Lors d’une opération pour stopper la free party de Redon, des gendarmes ont détruit enceintes, tables de mixages et platines. Des actes réalisés hors de tout cadre juridique.
par Alexandre Hornpublié le 23 juin 2021 à 14h55
Question posée par Eric le 20/06/21.
Bonjour,
Votre question porte sur l’opération de gendarmerie qui a eu lieu à Redon samedi. Elle visait à interrompre la rave party qui avait lieu depuis la veille dans un champ de la commune d’Ille-et-Vilaine. Dès le vendredi soir, les forces de l’ordre ont tenté de déloger les fêtards, sans succès. Les échauffourées ont fait plusieurs blessés, chez les gendarmes et chez les teufeurs : un jeune homme a notamment perdu sa main dans l’explosion d’une grenade. La fête a toutefois débuté samedi matin.
C’est plus tard dans la journée de samedi que les gendarmes ont donné l’assaut, vers 17 heures. Une intervention qui a duré moins d’une heure. «Ils sont arrivés très soudainement, les premières lacrymos ont été lancées quand le son tournait encore», raconte à CheckNews Victor Lacroix, président de l’association culturelle Media’son. Ce dernier, présent à la rave, a diffusé en direct l’intervention sur la page Facebook de Media’son.
«Ils ont d’abord gazé les gens pour arriver aux installations, accéder au matériel, et ensuite ils ont procédé à une destruction minutieuse à coups de masse, de pied de biche, de cutter. Ce n’était pas un groupe isolé, c’était systématique.» Checknews a pu consulter une dizaine de vidéos et une vingtaine de photos des faits. On y voit des gendarmes en train de détruire le matériel de sonorisation, cassant méthodiquement amplis, tables de mixages et platines avec divers objets. Parfois simplement à coups de pied. On peut même observer un gendarme taper à la masse sur un groupe électrogène. Même les photos partagées dans un tweet du ministère de l’Intérieur montrent des appareils avec des traces de coups.
Le préjudice est encore en cours d’évaluation mais se chiffrerait d’ores et déjà à plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon Victor Lacroix. Pendant qu’il filme des gendarmes en train de détruire des appareils sous une tente, on peut entendre ce dernier s’interroger : «On n’est pas sur une saisie, je ne sais pas s’il y a des textes de loi qui prévoient ce genre de procédure.»
Des destructions sans cadre juridique
En cas d’évacuation, le sort du matériel de sonorisation des rave parties est précisément encadré par l’article L211-15 du code de la sécurité intérieure. Lionel Crusoé, avocat au barreau de Paris, explique : «Ce texte-là prévoit très clairement que les officiers de police judiciaire et les agents peuvent saisir le matériel utilisé. Et ce en vue de la confiscation par le tribunal qui peut être d’une durée maximale de 6 mois. Si on parle de saisie et de matériel qui peut être conservé, il faut en déduire qu’il n’est pas possible de le détruire d’emblée, surtout au cours de l’opération.»
Les articles 41-4 et 41-5 du code de procédure pénale encadrent plus généralement les procédures de destruction de biens saisis. Mais comme l’explique Lionel Crusoé, l’existence d’un texte spécifique pour les rave parties écarte les dispositions générales : «Le deuxième alinéa de l’article 41-4 prévoit la possibilité de détruire les biens uniquement lorsqu’une disposition particulière le prévoit. Or l’article L211-15 ne prévoit que la saisie, pas de destruction. Ce qui confirme que la destruction était impossible dans ce cas de figure.»
A qui la faute ?
Qui a donc donné l’ordre de détruire le matériel, en dehors de tout cadre juridique ? Contacté par CheckNews, le procureur de la République de Rennes se dédouane de toute instruction en ce sens : «Les gendarmes ont procédé sur instruction du parquet à la saisie conservatoire d’une platine, trois tables de mixage et trois amplificateurs. Les recherches pour identifier les propriétaires de ces biens se poursuivent. Aucune instruction du parquet de Rennes n’a été donnée au-delà.» Une quantité de matériel saisie largement inférieure, en nombre, par rapport aux dizaines d’amplis détruits dans les différentes vidéos.
De côté de la préfecture, la situation est plus nébuleuse. Le préfet d’Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier, s’est d’abord targué samedi soir d’une mission réussie, comme rapporté dans un article de Ouest-France. Interrogé par le journal sur la destruction du matériel, ce dernier répond que «les gendarmes sont intervenus dans des conditions difficiles, l’objectif était de neutraliser le son, il a été atteint». Joint par CheckNews, Emmanuel Berthier affirme dorénavant qu’il n’a «donné aucun ordre de destruction de matériel. La Justice se prononcera, si elle est saisie d’éventuels contentieux».
Selon l’AFP, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a également suivi «de très près la situation», en échangeant régulièrement avec la préfecture. Contacté par CheckNews, le cabinet du ministre de l’Intérieur n’a pas donné plus d’information sur les directives données au préfet d’Ille-et-Vilaine.
Pour l’exécutif, «des moyens adaptés aux circonstances»
La dernière version en date est un communiqué commun de la direction générale de la gendarmerie et de la préfecture d’Ille-et-Vilaine. Ce dernier pointe un contexte difficile et reste pour le moins flou sur les ordres donnés aux agents déployés sur place : «L’instruction de faire cesser cet événement a été donnée, afin d’abord de protéger les participants et de les inciter à quitter les lieux pour mettre fin aux troubles à l’ordre public. L’opération menée dans des conditions de sécurité optimales a permis rapidement d’interrompre la diffusion de son en employant des moyens adaptés aux circonstances. Certains systèmes de son ont pu être saisis, d’autres ont dû être rendus inopérants.» Le communiqué ne précise toujours pas le cadre légal dans lequel les destructions ont été menées. Interrogées sur le sujet, la préfecture et la direction de la gendarmerie n’évoquent aucune saisine de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale par rapport aux destructions menées.
Lionel Crusoé rappelle que les propriétaires du matériel peuvent engager une action contre l’Etat pour obtenir réparation des préjudices occasionnés. «L’absence de déclaration du rassemblement et le refus de dispersion ne font pas obstacle à la saisine du juge pour obtenir l’indemnisation des dommages matériels ainsi subis», précise-t-il. Victor Lacroix rapporte que plusieurs victimes, teufeurs et entreprises de locations, comptent justement porter plainte.
Source : Libération
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