Du revenu de base au salaire à vie en passant par le salaire Minimum Socialisé, que choisir ? — Dominique MUSELET

Du revenu de base au salaire à vie en passant par le salaire Minimum Socialisé, que choisir ? — Dominique MUSELET

A l’approche des élections présidentielles, on voit fleurir toutes sortes de propositions destinées :

–  soit à pallier l’appauvrissement des populations que provoque le capitalisme arrivé à son stade extrême communément appelé neo-libéralisme,

–  soit à corriger certains effets pervers du capitalisme (chômage, pauvreté, surveillance, délitement de la démocratie et des libertés, endettement, domination mondiale des multinationales, etc.) , sans remettre le système en question dans son ensemble,

–  soit à transformer de fond en comble la société en se débarrassant du système de production capitaliste qui détruit la planète et les êtres qui l’habitent.

C’est que l’heure est grave. Tout le monde sent bien qu’on ne peut pas continuer comme cela. Le capitalisme est un système dément qui détruit tout sur son passage au seul nom du profit à court terme. C’est une folie qui doit cesser au plus vite. Le problème, c’est que ce n’est plus seulement un système économique comme un autre, c’est devenu une véritable idéologie qui s’est emparée de tous les aspects de notre vie, même intérieure, et de toutes nos relations. La plupart des gens, ne peuvent même plus imaginer une autre manière de vivre, tant l’exploitation des humains et de la nature pour en faire des marchandises, des machines à générer du profit, est devenue une chose naturelle. Ils ne songent pas plus à remettre en question les fondements du capitalisme qu’autrefois les fondements de la religion.

Tout le monde veut changer cela mais certains, les plus nombreux pour le moment, croient qu’on peut encore contrôler les effets pervers du capitalisme. Ils le croient parce que, comme dit Frédéric Lordon dans son livre Figures du communisme, le capitalisme a été utile en ses débuts, en favorisant le développement économique et technologique. Et ils sont restés sur cette idée. Ils ne peuvent pas admettre qu’un système qui a eu son utilité, puisse se retourner contre eux. Ils ne comprennent pas qu’il est impossible de réformer, de moraliser un système dont la seule morale est le profit, un système qui a envahi toute la planète comme une plante invasive empoisonnée et qui tourne à plein régime pour le plus grand bonheur des puissants de ce monde qui sont devenus, à force d’accumulation capitalistes, les propriétaires de notre terre et qui se moquent bien des conséquences de leurs activités du moment qu’elles rapportent.

Les propositions reflètent les différents perceptions du capitalisme, certaines se contentent d’atténuer la violence du capitalisme, d’autres tentent d’en corriger les aspects les plus délétères, et d’autres enfin proposent une société alternative pour sortir au plus vite d’un système nuisible qui repose sur l’exploitation et la destruction de notre planète et de tout ce qui y vit.

Premier niveau de conscience : le revenu de base

Le premier niveau de perception des effets néfastes du capitalisme porte essentiellement sur la baisse constante du niveau de vie des populations. Il a engendré notamment le Revenu de base que désormais tout le monde connait car il fait consensus dans toutes les classes sociales du fait qu’il s’apparente à une revenu minimum qui combat l’extrême pauvreté sans remettre en question le système capitaliste. Au contraire même, il sert de bouée de sauvetage au capitalisme, qui peut ainsi continuer tranquillement de dépouiller les pays et leurs habitants.

Second niveau de conscience

Pour illustrer le second niveau de perception – ceux qui tentent d’en corriger les aspects les plus délétères, je prendrai trois exemples : le Salaire Minimum Socialisé, le Premier niveau de salaire inconditionnel (PNSI) et la garantie d’emploi.

1. Le Salaire Minimum Socialisé proposé par Benoît Borrits :

Comme l’explique Damien Astier, Le projet s’appuie sur deux piliers : d’un côté le plein emploi obtenu par un mécanisme d’incitation à l’embauche sous la forme notamment de la socialisation d’une part du salaire, de l’autre un fonds socialisé d’investissement se substituant aux banques et prêteurs actuels, dont l’objet sera de financier le capital de départ des entreprises, ainsi « socialisé » et non privatisé (…) La mesure phare est le Salaire Minimum Socialisé, garantissant à tous les travailleurs en emploi un salaire minimum qui ne sera pas à la charge de l’employeur puisque donc socialisé. »

Benoît Borrits a par ailleurs théorisé la création d’entreprises sans propriétaire. Un collectif emprunte pour créer une entreprise et quand l’emprunt a été remboursé par le travail des salariés de l’entreprise, cette dernière appartient au collectif de travail. Le fait que des actionnaires puissent s’approprier le travail du collectif pour augmenter la valeur de leur bien, n’a rien de normal, c’est un abus que le capital a mis beaucoup de temps à rendre socialement acceptable…

Benoît Borrits connait très bien le monde de l’entreprise et il cherche des moyens de le faire échapper à l’emprise du capital privé. Ses propositions sont toujours intéressantes, mais tout comme les SCOP, tout projet visant à limiter le pouvoir des capitalistes sur la production, se heurtera à une fin de non-recevoir et ne pourra se faire qu’à la marge…

2. Le Premier Niveau de Salaire Inconditionnel (PNSI)

Dans cette proposition élaborée par Frédéric Lutaud, un SMIC socialisé inconditionnel serait versé à tous et toutes à partir de 18 ans par la sécurité sociale, comme les allocations familiales, mais il ne serait pas cumulable avec les salaires/revenus existants. Le coût pour la sécu serait d’environ 70 milliards et il serait financé par une légère hausse de la cotisation sociale, qui serait à la charge du Capital.

Cette proposition, toute intéressante qu’elle soit, présente trois écueils, probablement insurmontables dans le système actuel :

— Le Capital ne sera jamais d’accord pour augmenter la cotisation sociale qu’il essaie de détruire depuis qu’elle a été mise en place ;

— La proposition nécessiterait un peu de protectionnisme et donc une sortie de l’UE, cette citadelle du néolibéralisme, ce qui n’est pas à l’ordre du jour ;

— En général, les gens n’aiment pas l’idée que d’autres puissent toucher le même salaire qu’eux sans travailler.

3. La garantie d’emploi proposée par Pavlina R. Tcherneva

« L’idée qu’il existerait une loi naturelle empêchant les hommes d’avoir un emploi, qu’il serait “imprudent” d’employer des hommes et qu’il serait financièrement “sain” de maintenir un dixième de la population dans l’oisiveté pour une durée indéterminée est d’une incroyable absurdité. Personne ne peut croire à cela s’il n’a pas eu la tête bourrée de bêtises pendant des années » a écrit Keynes.

C’est sur cette idée que s’appuie la Garantie d’emploi. Elle fait partie, aux Etats-Unis, de la plateforme de Bernie Sanders, le Green New Deal, qui vise à la fois la relance économique, la transformation de l’économie et la transition écologique. En France la mesure est portée par le think tank Intérêt général (Judith Bernard, Bernard Cassen, Charlotte Girard, Miche Husson, Jean Ziegler, etc.) et par la FI (Danièle Obono), à partir de l’expérience « Territoires zéro chômeurs de longue durée ».

Pour Pavlina R. Tcherneva, l’Etat doit jouer le rôle d’employeur en dernier ressort. Il doit proposer à toutes les personnes privées d’emploi un emploi décent, c’est-à-dire bien rémunéré et de bonne qualité (pas un bullshit job, boulot de merde).

Comme dans l’expérience française « Territoires zéro chômeurs de longue durée » ces emplois ne devraient pas rentrer en concurrence avec le privé, ni le public, pour ne pas désorganiser le tissu économique local, mais ils devraient couvrir des besoins non couverts généralement parce qu’il ne serait pas rentable de le faire. Il y en a énormément, notamment dans le domaine de l’écologie et du soin à la personne. Le travail est illimité.

Cette proposition qui suscite l’enthousiasme de Romaric Godin : « La garantie d’emploi, un outil au potentiel révolutionnaire » parce que, selon lui, elle modifierait en profondeur le rapport de force entre le capital et le travail, me paraît la plus réalisable dans le contexte du système capitaliste. D’abord parce qu’elle vient des Etats-Unis, ensuite parce qu’elle règle le problème du chômage sans s’attaquer à la propriété privée des moyens de production ni aux revenus du Capital. Elle suscitera toutefois l’opposition des puissances d’argent car la menace du chômage permet au Capital de tenir en respect les travailleurs et de baisser leurs salaires. Cependant le coût économique et social du chômage pourrait devenir si intolérable que les propriétaires capitalistes soient obligés d’accepter une proposition de cette nature.

Troisième niveau de conscience

Pour illustrer le troisième niveau de perception, le niveau le plus radical – ceux qui veulent sortir du capitalisme, je prendrai trois exemples : le salaire au besoin, le salaire à vie et la Garantie Economique Générale.

1. Le salaire au besoin

C’est une expérience inédite que ses auteurs ont été conduits à mener sous la pression des circonstances qui nous est relatée par Bastamag.

Un des salariés d’une coopérative boulangère où tout le monde touche le même salaire, demande une augmentation car ses enfants doivent aller à l’université et avec son salaire, il n’a pas les moyens de les y envoyer. Le Collectif se réunit et décide de lui donner une augmentation de 500€ et de à deux autres salariés qui ont le même problème.

Pour pouvoir payer ses salaires, la coop élargit ses horaires d’ouverture et fait un bond conséquent de chiffre d’affaire.

La nouvelle inégalité de salaire et l’augmentation de la charge de travail poussent le Collectif, globalement très satisfait de l’expérience, à officialiser, au bout de six mois, la formule en mettant au point une nouvelle grille des salaires prenant en compte l’âge, le nombre d’enfants, la situation parentale.

Cette expérience soulève beaucoup de questions intéressantes : que doit rémunérer le salaire : La stricte part de l’effort productif ? Ou bien doit-il intégrer les conditions sociales d’existence du travailleur ?

Le salaire au besoin et le fonctionnement général de la Coopérative se situent résolument dans une optique non capitalisme. L’expérience n’a été possible que parce que la Coop est petite et fonctionne horizontalement. Il est évident qu’un tel fonctionnement ne pourrait pas être étendu à toutes les entreprises sans sortir du capitalisme.

2. Le salaire à vie et la Garantie économique

Comme l’explique Damien Astier, le salaire à vie, théorisé par Bernard Friot, « propose une déconnexion entre salaire et emploi, chaque travailleur recevant dès la majorité un salaire le reconnaissant comme producteur de valeur, une valeur non capitaliste. Le système repose sur l’extension de la socialisation de la valeur ajouté, par le système de cotisation tel qu’introduit par la sécurité sociale en France.

Pour s’affranchir des angles morts ou sensibles de la proposition (qui de la formation des prix ? quid de la décision des justes niveaux de salaire et de leur évolution), Lordon simplifie l’idée en posant, déjà, le principe d’une Garantie Economique Générale, forme de « salaire » ou dotation de base à caractère inconditionnel : partant, les entreprises qui auront besoin d’employer le feront nécessairement à de meilleures conditions pour les salariés, le chantage à la survie étant supprimé. Reste pour ces propositions la question des renoncements nécessaires et souhaitables aux superflus insoutenables de notre société de consommation actuelle, et l’organisation macro-économique (le capitalisme coordonne mal, dangereusement, inhumainement les activités, mais il coordonne). »

Ces deux propositions présupposent une sortie du Capitalisme, que Lordon qualifie de barbarie, et l’instauration d’un système communiste dans une société libérée des employeurs, des prêteurs et des actionnaires.

»» https://www.salaireavie.fr/single-post/rdb-pnsi-garantie-d-emploi-sms-…

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You