Notre histoire différente
Les Français ont respecté les Amérindiens
« La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a étreint et chéri ».
— Francis Parkman
Nous vivons une étrange époque où l’humanité se rêve une et indivisible avec tout ce que cela recèle d’esprit totalitaire. Les Américains ont été esclavagistes, voilà que les Occidentaux se bousculent comme des enfants à la maternelle pour crier : « Moi aussi ! » L’impérialisme américain fait son mea culpa et, dans tous les stades du monde, on met le genou par terre.
Rien de tel pour éradiquer un peuple que de supprimer son histoire propre. Si la citation de l’historien américain Francis Parkman est réductrice, elle a l’avantage de montrer que nous n’avons pas tous eu la même histoire. À l’heure où l’on s’interroge sur les pensionnats autochtones qui ont eu pour mission d’assimiler les Amérindiens du Canada, il n’est pas inutile de donner la parole, non plus aux militants, mais aux historiens. Nombreux sont ceux qui ont estimé que, même si le choc civilisationnel a été partout le même, les colonisateurs français n’ont pas eu le même rapport aux Autochtones que les colonisateurs espagnols et anglais.
C’est la thèse que défend notamment le biographe américain de Champlain David Hackett Fischer. On connaît la célèbre citation du fondateur de Québec rapportée par le jésuite Paul Le Jeune : « Nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne ferons plus qu’un seul peuple. » De l’alliance avec le chef montagnais Anadabijou (1603) à la Grande Paix de Montréal à laquelle participèrent une quarantaine de tribus (1701), les Français n’auront eu de cesse de nouer des alliances avec les Amérindiens et d’apprendre leurs langues pour explorer le continent. Exégète de Champlain et responsable de ses œuvres complètes, l’historien français Éric Thierry voit dans celui-ci un humaniste.
D’autres historiens ont souligné que ces alliances étaient une nécessité compte tenu de la faiblesse démographique de la colonisation française. Reste que, contrairement aux colons anglais, les Français se sont alliés aux Amérindiens au point de former au Manitoba une nation métisse, « seule société où Blancs et Amérindiens réussiront à vivre ensemble », écrit Denys Delâge (Le pays renversé, Boréal). Et l’historien de conclure que si « le pouvoir politique canadien » écrasa la société métisse au XIXe siècle, c’est qu’« elle était son antithèse. »
Sans prétendre à une quelconque supériorité morale, des auteurs comme Gilles Havard ont montré que les Français d’Ancien Régime ont cultivé avec les Amérindiens certaines affinités qu’on ne retrouve pas chez le conquérant anglais où le capitalisme était déjà plus avancé et les rapports plus contractuels. Pensons au goût des festins, au sens de l’honneur, du sacrifice, de l’apparat et à l’importance des cadeaux, de la parole et des discours. De Radisson, surnommé l’« Indien blanc », au baron de Saint-Castin, devenu chef Mic Mac, l’histoire unique en Amérique de ces mœurs partagées émaille les récits des voyageurs de l’époque.
« Si tous les Européens partageaient un sentiment de supériorité culturelle vis-à-vis des Indiens et si le désir d’assimilation reposait partout sur la négation de l’Autre […] la Nouvelle-France ne s’en ouvrait pas moins aux Indiens, les intégrait dans son système politico-culturel, quand les colonies anglaises bien souvent les excluaient », écrit Gilles Havard (Histoire de l’Amérique française, Flammarion).
La Conquête aura donc sur eux des conséquences terribles, souligne Denis Vaugeois : « Aussi longtemps que la rivalité anglo-française avait duré en Amérique du Nord, les Indiens […] avaient eu une carte à jouer. En quelque sorte, ils détenaient une forme de balance du pouvoir. Dans les années qui suivirent, ils étaient à la merci du vainqueur. […] Ils sont devenus tout simplement encombrants. » (L’impasse amérindienne, Septentrion).
S’instaura alors une forme d’apartheid où l’Indien deviendra un être inférieur, pupille de l’État colonial britannique. Dès le rapport Darling (1828), les pensionnats sont promus dans le but de sédentariser, « civiliser » et assimiler les Autochtones qui sont alors encore semi-nomades. Avant d’être reprise par la Loi sur les Indiens, trois commissions d’enquête viendront confirmer cette véritable politique d’assimilation dont l’esprit est identique à celle que Lord Durham avait préconisée pour les Canadiens français.
Est-ce un hasard si ces pensionnats furent si peu nombreux au Québec où, à deux exceptions, ils n’apparurent que dans les années 1950 ? Les conditions matérielles y seront donc bien meilleures et leur durée de vie très courte. Ce qui n’exonère évidemment personne, notamment les Oblats actifs ailleurs au Canada, des sévices qui purent y être commis. Les 38 morts recensés au Québec semblent sans commune mesure avec les 4134 recensés au Canada Anglais. Dans son livre Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec (PUM), Henri Goulet offre un portrait beaucoup plus nuancé que ce qu’on peut lire dans les médias. L’histoire de cette époque reste pourtant largement à écrire.
Mais, ce serait se leurrer que de s’imaginer que cette politique d’assimilation inscrite dans l’ADN du Canada est chose du passé. La détresse des peuples autochtones ainsi que l’assimilation florissante des jeunes Québécois dans les cégeps anglais en sont la preuve éloquente. Des pensionnats autochtones à l’Université Concordia, le résultat est le même : l’assimilation !
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec