L’auteur est bachelier en Science politique et philosophie – UdeM
Le débat sur le troisième reliant Québec et Lévis qui revient dans l’espace public nous révèle des chiffres astronomiques. On parle ici d’un colossal tunnel dont les coûts s’élèveraient à 10 milliards de dollars selon les estimations. Or, il n’y a pas besoin d’être un travailleur de la construction pour savoir que les dépassements de coûts sur de pareils chantiers sont la norme. Il y a donc ici beaucoup d’argent qui devrait faire l’objet d’une réflexion publique sérieuse. Si le gouvernement est déterminé à mettre de l’avant cet immense projet, il devra s’assurer qu’il ne devienne pas un énième éléphant blanc qui pourrait éroder la confiance de la population à son endroit.
Bien sûr, toute nation doit faire preuve d’ambition et d’audace pour savoir faire sa place dans le monde de demain. Cela dit, qu’on soit en faveur ou non avec le troisième lien, une chose est sûre, c’est qu’il n’est pas un besoin vital pour la région. Pourtant, nous sommes prêts à débloquer un pan important des finances publiques pour ce projet alors que bien d’autres choses auraient besoin, et ce depuis longtemps, d’investissements d’une telle ampleur. Je me permets d’en nommer trois, qui ont toutes un lien entre elles.
D’abord, parlons de l’état lamentable de notre gestion du patrimoine. La défiguration éhontée de celui-ci se fait depuis nombre d’années par des rénovateurs peu astucieux et des propriétaires pris de la fièvre de la table rase. Partout au Québec, nos églises, maisons ancestrales et anciens édifices en tout genre sont la proie du rouleau compresseur de la nouveauté. Il faut du neuf, il faut progresser! Tel est le mot d’ordre qui anime l’esprit du temps. On ajoute à cela que nous manquerions collectivement d’argent afin de bien entretenir notre patrimoine, que nous ne pouvons nous permettre ce « luxe » que lorsqu’il possède un potentiel touristique. Pourtant, le patrimoine n’est pas qu’une vieillerie bonne pour le remplacement par des tours à logement. Il témoigne d’une origine, d’une manière d’habiter le monde et d’une volonté de progresser dans la continuité.
Un second sujet rejoint la même sensibilité : il s’agit de la situation dans nos écoles primaires et secondaires. Nous savons depuis plusieurs années que nombre de classes manquent de livres et de matériel de base pour donner une instruction de qualité. Pendant ce temps, on impose de plus en plus un enseignement tyrannisé par la maladie des écrans, en jetant sous les yeux de l’élève une tablette pour ensuite lui montrer des notions sur un tableau interactif. Ces engins ne sont pas gratuits et ne remplaceront jamais un bon vieux livre et un tableau simple avec une craie. Encore une fois, on nous ramène la rengaine du manque d’argent, alors que l’instruction publique devrait être la priorité absolue avant n’importe quel autre sujet. C’est par celle-ci que nous pouvons élever l’enfant à la culture, s’assurer de l’égalité des chances et permettre la suite du monde.
Enfin, il serait intéressant que les personnes vulnérables, notamment les plus âgées, puissent bénéficier d’une qualité de vie digne de ce nom. Les scandales à répétition en CHSLD qui se sont transformés en hécatombe le temps d’une pandémie nous ont montré que des investissements importants auraient dus êtres faits depuis longtemps. Les plus vieux d’entre nous témoignent d’une sagesse pratique et d’une histoire riche d’expériences. Leur travail d’une vie mériterait considération et respect.
Sur ces trois sujets, nous pouvons remarquer une constante, qui est celle de la transmission. Le patrimoine, l’instruction et le traitement des personnes âgées sont tous reliés à notre conception commune de ce qu’est une collectivité sur le temps long. Un peuple désorienté qui ne voudrait plus rien savoir de sa continuité historique témoignerait probablement du même genre d’actions que nous posons. S’il y a du bon à voir grand pour des projets d’infrastructures, il y a quelque chose d’indécent dans un gigantisme qui détonne de l’indigence de notre condition dans d’autres sphères de nos vies. Un tunnel peut certes accroître l’économie et satisfaire des résidents, mais l’importance que nous y accordons au détriment du souci de transmission nous en dit long sur l’état de la conscience collective.
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