Méconnue par la plupart des lecteurs d’Evola qui s’intéressent généralement à sa seule dimension politique, la réflexion sur la sexualité est pourtant l’un des thèmes majeurs de son œuvre que l’on retrouve disséminé un peu partout : un chapitre entier dans Révolte contre le monde moderne et un autre dans Chevaucher le tigre, trois chapitres dans L’Arc et la Massue, dans Le Yoga tantrique et bien évidemment dans Métaphysique du sexe que la maison d’édition Kontre Kulture a rééditée récemment.
Ce livre qui à la base devait être une longue introduction à Sexe et Caractère de Weininger, a fini par prendre forme peu à peu pour devenir un ouvrage entier consacré à cette matière, ouvrage que l’auteur italien considérait d’ailleurs comme son plus important avec Révolte contre le monde moderne.
Dans son acception philosophique, la métaphysique recoupe la recherche des principes et des significations ultimes, et c’est en ce sens que le premier moment du projet evolien va consister en l’étude des sexes et de leurs relations, non dans leurs modalités contingentes et éphémères, mais dans leurs sens le plus profonds. Ce terrain avait déjà été travaillé par Schopenhauer et Weininger en leurs temps mais laissé en friche depuis. C’est cette métaphysique qui va constituer une phénoménologie de l’amour profane et qui va donc concerner directement l’expérience érotico-sexuelle en général, celle vécue par n’importe quel homme ou femme d’aujourd’hui. C’est une analyse de la sexualité ordinaire qui va se donner entre autres pour objectif de contrer la psychanalyse dans ses préjugés anthropologiques, et dans sa manière de rabaisser le sexe à une simple dimension personnelle et immanente.
Mais dans un sens étymologique, la méta-physique désigne également la science qui va au-delà de la physique, c’est-à-dire pour Evola ce qui va concerner toute expérience transpsychologique ou transphysiologique. Nous sommes ici sur une terre totalement inconnue par nos contemporains, mais qui pourtant était au centre des traditions de nombreux peuples qui avaient la sensibilité nécessaire pour saisir le caractère profond de l’eros. Cette pratique offrait alors la possibilité d’un dépassement du Moi et d’une ouverture sur un autre monde.
La première définition de la métaphysique, celle qui amène le lecteur sur des considérations philosophiques de l’union physique entre deux êtres, doit être considérée comme un travail nécessaire, un passage obligé pour accéder au deuxième niveau, ici beaucoup plus ésotérique — dans le sens de ce qui va être compréhensible uniquement par les initiés — et c’est celui qui par ailleurs intéresse le plus Evola : le sexe en tant que condition d’accès au sacré. L’auteur fait le constat amer que cette expérience s’est dégradée, affaiblie au fil du temps chez la très grande majorité des hommes vivant dans les civilisations où la matérialité règne en maître.
Nous avons donc ici deux niveaux effectivement bien distincts mais qui forment en réalité pour Evola un tout qui se complètent et s’éclairent mutuellement. C’est par cette dialectique que dans notre époque contemporaine, la dimension sacrée du sexe s’effondre au profit de sa seule dimension ordinaire qui occupe dorénavant tout l’espace. Evola parle d’une véritable pandémie du sexe qui se manifeste par exemple par une présence insistante de la femme en tant que pur objet de désir dans la littérature, le cinéma et la publicité. Une omniprésence qui crée « une atmosphère de luxure cérébralisée, chronique et diffuse » qui est typique de notre civilisation. C’est pour Evola une preuve évidente que notre époque se situe à la fin d’un cycle, dans une phase terminale d’un processus de régression qui correspond à l’âge sombre appelé Kali-yuga. C’est dans ce contexte que le sexe est pharmakon, un poison lorsqu’il est pratiqué dans son animalité la plus simple, mais également un remède lorsqu’il est correctement dirigé vers sa dimension transcendante, par la pratique de la doctrine tantrique notamment.
Ce livre est également le lieu pour Evola de déconstruire plusieurs dogmes relatifs au sexe et à certains de ses présupposés. C’est par exemple le cas de l’instinct de reproduction qu’il considère comme un véritable mythe. En cela il considère que la reproduction est un effet possible de l’activité sexuelle, mais n’est pas comprise dans l’expérience même de l’excitation. Le fait vraiment premier, c’est l’attraction qui naît entre deux êtres qui à ce moment-là ne peut contenir la conscience effective de la reproduction. Il récuse cette interprétation biologique finaliste pour mieux mettre en avant la théorie « magnétique » qui lui semble mieux rendre compte de la réalité. Ici encore il va puiser dans l’enseignement traditionnel pour mettre en évidence l’existence d’une énergie, d’un fluide qui se produit de manière « catalytique » chez les amants, et cela en vertu de la polarité du ying et du yang et c’est ce qui nous amène à l’une des clés de voûte de Métaphysique du sexe : les sexes masculin et féminin ne sont pas strictement biologiques, car ils constituent des principes polaires qui dirigent le psychisme, la place cosmique dans l’univers et au final l’être de chacun des individus. Dans cette perspective il y a de l’homme et de la femme avant d’avoir des hommes et des femmes et c’est ce concept, qu’Evola retient de Weininger en l’approfondissant, qui va lui permettre notamment de développer tout au long du livre des considérations étonnantes sur la féminité, l’homosexualité ou la virilité.
Avec Métaphysique du sexe de Julius Evola, nous sommes de toute évidence en présence d’un livre de recherche qui n’a aucun antécédent dans l’histoire. Il n’a de cesse de faire voyager le lecteur à travers les mythes de l’Antiquité, les spiritualités traditionnelles et les pratiques du passé en l’incitant à redécouvrir et à réactiver les potentialités les plus élevées de l’eros, « la plus grande force magique de la nature ».
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