par Timofei Bordatchev.
En 75 ans, le mariage inégal entre l’Europe et l’Amérique a atteint un stade où plus rien ne convient au partenaire cadet. Dans ce jeu de rôle les Américains sont plus puissants que leurs partenaires à tel point que quoi qu’ils fassent l’Europe se retrouvera toujours dans un rôle secondaire. Et en ce sens Donald Trump était préférable pour les politiques européens, il les laissait jouer le « bon gars » même sans avoir une utilité particulière pour le monde.
Avec l’élection de Joe Biden la situation a foncièrement changé. Au lieu du slogan de Trump « L’Amérique avant tout » Washington a proclamé la politique du « retour de l’Amérique ». Sachant que dans la pratique rien n’a vraiment changé, mais la capacité de Joe Biden et de son équipe de jouer dans le champ traditionnel pour les Européens pourrait s’avérer tragique pour ces derniers.
Par exemple, à la veille du sommet du G7, Joe Biden a fait part de son intention d’allouer 500 millions de doses de vaccin américain aux pays les plus démunis. Certes, publiquement les dirigeants européens ont applaudi cette initiative, mais à l’intérieur ils débordaient d’indignation. À l’heure actuelle, la vaccination aux États-Unis a déjà commencé à apporter des résultats positifs conséquents, alors que l’industrie pharmaceutique fonctionne à plein régime. Il est possible d’afficher sa préoccupation par le sort des autres, même si derrière cela se cache une décision pragmatique de conquérir de nouveaux marchés.
Et les dirigeants de l’UE ont de quoi éprouver de l’amertume. Ils n’ont pas réussi à montrer de tels succès en matière de vaccination, sans parler d’une attitude complètement égoïste envers le Tiers monde, en interdisant récemment l’exportation de vaccins fabriqués en Europe.
Avec l’arrivée de Joe Biden il reste très peu de place pour l’Europe dans la charité publique mondiale. Mais le plus vexant pour l’UE c’est qu’au fond la politique américaine ne changera pas. Elle continuera de correspondre uniquement aux intérêts américains.
Contrairement à Donald Trump, la nouvelle administration américaine proclame son attachement aux institutions internationales et à la prise de décisions collectives. Comme si quelqu’un doutait que dans le collectif transatlantique ces décisions refléteront de toute façon les intérêts des États-Unis. Mais à l’époque de Donald Trump les Américains avaient pris de la distance, et l’Europe bénéficiait d’une marge de manœuvre. Pendant quatre ans de présidence républicaine les Européens parlaient de l’importance d’une approche multilatérale et de la solidarité au sein de « l’Occident collectif ». Et en même temps ils menaient successivement un dialogue bilatéral avec la Chine ou la Russie dans les domaines qui les intéressaient. À présent, les États-Unis s’ingéreront dans le cadre du rétablissement du partenariat avec les alliés dans toutes les subtilités des interactions européennes avec d’autres pays. Par exemple, les relations de l’Europe avec la Chine se sont sérieusement détériorées avec l’arrivée de Joe Biden, alors qu’en décembre dernier tout semblait assez positif pour l’Europe.
Joe Biden a décidé de ne pas lutter contre le Nord Stream 2, plus cher au gouvernement allemand que tout le reste dans ce monde. À croire que ce projet pouvait être stoppé après l’achèvement de la construction du gazoduc entre la Russie et l’Allemagne. Mais une fois de plus c’est les États-Unis qui marquent des points politiques –ils ont renoncé à la réalisation de leur objectif de longue date au profit du partenariat avec l’Europe. Alors que l’Allemagne a conservé la réputation de commerçant sans prétentions qui est prêt à mettre en péril pour son profit personnel l’existence de l’Ukraine, qui a fait un « choix européen ».
En ce qui concerne l’agenda écologique, le retour des États-Unis dans la partie n’apporte non plus rien de positif à l’Europe. Donald Trump niait simplement toutes les initiatives européennes, et les pays européens pouvaient d’abord espérer de faire passer leurs mesures de soutien des entreprises nationales sous prétexte de la protection climatique. À présent, Washington est prêt à parler du climat beaucoup et activement, or cela signifie qu’il faudra tenir compte de son avis à l’étape même de la préparation des mesures européennes unilatérales de pression sur les économies émergentes. Comme toujours, l’espace pour les transactions séparées de l’UE avec des partenaires extérieurs se réduit.
Parmi les puissances européennes c’est la France qui a été la plus touchée par la nouvelle politique américaine. Le Royaume-Uni est sorti de l’UE et construit son avenir de satellite américain sans se préoccuper des ambitions et des intérêts continentaux. La situation laisse indifférente Angela Merkel, qui n’a plus que quelques mois à passer au poste de chancelière. Mais Emmanuel Macron se construisait une image de l’unique dirigeant progressiste de l’Occident sur fond de Donald Trump. Or cela ne fonctionnera plus avec Joe Biden, qui est prêt lui-même à parler de toutes les choses positives mais, contrairement à son homologue français, possède également des capacités financières pour cela. Il commence même à normaliser le dialogue avec la Russie.
Plus les États-Unis s’ouvrent au monde, plus les capacités de l’UE de mener son propre jeu se réduisent. Dans les années à venir nous verrons qu’en réalité les Européens n’ont pas du tout besoin que les États-Unis soutiennent leur agenda diversifié. Tout simplement parce que l’Amérique est trop grande et récupère immédiatement le leadership dans tout ce qu’elle fait.
Que peut faire l’Europe dans cette situation ? Sa marge de manœuvre est réduite. Même si l’Allemagne et la France voudraient une plus grande autonomie, disposant pour cela du contrôle de la monnaie européenne commune, la Pologne, les pays baltes et d’autres mettent des bâtons dans leurs roues. Il y a 30 ans, Berlin et Paris ont décidé d’élargir l’UE vers l’Est dans leur aspiration historique à s’emparer d’un territoire qui a échappé au contrôle de la Russie. A l’époque, les Européens se faisaient des illusions que le monde de demain deviendrait effectivement plus confortables pour eux. Cela ne s’est pas produit, le monde a changé, certes, mais il n’est pas devenu meilleur pour l’UE.
Aujourd’hui, rien que la présence au sein de l’UE de pays pour qui la lutte contre la Russie fait partie de l’identité nationale suffit pour paralyser toutes les tentatives de s’entendre avec le voisin de l’Est. Sans quoi une Europe autonome ne peut exister.
source : http://www.observateurcontinental.fr
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