Par Ramona Wadi – Le 20 juin 2021 – Source Strategic Culture
Le président chilien Sebastian Piñera n’aurait pas imaginé, lors de sa victoire électorale en 2017, qu’il allait briser sa carrière politique au-delà de toute rédemption. Les élections présidentielles chiliennes de 2017 ont été caractérisées par une faible participation des électeurs qui montrait la désillusion de l’électorat de gauche en termes de candidats, de propositions et, surtout, de la corruption inhérente à l’ensemble du spectre politique chilien depuis la transition du pays vers la démocratie.
Avant les manifestations de 2019 qui ont secoué tout le Chili, il était difficile d’imaginer une quelconque forme de transition hors de l’héritage du dictateur Augusto Pinochet. Alors que la clameur pour l’éviction de Piñera et le cri collectif pour une nouvelle constitution résonnaient dans tout le pays, le gouvernement s’est inspiré de la dictature en imposant un couvre-feu militaire et en déclenchant une violence généralisée et sanctionnée par l’État qui, selon de nombreux Chiliens, rappelait l’ère Pinochet. Détentions, tortures, meurtres et disparitions se sont répétés, alors que l’époque est supposée démocratique.
Si Piñera a fini par céder à la demande d’une nouvelle constitution et a tenté de présenter cette décision comme celle d’un gouvernement à l’écoute des demandes de son peuple, les mouvements sociaux chiliens n’ont pas accepté ce récit imposé. La droite a subi un nouveau coup dur lors du vote pour choisir les personnes chargées de rédiger la nouvelle constitution, les électeurs ayant élu une majorité de candidats indépendants et de gauche.
Pour Piñera, cependant, les manifestations de 2019 scellaient son héritage. Aux côtés de l’ancien juge espagnol Baltasar Garzon qui, en 1998, a émis un mandat d’arrêt international contre Pinochet pour crimes contre l’humanité alors que le dictateur se trouvait à Londres, les organisations chiliennes de défense des droits de l’homme ont déposé un rapport auprès de la Cour pénale internationale, demandant une enquête sur les crimes contre l’humanité commis par le gouvernement chilien lors des manifestations de 2019. Le rapport demande que Piñera soit poursuivi en justice, ainsi que les autres responsables des atrocités.
L’établissement de la culpabilité pénale et de la responsabilité devant les tribunaux chiliens se heurte à l’impunité politique qui prévaut. À ce jour, de nombreux crimes datant de l’époque de la dictature sont restés impunis, et il appartient aux organisations de défense des droits de l’homme de soutenir constamment la lutte pour la justice. L’un des principaux arguments avancés par M. Garzon et les organisations de défense des droits de l’homme est que 3 050 affaires sur 6 568 ont été classées sans suite par le ministère public, ce qui témoigne clairement de l’impunité judiciaire.
Les violations les plus récentes ne font pas exception. Alors que des Chiliens étaient battus et tués d’une balle dans la tête par l’armée pendant les manifestations et que des organisations de défense des droits de l’homme, y compris des organismes internationaux, documentaient ces cas, Piñera faisait l’éloge de la conduite de l’armée, faisant preuve d’un désintérêt total pour la population chilienne.
Selon le Centre d’études sur la justice des Amériques (CEJA), « il existe un manque généralisé d’informalité, d’opportunité et de rigueur dans les enquêtes sur les graves violations des droits de l’homme. » Le CEJA a également noté que les procureurs chiliens ne disposent pas « d’une unité spécialisée dans les enquêtes sur les violations des droits de l’homme, contrairement à d’autres pays d’Amérique latine. »
Les violations infligées aux Chiliens par les militaires lors des manifestations de 2019 ont été classées comme des crimes de droit commun au Chili, une démarche délibérée selon les organisations de défense des droits humains, afin de retarder la justice et de permettre au gouvernement d’amnistier les personnes impliquées.
Bien que la décision de la CPI quant à savoir si la plainte déposée relève de sa compétence puisse prendre des années, l’action visant à accéder à la justice internationale témoigne à la fois de l’échec des tribunaux chiliens en raison d’un parti pris politique, et de la fermeté du peuple chilien en matière de responsabilité. Pendant des décennies, l’ombre de Pinochet a plané, influençant la transition vers la démocratie, les gouvernements démocratiquement élus refusant de rompre définitivement avec la dictature. Les manifestations de 2019 ont déclenché un changement au Chili, que le peuple est déterminé à mener à terme.
Ramona Wadi
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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