol au milieu de leurs congénères (ou entassés dans des seaux-poubelles …) (6,7,8,9,10).
D’autres enquêtes menées dans les laboratoires destinataires ont rapporté des faits encore plus terrifiants. Aux Etats-unis, des enquêteurs de Peta ont notamment pu filmer des sévices graves au sein des laboratoires Covance, SNBL ou encore Charles River. Parmi eux, citons : des conditions de détention pénibles (cages individuelles sans enrichissement), des expériences scientifiques barbares (animaux entubés de force pour le gavage ou attachés pendant des heures à des chaises pendant l’injection de drogues), des actes de brutalités (singes frappés, étranglés ou projetés violemment hors de leur cage) ou encore des actes de négligence (blessures/fractures non soignées, douleurs postopératoires insuffisamment soulagées) (11,12).
Outre la mauvaise publicité faite à ces laboratoires, les enquêtes de Peta ont permis de déboucher sur quelques condamnations en justice notables : 43 900 $ d’amende pour SNBL aux Etats-Unis, 290 000 $ pour Covance en Angleterre … Parallèlement, certaines associations (Peta aux Etats-unis, Cruelty Free en Angleterre, One Voice en France) ont lancé des campagnes de pression (envoi de mails) pour demander aux grandes compagnies aériennes mondiales (Delta Airlines, American Airlines, United Airlines, Lufthansa, Air France, British Airways, Air Canada, China Southern et Eastern Airlines, Air China) d’arrêter le transport de primates. A ce jour, toutes ont accepté. Toutes sauf une : Air France (13,14,15).
Régulièrement relancée par ces associations, Air France se défend en avançant que « l’utilisation des primates à des fins de recherche est décisive dans de nombreux domaines médicaux (travaux sur les maladies de Parkinson, d’Alzheimer, la dépression, l’addiction à l’alcool, le VIH, le paludisme et l’hépatite C, ndr) » et en renvoyant à la directive européenne de 2010 (2010/63/UE) selon laquelle : « l’utilisation d’animaux vivants est nécessaire pour protéger la santé humaine et animale ainsi que l’environnement ». Sauf que … (16,17)
La directive en question mentionne aussi spécifiquement le cas des primates, précisant que « leur capture à l’état sauvage est très stressante pour eux … » et qu’il convient que ces animaux « ne soient pas utilisés dans des procédures » (article 9, paragraphe 1). Un point que la compagnie aérienne se permet d’omettre car il est en réalité peu précis et contraignant (calendrier de mise en oeuvre flou, possibilité de dérogations …). D’ailleurs, onze ans après la publication de la directive et huit ans après sa transposition en droit national (2013), le point sus-cité est toujours en suspend dans la loi française (cf article R214-90) (18,19,20).
Aujourd’hui, si nombre d’organismes (chercheurs) justifient toujours l’utilisation de primates dans certains domaines (neurosciences par exemple), en mettant en avant les similitudes (structurelles, comportementales, neurobiologiques …) avec notre espèce, d’autres clament au contraire qu’ils ne constituent pas un bon modèle (transposable à l’homme) et que leur utilisation en recherche a rarement fait avancer la science (Cf le rapport de 2011 publié par la National Academy of Sciences/Institute of Medicine, celui de 2013 publié par les National Institutes of Health (NIH), les rapports d’Antidote Europe). (21,22,23,24)
Une autre question, et pas des moindres, concerne la présence même de ces animaux en laboratoire. Dans la nature, les macaques crabiers et rhésus vivent dans les forêts tropicales, près de l’eau, au sein de groupes comptant plusieurs dizaines d’individus. Ils se déplacent en groupe (jusqu’à 1,5 km par jour) et dorment blottis les uns contre les autres. Leur vie sociale, complexe, comprend des situations d’entraide (pour l’éducation des plus jeunes), de socialisation (toilettage mutuel) et même de jeu. L’instinct maternel est très fort (les petits sont allaités pendant près d’un an), de même que l’attachement au groupe (les femelles y restent toute leur vie). Capables de communiquer (leurs émotions, intentions) via un vaste panel de gestes, cris et mimiques, ces primates sont en outre dotés de capacités cognitives avancées (calcul, anticipation). (25,26,27,28,29,30,31,32,33,34)
Comment, dès lors, ne pas considérer leur enfermement à vie (dans des cages d’un ou deux mètres carrés) comme un véritable crève-cœur ? Et cela sans même parler des expériences cruelles que ces animaux doivent parfois subir (cf encore récemment, l’enquête d’Animal Testing dans les laboratoires parisiens avec des macaques intoxiqués au MPTP). Aujourd’hui, plusieurs pays (Europe, Etats-unis) ont interdit (ou très sévèrement restreint) l’expérimentation sur les grands singes (bonobos, chimpanzés, gorilles, orangs-outans). Pour ces animaux dits « évolués », la raison éthique l’a finalement emporté sur les considérations scientifiques. (35,36,37)
Les autres animaux, eux, ne bénéficient pas de la même clémence. Or, si les macaques, lapins, souris ne disposent pas forcément du même degré d’intelligence (ou de proximité avec l’humain) que les grands singes, ils n’en demeurent pas moins des êtres sentients (sensibles), ressentant la peur, le stress, la souffrance physique et psychologique … Des critères probablement plus pertinents que l’intelligence (ou que la seule intelligence) pour juger de nos obligations envers ces espèces. A quand l’élargissement de nos considérations éthiques à l’ensemble des être sentients ? A quand la fin de l’expérimentation animale ?
Références
(1) Les élevages de primates à Maurice
(2) Elevages de primates au Cambodge
(3) Les élevages de primates au Laos
(6) Cruelty Free International, Cambodge, 2008
(7) Cruelty Free International, Ile Maurice, 2012
(8) Animal Defenders International (ADI) – National Anti Vivisection Society, Ile Maurice, 2014 (8.1) (8.2) (8.4)
(10) One Voice, Cambodge, 2016 (10.1) (10.2)
(11) Peta : enquête au Shin Nippon Biomedical Laboratories (SNBL)
(13) Condamnation de Covance en Angleterre … et aux Etats-unis
(14) L’appel de One Voice et Cruelty Free International à Air France
(15) L’appel de Peta à Air France
(16) Action de Last Chance For Animals contre Air France à Los Angeles en 2013 & réponse de Air France
(17) Happening de One Voice contre Air France à Paris en 2017
(18) Directive 2010/63/UE
(20) Article R214-90 (dernière mise à jour par le décret du 17 mars 2020)
(21) L’utilisation des animaux en recherche : les primates
(23) Les US National Institutes of Health (NIH) reconnaissent que « l’utilisation de chimpanzés en recherche biomédicale est la plupart du temps non nécessaire » (2011) et retirent les chimpanzés de leurs projets de recherche (2013)
(24) Antidote Europe : « Doit-on encore expérimenter sur des singes ? »
(25) Les macaques suivent le regard des autres
(26) Les macaques peuvent additionner et soustraire
(27) Des macaques volent les touristes pour ensuite négocier de la nourriture
(28) Les macaques enseignent le vol à la tire à leurs petits
(29) Les macaques ont le sens de la justice et de l’équité
(31) Les macaques rhésus éprouvent des regrets lorsqu’ils font de mauvais choix
(32) Les macaques (rhésus) se reconnaissent dans un miroir (test de la conscience de soi)
(33) Les macaques sont empathiques et cette empathie influence leurs décisions sociales
(34) Les macaques adaptent leurs réponses face à des situations nouvelles
(35) Enquête d’Animal Testing dans les laboratoires parisiens
(36) Un lanceur d’alerte filme des actes de cruauté au sein d’un laboratoire espagnol
(37) Interdiction d’expérimenter sur les grands singes évoquée à l’article 8 de la directive 2010/63/UE
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir