Blanche en terrasse, Lamontagne en terroir

Blanche en terrasse, Lamontagne en terroir

Voilà la chaleur de l’été qui s’installe. Quelle joie de pouvoir à nouveau profiter des terrasses récemment « déconfinées » ou simplement de nos balcons. J’étais justement en train de bénéficier du soleil dans ma cour arrière lorsque j’ai eu l’idée de cette chronique. Quelqu’un qui connait bien mes affinités avec la poésie québécoise venait de m’offrir une bière aux accents de pamplemousse, la Blanche Lamontagne. Je me suis alors demandé qui, parmi les amateurs de bière, connait l’identité de Blanche Lamontagne? Je vous propose ici de la découvrir.

Sur l’étiquette de cette bière brassée par la microbrasserie gaspésienne Pit Caribou, on peut lire : « Inspirée par le poème Ma Gaspésie de Blanche Lamontagne, première femme poète québécoise à signer de son nom (sans un pseudonyme masculin). Une montagne porte son nom dans le Parc de la Gaspésie. »

Voilà un bel hommage et le début d’une piste sur l’identité de cette femme, mais laissez-moi quand même rectifier et ajouter un peu de corps à cette description. 

Qui est Blanche Lamontagne ?

Blanche Lamontagne fait effectivement figure de pionnière dans le domaine des lettres.

Elle est parmi les premières femmes de lettres à signer de son nom complet et véritable, mais sachez que les quelques femmes qui publient de la poésie en recueil avant elle signaient d’un pseudonyme féminin – et non pas masculin. En outre, dans la perspective peu courante de faire carrière, Lamontagne publie beaucoup : sept recueils de poésie et quelques œuvres en prose (essentiellement des récits et des légendes, mais également un roman et un livret d’opéra). Enfin, elle jouit d’une grande popularité en ses débuts, ce qui contribue aussi à faire d’elle une figure extraordinaire de notre littérature.  

Blanche Lamontagne n’a pas inventé La Gaspésie pour la chanter et soutenir une thèse, elle l’a bel et bien vécue.

J’entends certains d’entre vous, plus connaisseurs, me rétorquer qu’il n’y a là rien d’étonnant puisqu’elle s’est inscrite dans la visée idéologique de certains acteurs littéraires puissants de son temps. Vous avez raison. Sa poésie s’inscrit dans un programme, celui du régionalisme, celui de la valorisation de la terre, du passé et de la religion. Pour cette raison certainement, Blanche Lamontagne est aujourd’hui quelque chose comme la risée des littéraires. Quelque part, les modernes que nous sommes (moi la première) lèvent le nez et prennent un air entendu lorsqu’il est question de cette poète : ce n’est pas de l’Art avec un grand A !

Que reste-t-il de Blanche Lamontagne ? 

Je vous invite toutefois aujourd’hui à aller au-delà des préjugés. Si Blanche Lamontagne est devenue la chantre de ce courant poétique (pour le meilleur et pour le pire), c’est bien parce qu’on a reconnu une forme d’authenticité dans sa poésie. Blanche Lamontagne n’a pas inventé la Gaspésie pour la chanter et soutenir une thèse, elle l’a bel et bien vécue. D’ailleurs, son travail sur les contes et légendes de sa région témoigne de cette véracité, de ce désir de transmettre une tradition qui est sienne. 

Entendez-moi bien, il ne s’agit pas de surestimer cette œuvre. Sur le plan de la forme, la poésie de Lamontagne n’innove pas et se révèle souvent maladroite. Sur le plan du fond, certaines finales au ton moralisateur apparaissent plaquées et l’auteure ne se renouvèle malheureusement pas avec le temps.

Blanche en terrasse, Lamontagne en terroir

Néanmoins, il faut rendre justice à cette femme dont le succès (bien que déclinant en fin de carrière) a certainement été justifié par cette authenticité (au-delà des appuis en haut lieu). Une femme dont l’œuvre marque une époque.

Il s’agit d’une époque où les clivages entre les différentes allégeances littéraires n’étaient pas si tranchés qu’on peut le penser (dans les débuts de l’œuvre du moins) et où l’art pour l’art n’était pas chose courante. J’ajoute que c’est là une belle ironie que d’avoir fait de cette femme (une femme !) la chantre de la tradition alors que son parcours est si peu conforme au rôle traditionnel féminin.  

Mais tout cela justifie-t-il un intérêt pour ses textes aujourd’hui ?

Renouveler… avec du vieux !

Je vous invite à aller écouter Soir, l’interprétation musicale que fait Catherine Lefrançois d’un poème de Lamontagne. Vous serez certainement étonnés de la façon dont cette musicienne de Québec redonne vie à ce poème en 2021.

Je pense que Catherine Lefrançois a bien compris le pouvoir évocateur de la poésie de Lamontagne. Vous remarquerez d’abord que la vidéo préparée par la musicienne est faite à partir d’images d’une autre époque. J’attire également votre attention sur les accents country westerns de la chanson. L’influence de ce genre musical n’est pas anodine quand on sait que dès le début de ses grandes années de popularité au Québec (les années 1940), le genre se caractérise par l’expression d’une nostalgie, nostalgie d’une vie rurale idéalisée. 

Dans la conscience de cette tradition country westerns québécoise, cette brillante interprétation chant-guitare saisit et met en valeur la nostalgie contenue dans les poèmes de Blanche Lamontagne. 

« O couples de jadis qui, par des soirs semblables,
Savouriez les serments dont vous étiez liés […]
Et vous venez sans bruit, à travers les charmilles,
Pour revoir les lieux où vous avez aimé… »

Car s’il y a quelque chose qui traverse cette poésie, c’est bel et bien ce thème du temps et de la vie qui passe. (Voilà d’ailleurs un thème bien universel qui ne commence ni ne finit avec le régionalisme !) 

Écouter « Soir »c’est prendre la mesure de ce qui n’est plus. À travers sa mise en musique, ce poème transmet encore ce sentiment de façon puissante, me semble-t-il.

« Et quand les gais amants par les nuits étoilées,
En silence, dans le jardin viennent s’assoir,
Je vois passer votre ombre aux détours des allées,
Et je sais que votre âme flotte en l’air du soir ! »

Alors, quand viendra la prochaine soirée chaude de l’été, de préférence dehors, près des charmilles, je vous invite à prêter l’oreille à cette poésie chantée. Parce qu’elle nous rappelle qu’aujourd’hui s’enracine dans un passé auquel nous sommes toujours liés quelque part…


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