par Christelle Néant
Lors d’une interview accordée à la chaîne Rossia 1, le Président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine a évalué les dernières décisions des autorités ukrainiennes sur la division de la population en peuples autochtones et non-autochtones, sur le conflit dans le Donbass, parlé des sujets de conversation potentiels avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, et a défini l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN comme une ligne rouge à ne pas franchir.
Création de citoyens de première et de deuxième catégorie en Ukraine
L’interview commence par la question de la discrimination de la langue russe en Ukraine, et le projet de loi sur les peuples autochtones que Volodymyr Zelensky a soumis au parlement ukrainien au mois de mai.
Sans surprise, Vladimir Poutine a répondu qu’il voyait cette initiative de manière très négative, car selon lui « la division même en catégories de peuples autochtones, de première catégorie, de seconde catégorie et ainsi de suite – c’est définitivement, et absolument, une réminiscence des thèses et des pratiques de l’Allemagne nazie ».
« Zelensky lui-même est de nationalité juive. Je ne sais pas, peut-être qu’il est de sang mêlé. Que faire de ces gens ? Vont-ils mesurer leur crâne et d’autres parties du corps avec un compas et définir, comme ils ont défini, qui est un vrai Aryen et qui ne l’est pas ? Donc ici, ils détermineront qui est un vrai Ukrainien et qui ne l’est pas ? », a ajouté Vladimir Poutine.
Le Président a souligné que la Russie ne pouvait rester indifférente à de telles décisions des autorités ukrainiennes, car « il s’agit d’un coup violent et grave porté au peuple russe dans son ensemble ». Malgré cela, Vladimir Poutine ne se fait aucune illusion et a clairement déclaré que ce projet de loi des autorités ukrainiennes, qui viole le droit international, ne provoquera aucune réaction ni de la part des pays occidentaux, ni de la part de l’OSCE.
Il a aussi attiré l’attention sur le fait que cette discrimination aurait des conséquences importante pour les Ukrainiens qui se reconnaissent comme Russes.
« Personne ne veut être un citoyen de deuxième catégorie, je ne parle même pas de la discrimination de la langue et d’autres composantes de la vie humaine normale, mais cela conduira au fait que des centaines de milliers, et peut-être même des millions, seront obligés soit de partir, ne voulant pas être des personnes de deuxième catégorie, soit de commencer à se reconstruire en quelque sorte différemment », a déclaré Vladimir Poutine.
Le Président de la fédération de Russie a aussi souligné que le fait de parler des Russes comme d’un peuple non autochtone en Ukraine est non seulement inacceptable, mais aussi ridicule et stupide, car cela contredit les faits historiques.
« Les bolcheviks, en organisant l’Union soviétique, ont créé, entre autres, les républiques de l’union et l’Ukraine. Il faut se rappeler que ces territoires ont fait partie de l’État russe, le processus de leur réunification avec la Russie a commencé en 1654, après le traité de Pereïaslav. Ensuite, les personnes qui vivaient dans ces territoires – qui sont, en termes d’aujourd’hui, trois régions – donc ces personnes se considéraient et se disaient russes et orthodoxes, tout cela est dans les documents, et tous ces documents se trouvent dans les archives », a rappelé Vladimir Poutine.
L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est une ligne rouge à ne pas franchir
Le journaliste de Rossia 1 a ensuite demandé à Vladimir Poutine de commenter le projet de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN. Le Président russe a alors rappelé que dans un tel cas de figure le temps de vol des missiles de l’OTAN, depuis Kharkov ou Dnipropetrovsk vers le centre de la Russie serait inférieur à 10 minutes, et que cela provoquerait donc une réaction de Moscou pour protéger la sécurité du peuple russe.
« En ce qui concerne la proposition relative à l’adhésion ou le plan d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Oui, je sais, je vois les commentaires de nos observateurs, je vois la réaction de nos médias, de nos politiciens. Tout le monde se moque un peu de Zelensky, en disant que tout cela n’est que du blabla, qu’il ne se passera rien ici, etc. J’ai une opinion différente », a déclaré Vladimir Poutine.
Le Président russe a fait remarquer que toutes les préoccupations de Moscou ont été ignorées lors des deux phases précédentes de l’expansion de l’OTAN vers l’est. Et ce, alors que les relations entre l’Occident et la Russie étaient bonnes.
« Notez, c’était quand il n’y avait pas de Crimée, il n’y avait pas d’événements après le coup d’État en Ukraine, les relations entre la Russie et l’Occident étaient tout à fait acceptables, pour ne pas dire un partenariat dans le sens direct et bon du terme, et pourtant toutes nos préoccupations ont été tout simplement ignorées, Tous nos accords préliminaires – il est vrai qu’ils étaient verbaux, avec Mikhaïl Gorbatchev, Dieu merci, il est bien vivant, vous pouvez lui demander, il vous le confirmera – ont été relégués aux oubliettes par l’Occident », a souligné Vladimir Poutine.
« Je ne veux pas utiliser de mots durs, mais ils crachent tout simplement sur nos intérêts et c’est tout. […] Qu’est-ce que cela indique ? Qu’ils placent leurs intérêts géopolitiques au-dessus des intérêts des autres nations, indépendamment même de la nature des relations avec ces pays », a souligné le Président russe.
Selon lui, il existe des restrictions formelles à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais il n’y a pas de garanties sur cette question.
« De quoi ont-ils parlé ? Sur quoi se sont-ils mis d’accord ? Nous ne savons pas. Et ce cri lancé depuis l’autre côté de l’océan au président ukrainien [référence à la déclaration de la Maison Blanche selon laquelle Kiev a mal interprété les propos du président américain Joe Biden sur l’idée que l’Ukraine rejoigne l’alliance – NDLR], cela ne signifie rien, à mon avis. Mais nous devons le garder à l’esprit. Et bien sûr, en gardant cela à l’esprit, nous construisons nos relations de sécurité avec nos partenaires en conséquence », a déclaré Vladimir Poutine.
Pour lui, il n’est pas à exclure que les Américains ont peut-être réprimandé les dirigeants ukrainiens pour la déclaration concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, car il était trop tôt et inapproprié pour Kiev d’en parler avant le sommet entre Vladimir Poutine et Joe Biden, qui se tiendra à Genève le 16 juin.
« Peut-être lui ont-ils simplement dit [à Zelensky – NDLR] : tu sais quoi, tu l’as ouvert un peu tôt, il est trop tôt pour en parler. Et ce n’est pas le bon endroit pour que tu l’ouvres, car il y a une réunion au sommet des deux présidents en ce moment. Pourquoi tu nous déranges ? Pourquoi est-ce que tu nous pourris la situation avant le sommet ? Tu ne pouvais pas te taire pendant quelques jours », a-t-il déclaré.
« Maintenant, les partenaires américains disent qu’ils n’ont rien promis à l’Ukraine ou aux dirigeants ukrainiens, y compris le président Zelensky. Comment le savons-nous ? En fait, on peut imaginer qu’un plan d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est en cours de discussion. En tout cas, personne ne dit non », a souligné Poutine.
Il a aussi rappelé que l’expansion de l’OTAN vers l’est et le rapprochement des équipements militaires de l’alliance près des frontières de la Russie ont une signification pratique pour cette dernière.
En effet, après l’adhésion de la Pologne et de la Roumanie à l’OTAN, les Américains y ont déployé des systèmes de défense antimissile, dont les lanceurs peuvent également être utilisés pour des systèmes de frappe dont les missiles peuvent atteindre le centre de la Russie en 15 minutes.
« Imaginons que l’Ukraine devienne membre de l’OTAN. Le temps de vol depuis Kharkov, disons, et, je ne sais pas, depuis Dnipropetrovsk vers le centre de la Russie, vers Moscou, serait réduit à 7-10 minutes », a souligné Vladimir Poutine. « Est-ce une ligne rouge pour nous ou non ? »
La question de savoir s’il s’agit d’une ligne ou rouge, ou pas, est purement rhétorique et n’est qu’une façon diplomatique de dire que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait une ligne rouge pour la Russie. Histoire de se faire bien comprendre, le Président russe a alors fait une analogie avec la crise des missiles de Cuba, lorsque les États-Unis ont jugé inacceptable que des missiles soviétiques soient déployés à 15 minutes à peine de vol de Washington et des autres centres industriels américains.
« Pour que ce temps de vol soit réduit à 7-10 minutes, nous devrions placer nos missiles à la frontière sud du Canada ou à la frontière nord du Mexique. Est-ce une ligne rouge pour les États-Unis ou non ? », a demandé Vladimir Poutine.
« Quelqu’un devrait réfléchir à tout cela : à la manière dont nous devrions répondre à ce qui est essentiellement proposé et discuté [dans le plan d’élargissement de l’OTAN – NDLR] », a conclu le Président russe.
Vladimir Poutine a aussi battu en brèche les déclarations des autorités de Kiev selon lesquelles les Ukrainiens eux-mêmes souhaitent adhérer à l’OTAN.
« Je pense que les dirigeants du pays ne peuvent pas ne pas le savoir, alors que la majorité – selon les derniers sondages publiés, il y a 50/50 à peu près – mais au moins 50 % des Ukrainiens ne veulent pas que le pays rejoigne l’OTAN. Et ce sont des gens intelligents. Je le dis sans aucune ironie. Pas parce que les autres sont stupides. C’est parce que ceux qui ne veulent pas, comprennent, qu’ils ne veulent pas être dans la ligne de mire. Ils ne veulent pas être une monnaie d’échange ou de la chair à canon », a déclaré le Président russe.
Lors de cette interview, Vladimir Poutine emploie un ton clairement plus dur tant envers l’Ukraine qu’envers les pays occidentaux, que ce à quoi nous sommes habitués. Ce changement de ton peut-être comparé à la rhétorique employée par les autorités russes lorsque l’Ukraine s’est lancée dans les préparatifs pour une offensive contre le Donbass il y a quelques mois de cela.
Là aussi le ton s’était durci afin de faire passer un message clair : si vous vous lancez dans une offensive contre le Donbass, nous interviendrons et ce sera la fin pour vous.
On peut donc se dire logiquement que le changement de ton de Vladimir Poutine vise là aussi à faire passer un message. La question est : à qui est destiné le message ?
Au vu de la façon dont il parle de Zelensky et de l’inanité du sujet de discussion proposé par l’administration présidentielle ukrainienne pour leur rencontre (à savoir la sécurité internationale, alors qu’il y a tellement de problèmes dans les relations entre la Russie et l’Ukraine qu’il y a plus urgent à discuter entre les deux présidents qu’un sujet aussi vague), il est clair que Vladimir Poutine ne considère pas que son homologue ukrainien est celui qui prend réellement les décisions concernant l’adhésion de son pays à l’OTAN, et donc il est inutile de lui faire passer quelque message que ce soit. Autant pisser dans un violon.
Non, le message est clairement à destination des patrons occidentaux de l’Ukraine, à savoir les États-Unis. Vladimir Poutine fixe à l’avance les lignes rouges à ne pas franchir dont il va discuter avec Joe Biden lors de leur rencontre en Suisse. L’Ukraine et sa potentielle adhésion à l’OTAN seront clairement un des sujets importants de la discussion entre Vladimir Poutine et Joe Biden, et le Président russe a décidé de faire savoir à l’avance où se trouve la ligne rouge à ce sujet, afin qu’il n’y ait aucune possibilité de mauvaise interprétation.
Il est possible en outre que ce message s’adresse aussi à une seconde cible, à savoir le peuple russe. En effet, les élections approchent, et contrairement à ce que beaucoup de russophobes et de pseudo experts occidentaux de la Russie peuvent raconter, Vladimir Poutine est très modéré concernant l’Ukraine et les relations avec l’Occident, comparé aux principaux partis d’opposition.
En effet, tant le parti communiste que le parti LDPR de Jirinovski sont partisans d’une ligne bien plus dure envers Kiev et ses patrons occidentaux. Et cette modération est souvent reprochée au Président russe. Beaucoup de gens en Russie voudraient une réaction bien plus dure de la Russie. Il est donc possible que Vladimir Poutine ait décidé de faire d’une pierre deux coups avec cette interview, en mettant en garde les États-Unis, tout en contentant son électorat afin de ne pas le perdre au profit des principaux partis d’opposition lors des prochaines élections.
source:https://www.donbass-insider.com/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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