par Nicolas Bonnal.
Théophraste (371-288 av. J.-C.) et notre abrutissement démocratique (qui devient prodigieux) par les News : où l’on remarque que la notion de stupidité monte et performe dans un univers fondé sur la communication et cet éreintant échange – bavardage – démocratique. Au fur et à mesure que les échanges volubiles se multiplient industriellement et même cybernétiquement, nous nous abaissons et sombrons dans le ridicule économique et intellectuel – et même politique et spirituel. Les siècles supérieurs – comme le Moyen Age à son âge d’or – sont ceux où l’on s’écarte du monde : je pense donc je fuis. Ce texte fait suite à notre ancienne réflexion sur les news de Platon à CNN : l’enchaînement par les infos. N’oubliez pas que les mots agora et forum viennent de notre vieille antiquité gréco-romaine. « Les Caractères » de Théophraste furent traduits par La Bruyère au siècle de Louis XIV.
Dans ses brefs et intenses Caractères, qui se moquent du citoyen athénien déjà imbuvable, Théophraste tonne contre le diseur de rien, qui annonce notre commentateur d’actualité, nous y compris :
« Il s’échauffe ensuite dans la conversation, déclame contre le temps présent, et soutient que les hommes qui vivent présentement ne valent point leurs pères. De là il se jette sur ce qui se débite au marché, sur la cherté du blé, sur le grand nombre d’étrangers qui sont dans la ville ; il dit qu’au printemps, où commencent les Bacchanales, la mer devient navigable ; qu’un peu de pluie serait utile aux biens de la terre, et ferait espérer une bonne récolte ; qu’il cultivera son champ l’année prochaine, et qu’il le mettra en valeur ; que le siècle est dur, et qu’on a bien de la peine à vivre ».
Parlons des Fake news. Théophraste parle du bonhomme affolé par les nouvelles, comme ces quidams qui assailliront Saint Paul à Athènes :
« Un nouvelliste ou un conteur de fables est un homme qui arrange, selon son caprice, des discours et des faits remplis de fausseté ; qui, lorsqu’il rencontre l’un de ses amis, compose son visage, et lui souriant : « D’où venez-vous ainsi ? lui dit-il ; que nous direz-vous de bon ? n’y a-t-il rien de nouveau ? » Et continuant de l’interroger : « Quoi donc ? n’y a-t-il aucune nouvelle ? cependant il y a des choses étonnantes à raconter. » Et sans lui donner le loisir de lui répondre : « Que dites-vous donc ? poursuit- il ; n’avez-vous rien entendu par la ville ? »
Il parle ensuite des rumeurs dont le fond de roulement constitue le fond de vérité. Il ne lit pas les journaux mais les visages (idem aujourd’hui, avec celui qui boit les paroles du présentateur TV) :
« Et lorsque quelqu’un lui dit : « Mais en vérité, cela est-il croyable ? », il lui réplique que cette nouvelle se crie et se répand par toute la ville, que tous s’accordent à dire la même chose, que c’est tout ce qui se raconte du combat, et qu’il y a eu un grand carnage. Il ajoute qu’il a lu cet événement sur le visage de ceux qui gouvernent, qu’il y a un homme caché chez l’un de ces magistrats depuis cinq jours entiers, qui revient de la Macédoine, qui a tout vu et qui lui a tout dit ».
Les nouvelles ne mènent nulle part, et elles tournent en rond (Debord parle de la répétition des « mêmes vétilles ») ; c’est ce que j’appelle le présent perpétuel, qui est typique des temps démocratiques, gréco-romains ou occidentaux (voyez mes « Chroniques sur la Fin de l’Histoire ») :
« Je vous avoue que ces diseurs de nouvelles me donnent de l’admiration, et que je ne conçois pas quelle est la fin qu’ils se proposent ; car pour ne rien dire de la bassesse qu’il y a à toujours mentir, je ne vois pas qu’ils puissent recueillir le moindre fruit de cette pratique ».
À l’époque on n’a pas le smartphone, alors on a les agoras, les forums (sic) les portiques et même les boutiques :
« Je ne crois pas qu’il y ait rien de si misérable que la condition de ces personnes ; car quelle est la boutique, quel est le portique, quel est l’endroit d’un marché public où ils ne passent tout le jour à rendre sourds ceux qui les écoutent, ou à les fatiguer par leurs mensonges ? »
Le tout débouche sur un formidable développement de la stupidité dont parle notre Platon dans le légendaire livre VIII de la République :
« La stupidité est en nous une pesanteur d’esprit qui accompagne nos actions et nos discours. Un homme stupide, ayant lui-même calculé avec des jetons une certaine somme, demande à ceux qui le regardent faire à quoi elle se monte. S’il est obligé de paraître dans un jour prescrit devant ses juges pour se défendre dans un procès que l’on lui fait, il l’oublie entièrement et part pour la campagne. Il s’endort à un spectacle, et il ne se réveille que longtemps après qu’il est fini et que le peuple s’est retiré ».
sources :
- « De l’impertinent ou du diseur de rien » ; « Du débit des nouvelles » ; « De la stupidité »
- Théophraste. « Les Caractères » » traduits par La Bruyère (ebooksgratuits.com)
- Chroniques sur la Fin de l’Histoire » (Amazon.fr)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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